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Baptist Cornabas, professeur d’Histoire, youtubeur précaire

Au collège ou sur YouTube, Baptist Cornabas enseigne l’Histoire. Arrivé à Strasbourg par amour, ce professeur critique volontiers la pédagogie des établissements scolaires. Grâce à ses vidéos, il souhaite rendre sa discipline plus vivante.

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« Mindfuck ! Boum ! » Avec malice et un vocabulaire de geek, Baptist Cornabas résume la réaction de ses élèves lorsqu’ils apprennent, quelques semaines après la rentrée, que ce professeur d’histoire au collège Notre-Dame de Strasbourg est aussi… youtubeur.

Baptist Cornabas, professeur d’histoire et youtubeur sur la chaîne « Parlons Y-stoire ». (Photo GK / Rue89 Strasbourg / cc)

À 31 ans, cet enseignant, que rien ne dépare de ses collègues, suscite tout d’un coup une certaine curiosité de la part des élèves. Qui est ce prof’ dont la chaîne YouTube compte tout de même 40 000 abonnés ? Baptist Cornabas s’amuse de ces réactions :

« À ce moment, les ados ne savent plus sur quel pied danser. Tu passes d’une figure d’autorité à un symbole de liberté. Un youtubeur, c’est presque un pote pour beaucoup. »

De Berlin pendant la chute du mur…

Né à Romorantin dans le Val-de-Loire, il a suivi son père militaire durant sa jeunesse et garde un souvenir amer de ces déménagements incessants :

« Tous les deux ans on allait ailleurs. À chaque fois, je perdais mes amis et je devais en trouver de nouveaux. J’ai habité à Orléans, en Vendée et même à Berlin Ouest entre 1988 et 1991, en plein pendant la chute du mur ! »

Baptist, au centre, devant le fameux Checkpoint Charlie à Berlin. (doc remis)

Rien ne le prédestine ni à l’étude de l’Histoire, ni à son installation à Strasbourg :

« J’ai étudié cette matière un peu par hasard. C’était dans ce domaine que j’avais les meilleures notes au collège et au lycée. Mais je suis venu à Strasbourg par amour. J’ai rencontré à Angers une étudiante allemande en Erasmus. Nous étions ensemble dans un cours d’Histoire de l’Europe. Lorsqu’elle a dû retourner en Allemagne, à Heilbronn, nous avons décidé de nous retrouver à Strasbourg. »

… à Strasbourg, « le centre du monde pour l’Histoire »

En septembre 2008, Baptist se rend donc en Alsace pour poursuivre ses études. En première année de master d’Histoire, le futur professeur travaille au McDonald’s. Le premier jour, un collègue lui demande : « Ça geht’s ? » Baptist, qui ne parle ni allemand ni alsacien, se demande dans quel pays il est arrivé. Mais passé ce petit choc linguistique, il apprend à apprécier la ville, de plus en plus. L’enseignant trouve son bonheur dans les rayons de la librairie Kléber. Quand ses parents lui rendent visite, il se ballade volontiers dans le quartier de la petite France. Pour sortir le soir, le youtubeur privilégie les bars de la Krutenau.

Le reste du temps, c’est le passé de la capitale alsacienne qui le fascine :

« Quand tu t’intéresses à l’Histoire, Strasbourg, c’est le centre du monde ! Il y a un tel creuset. Je me suis beaucoup intéressé à la germanisation de la ville en 1940. Tous les magasins ont dû changer leur devanture pour utiliser la langue allemande et la typographie gothique. La place Broglie est renommée « Hitlerplatz »… Et la francisation en 1944 est une période tout aussi violente. On en parle beaucoup moins. »

Mais ces sujets, Baptist Cornabas ne peut les aborder en profondeur avec ses élèves de troisième. Le programme est trop large, trop dense. En une année scolaire, il faut traiter de l’histoire de l’Europe de 1914 à nos jours, de la vie politique française sous la cinquième république, sans oublier les thèmes de géographie… Le temps manque pour aborder correctement les faits, sans parler des détails ni des anecdotes historiques, qui permettent de structurer les savoirs.

