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Tribune : Bains municipaux, toujours la tentation du morcellement

Si l’avenir des Bains municipaux, situés boulevard de la Victoire dans la Neustadt, a échappé au menu de Noël du conseil municipal, il serait question d’y revenir bientôt et ce, de façon « toujours inquiétante ». C’est en tout cas ce que craignent Didier Laroche et Liane Zoppas, deux architectes qui connaissent le dossier sur le bout des doigts.

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Bains municipaux de Strasbourg – avril 2012 (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Fin 2014, nous apprenions que la Ville allait engager des procédures, aux plans technique et administratif, pour avancer dans le dossier des Bains municipaux qui fait figure de « patate chaude ». D’après nos informations, le projet de réhabilitation des Bains sera transféré à l’Eurométropole. Et l’on sait que son actuel président, Robert Herrmann, rêve d’en faire un équipement « prestigieux et d’exception » inscrit dans le rayonnement de Strasbourg Eurométropole, mais bien éloigné… des Strasbourgeois. Le qualificatif « municipaux » des Bains risque de passer au stade de souvenir.

Opacité du processus de décision

De plus, selon les règles de fonctionnement définies pour l’Eurométropole, les décisions peuvent être prises en commission permanente, sans l’aval du conseil municipal, ni de celui de l’Eurométropole. Le silence sur les Bains sera ainsi renforcé par l’opacité du processus de décision.

La SPL (société publique locale), solution miracle pour la gestion des Bains, pourrait être remplacée par une SEMOP (société d’économie mixte à opération unique), nouvelle structure publique-privée rappelant l’ancien projet de PPP. Alors que les Français découvrent le musellement des pouvoirs publics par les clauses draconiennes des concessions autoroutières, perdure localement le mirage de montages financiers qui n’ont qu’un effet : gratifier les générations futures d’ardoises monumentales !

Vendre les Bains par morceaux ?

L’idée maîtresse de la démarche des élus est que l’administration municipale ne serait pas en mesure de traiter ce dossier, dont on répète à satiété qu’il est extrêmement complexe et qu’une réhabilitation implique forcément des investissements trop importants : seule une entité plus ou moins publique – SPL ou SEMOP – pourrait faire face. Comment le miracle aurait-il lieu ? En donnant toute liberté à cet organisme de procéder à des opérations foncières dont on ne dit pas la nature, mais dont on se doute qu’il s’agit de concéder à des opérateurs privés des « morceaux » de l’établissement balnéaire : pourrait-on alors vendre l’aile gauche du bâtiment, la chaufferie… ou la cour arrière ?

Loin d’une opposition de principe à la présence du privé qui peut dans certains projets présenter un intérêt, nous nous inquiétons d’un fonctionnement consistant à envisager d’abord la gestion administrative et financière et à laisser ensuite le soin à l’entité créée d’adapter un programme.

Une expertise pour réinventer le fonctionnement

Il importe au contraire avant tout de concevoir un programme et un cahier des charges, en fonction desquels saisir ensuite la ou les structures adaptées. Cette juste démarche ne rencontre qu’un obstacle : l’absence de volonté de réaliser une réelle expertise du bâtiment, sur laquelle s’appuierait l’étude de faisabilité d’une intervention concernant l’entretien et la réparation, ainsi que son extension en vue de nouvelles activités susceptibles d’enrichir l’offre existante. Au-delà de diagnostics purement techniques, il faudrait soumettre le bâtiment à une expertise programmatique susceptible de réinventer son fonctionnement.

C’est bien évidemment sur une logique urbaine et non sur la base d’un accommodement administratif qu’il faut fonder le projet ambitieux de rénovation des Bains. Si la Ville veut valoriser la Neustadt, elle doit rester fidèle à l’ambition dont témoignent les grandes opérations urbaines du début du XXème siècle, auxquelles appartient la construction des Bains. Ainsi, cet équipement est voisin du pôle universitaire principal de Strasbourg et jamais les potentialités de cette situation particulière n’ont été envisagées.

Une piscine de natation, construite à l’arrière du bâtiment, ne rendrait en rien la gestion de l’établissement trop « complexe ». En revanche, l’utilisation de cet espace pour y bâtir un hôtel de luxe ou un casino créerait des contraintes de fonctionnement certaines.

Méconnaissance d’une culture balnéaire « santé »

L’argumentation développée pour légitimer le recours au privé a toujours été de dissocier la pratique de la baignade-natation, jugée « publique », de celle des bains romains et du sauna considérée comme un luxe, alors que c’est leur ensemble qui constitue l’originalité de l’établissement. De plus, ces arguments témoignent surtout de la méconnaissance d’une culture balnéaire qui retrouve un public nombreux du fait de son impact sur la santé.

La ville de Strasbourg devrait pourtant être sensible à cette question vu le succès de l’opération « sport santé sur Ordonnance, qui concerne, entre autres, la natation, le water-polo, la gym aquatique et qui gagnerait à s’appuyer sur des structures municipales historiquement engagées dans le domaine. Il faudrait évidemment inclure ces activités dans un projet de réhabilitation qui prendrait en compte toute idée renforçant la cohésion et l’offre des Bains : une clinique de kinésithérapie en annexe ?

Quant aux activités complémentaires, pourquoi la bière, spécificité strasbourgeoise, ne trouverait-elle pas sa place dans un projet où l’eau est à l’honneur : production locale en micro-brasserie, ou création d’un label Bière des Bains ? En son temps, la reconstruction de l’Ancienne Douane ne s’est-elle pas réalisée avec l’appui d’une brasserie-mécène ?

 Une preuve de faiblesse face aux Allemands

Une logique prétendument « patrimoniale », usant de l’ancien pour l’associer au luxe et le réserver à des happy few susceptibles d’en financer le fonctionnement – avec quelques créneaux horaires d’ouverture au public pour adoucir la pilule – serait non seulement une trahison de l’idéal qui a présidé à la construction des Bains, mais une preuve de faiblesse dans le contexte rhénan, où nos voisins allemands ont su dans bien des cas, face au même patrimoine, veiller au maintien de sa vocation publique.

Valoriser le patrimoine, ce n’est plus, comme au XIXème siècle, se limiter à imposer des contraintes au renouvellement des infrastructures ; c’est tirer parti de leur caractère unique, impliquant non seulement le cadre bâti, mais aussi la fonction des lieux. Si la Ville veut faire valoir ses atouts dans le cadre d’un rayonnement européen, elle n’y parviendra pas en confisquant ce lieu aux Strasbourgeois pour en faire bénéficier quelques privilégiés, comme cela s’est produit à la Piscine Molitor à Paris. Il faudra, au contraire, ouvrir les Bains à un public non seulement attiré par le cadre exceptionnel mais par une offre élargie d’activités concernant l’eau et le corps.

100 ans de bons et loyaux services

Contrairement aux piscines plus récentes, les Bains n’ont jamais fait l’objet de rénovation. Or, rares sont les bâtiments qui, après cent ans de bons et loyaux services, peuvent se targuer d’une telle « durabilité » : ceci devrait parler aux élus attachés au développement durable et concernés par une gestion à long terme de notre patrimoine.

Didier Laroche et Liane Zoppas
Architectes

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#Bains municipaux

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