Le 1er janvier à midi, Bruno Eichenberger, membre de l’association Strasbourg Curieux, a planté son chevalet, ses toiles et ses pinceaux devant les locaux désaffectés du Bar de la Laiterie, en face de la salle de concerts de Strasbourg. Il y peindra tous les jours, de midi à 20 heures, jusqu’au 15, et invite les curieux ou artistes dans l’âme à le rejoindre. Dans le coffre de sa voiture, Bruno Eichenberger stocke des toiles vierges pour qui voudra.
Au pied de son chevalet, sur lequel trône un portrait du maire de Strasbourg Roland Ries, une fresque blanche en relief représente les victimes de l’attentat à Charlie Hebdo : l’idée est que les gens de passage y apportent de la couleur.
Rassembler autour d’une performance
Depuis son installation, les membres de Strasbourg Curieux, les copains et les habitués du quartier sont venus y jeter un œil, donner des coups de pinceaux, voire passer commande. Cet après-midi, un vieil homme passe en coup de vent, le temps de déposer une photo de sa fille. Bruno Eichenberger promet de la transférer sur toile en quelques jours.
L’an dernier à la même époque, Strasbourg Curieux organisait un sit-in de 14 jours, pour débattre et attirer l’attention sur leur projet de reprise du Bar-Laiterie, à l’abandon depuis huit ans. Aujourd’hui, l’esprit n’est pas le même, moins revendicateur. Bruno Eichenberger explique avoir voulu rassembler autour d’une performance, et si possible mobiliser l’opinion au passage :
« On la joue plus cool, cette année. Mais on veut continuer d’interpeller les élus, pour qu’ils voient qu’il y a des artistes en demande dans le quartier, qui voudraient pouvoir profiter de ce lieu. »
L’appel à projets se fait attendre
L’association campe sur sa position : elle veut redonner vie au Bar-Laiterie. La Ville aussi, mais les envies diffèrent. Bruno Eichenberger raconte que lors de la deuxième édition d’Arrête ton Char, le 2 mai 2015, le premier adjoint au maire, en charge de la Culture, leur aurait confié qu’il était illégal de leur accorder la reprise du lieu sans appel à projets. Mais d’après la direction du service culture de la Ville, cet appel évoqué par Alain Fontanel n’a toujours pas été lancé. Ce dernier s’explique :
« Nous sommes dans une phase d’évaluation, d’abord des besoins en travaux et d’éléments de faisabilité au niveau du bâtiment même. S’il faut mettre un million d’euros sur la table, on ne va pas trouver les mêmes partenaires que s’il en nécessite que 100 000. Il faut aussi cibler un créneau entre ce que l’on souhaite pour l’endroit et les besoins du quartier. A priori, l’appel à projets sera lancé au cours de ce trimestre, dans l’optique d’ouvrir le bar d’ici un an. »
L’inquiétude majeure de la Ville porte sur la rentabilité : le projet qui l’emportera doit être suffisamment bien pensé et solide pour ne pas perdre d’argent. Bruno Eichenberger, tout en nettoyant ses pinceaux, évoque un premier jet proposé à la Ville en mars 2015 :
« Notre projet était simple, pas cher en dehors des frais de mise aux normes. C’était un projet à tester sur un an. La Ville a estimé qu’il n’était pas viable. Mais l’idée, ce n’était pas d’être viable, c’était d’expérimenter et de ne pas laisser un lieu fermé en attendant qu’on en fasse quelque chose. La fréquentation du Hall des Chars était trop faible, et la Ville veut que son équipement soit utilisé au maximum. L’aspect restauration est primordial pour eux, dans le projet de reprise du bar. Mais c’est dommage d’avoir de la restauration sans culture. »
Le projet de Strasbourg Curieux a évolué au fil des mois : bar, galerie, espace autogéré multifonctions… Pour plus de clarté, l’association s’est dédoublée : Strasbourg Curieux pour l’agenda culturel, Les Curieux (déposée au Journal officiel le 24 décembre 2015) pour la reprise du Bar-Laiterie. Le peintre en extérieur développe l’idée actuelle de l’association :
« On voudrait aménager une cuisine, pour de la restauration rapide ou de vrais repas entre midi et deux. Dans le quartier, il n’y a rien, et ça manque, ne serait-ce que pour les gens qui travaillent ici. Cette partie serait déléguée à une entreprise spécialisée. Dans l’après midi, on ferait des ateliers : musique, danse et peinture. Le soir, un food-truck s’approvisionnerait au bar et sillonerait la ville. Et bien sûr des concerts, des performances scéniques et artistiques. On aimerait demander deux week-ends par an à l’Espace K pour faire du long format. »
La culture, talon d’Achille du projet
Quand on lui rétorque que Strasbourg a bien assez d’espaces associatifs pour hipsters où personne ne se rend après l’ouverture, Bruno Eichenberger hausse les épaules. Lui, il y croit. Pour le peintre, deux conditions sont à réunir pour assurer le fonctionnement : une bonne communication, difficile à maîtriser parfois pour les amateurs, et ne pas verser dans l’élitisme. L’idée est là, l’envie aussi. Mais la Ville est encore réticente.
Pour Alain Fontanel, ce que propose Strasbourg Curieux tient plus du projet culturel subventionné. Et la Ville vise l’inverse :
« Au même endroit, il y a déjà le nouvel Espace K, qui est un projet subventionné. Nous n’avons pas vocation à en ouvrir un autre. Ce que l’on veut, c’est un lieu de croisement des acteurs du site Laiterie, qui le fasse vivre, et qui serait financé par ses recettes. »
Strasbourg Curieux va devoir convaincre ou entendre le message.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Strasbourg Curieux veut rouvrir le Bar-Laiterie
Sur Rue89 Strasbourg : L’avenir de la Laiterie se précise
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