« Beaucoup d’élèves souffrent de l’enseignement classique »

Embauché à l’année, l’enseignant enchaîne les contrats précaires dans des établissements alsaciens. En 2015, il enseignait au collège des missions africaines d’Haguenau. Depuis la rentrée 2017, il travaille au sein de l’établissement de Notre-Dame à Strasbourg. Dans ses salles de classe, le prof’ se veut aussi accessible que sur YouTube :

« Beaucoup d’élèves souffrent de l’enseignement classique. Tout s’y fait sous la contrainte. La société t’oblige à aller à l’école. Tes parents te demandent tes notes. Tes professeurs te donnent des devoirs… Alors dans mes cours, j’essaie de donner envie à mes élèves de participer. Sur des sites comme Plickers ou Kahoot, je peux leur soumettre des quizz ou des questions affichées via un vidéoprojecteur. Quand on touche à la fin de la Guerre froide, je leur amène toujours un morceau du mur de Berlin que mon père m’a donné ! En revanche, je n’utilise pas mes vidéos dans mes cours, car elles traitent de points qui sont souvent hors programme ou elles sont trop détaillées. »

Depuis longtemps, le professeur satisfait sa curiosité sur YouTube. Il regarde les vidéos de la chaîne « e-penser ». Bruce Benamran y répond à des questions comme « Pourquoi bâiller, c’est contagieux ? » ou « Comment se forment les arcs-en-ciel ? ». Lorsque le vidéaste souligne l’absence de youtubeur français en Histoire, Baptist décide de se lancer dans l’aventure, en 2014.

Cette activité a fini par lui prendre un temps fou :

« En plus des heures en classe, de la préparation des cours et de la correction des copies, je produis mes vidéos de A à Z. Pour un clip de dix minutes, il faut compter 30 à 40 heures de recherche, 10 heures de rédaction du scénario, 2 à 3 heures de tournages et autant pour le montage… »

À l’aide de cartes dont il est l’auteur, de vidéos d’archives, de frises, le professeur souhaite rendre l’Histoire plus vivante. Avec plus d’une cinquantaine de vidéos à son actif en trois années d’existence, il a déjà présenté « L’origine et l’évolution du ghetto », expliqué « Pourquoi 2 Corées ? » ou « Pourquoi le 14 juillet ? »…

18 dollars pour 25 000 vues

Un travail important qui n’est pas récompensé par un revenu suffisant, comme souvent sur YouTube. Sur son téléphone portable, qu’il garde toujours à portée de main, Baptist affiche les statistiques de sa chaîne :

« Au cours des derniers 28 jours, j’ai gagné à peine 18 dollars pour plus de 25 000 vues sur mes vidéos… Heureusement, les revenus publicitaires sont complétés par des dons, via Teepee. J’ai eu un abonné qui a versé 30€ par mois pendant un an et demi ! »

Avec des productions visionnées parfois plus de 100 000 fois, le youtubeur est conscient d’être devenu une sorte de personnalité publique. Il participe désormais à des événements tels que le Play Azur Festival ou le Festival des historeeks où vidéastes et abonnés se rencontrent. Certains de ses fans sont aussi devenus des amis. Il les retrouve à Strasbourg de temps à autre dans son bar préféré, le Public House, ou autour d’un jeu de société.

Ce n’est pas encore la célébrité mais…

« Les gens qui me reconnaissent peuvent être gênants parfois. Une fois, nous étions au restaurant avec ma compagne et on nous a interrompu en plein repas… Et elle n’avait pas envie de parler de mes vidéos. »

Malgré tout, le youtubeur espère toujours tirer un revenu décent de sa chaîne. Il pourrait alors déménager son studio d’enregistrement et sa table de montage dans un bureau, en dehors de son domicile. Pour y parvenir, Baptist compte faire évoluer sa chaîne pour attirer plus d’audience et ainsi augmenter les revenus versés par YouTube. Il voudrait par exemple reprendre sa série « Cinq anachronismes dans… », qui « traque les erreurs historiques dans les films qui se disent historiques. »

Le vidéaste produirait volontiers des vidéos pour des institutions strasbourgeoises. Certaines l’ont d’ailleurs déjà contacté mais Baptist a dû décliner :

« J’aimerais sortir mes caméras de la cave pour filmer sur commande. Mais la plupart des institutions me demandent de travailler bénévolement. Je refuse parce que je considère qu’un travail doit être rémunéré. Pour une vidéo, je pourrais demander au minimum 1 000€. »

D’autres youtubeurs ont choisi de se concentrer sur des sujets racoleurs, dont l’unique but est de générer des centaines de milliers de vues. Baptist Cornabas refuse de sombrer dans cette facilité, le professeur est perfectionniste. Il assume son goût pour la complexité de l’Histoire et tient à la qualité de ses productions :

« Ma première publication sur YouTube est celle qui a généré le plus de vues. J’y parle des plus grosses bourdes de mes élèves. Je pourrais continuer régulièrement avec ce type de productions qui font le buzz. Mais ça me pose un problème éthique. Aujourd’hui, j’ai un public exigeant. Pour l’instant, ça ne me permet pas de gagner beaucoup plus que mon smic de professeur mais j’aime ce que je fais. Alors je vais tout simplement persévérer. »


Des Strasbourgeoises et des Strasbourgeois mieux connus par leurs exploits ou leurs réalisations en dehors de l’Alsace que par leurs voisins. Et cette série d’articles est là pour changer ça !

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