Deux pupitres blancs calés entre les tables d’une terrasse et des barrières de chantier. Alors que quelques ouvriers en gilet orange s’affairent à finir les travaux du pont Reinhard-Fieser, les commerçants emmenés par Jörg Grütz démarrent leur chantier à eux : deux mois de campagne pour récolter un peu plus de 3 000 signatures, soit 7% des électeurs de Baden Baden, commune allemande balnéaire proche de Strasbourg.
Le « Fieser-Brücke » comme l’appellent les locaux, est le point d’entrée dans la ville pour les automobilistes qui viennent du sud ouest. Depuis un an et demi, le pont en rénovation n’est accessible que pour les piétons et les cyclistes. Les automobilistes et les livreurs qui veulent se rendre au centre-ville doivent faire un détour. Plusieurs commerçants rêvent que les voitures ne reviennent jamais. Et même d’une extension de la zone piétonne à deux rues supplémentaires. Habitante de Baden Baden, Renate est bien d’accord avec eux et fait partie des premières à signer :
« J’habite tout près du centre-ville, et c’est très bien de vouloir piétonniser. Moi je n’ai plus de voiture depuis longtemps. On en a pas besoin ici. Le bus fonctionne à merveille, on peut aller partout avec. »
Nouveau lieu de rassemblement
Juste à côté d’elle, à l’embouchure de la Kreuzstraße qui donne sur le pont, des SUV tentent de se frayer un chemin entre les passants, les terrasses fraîchement déconfinées et les badauds venus signer la pétition. Jörg Grütz a bien son idée sur qui est de trop dans ce cafouillage. Ce propriétaire d’une boutique de vêtements chics et dirigeant de la société City Marketing & Event est convaincu que la piétonnisation n’aura que du bon pour les commerçants aux alentours :
« On a régulièrement des voitures qui ne peuvent pas se croiser et font marche arrière, c’est dangereux pour les piétons. Ça serait une hérésie de s’acharner à laisser les voitures passer. Il y a tant de choses à faire à la place ! »
Également membre de l’organisation du marché de Noël, Jörg Grütz imagine un large pont, transformé en place : « un nouveau lieu de rassemblement pour les événements festifs, ni plus ni moins. » Les restaurateurs et cafetiers qui jouxtent ce fameux pont sont également pour la piétonnisation, qui leur permettrait d’installer des tables supplémentaires en extérieur.
La piétonnisation validée, avant un recul de la maire
Mais il n’y a pas que les pros de la terrasse qui soutiennent la piétonnisation. Mario Appolonio a sa boutique de bijoux de l’autre côté du pont, dans l’allée des colonnades qui mène au mythique Kurhaus et ses casinos. Un lapidaire « plus de passage, donc plus de clients ! », emballé dans un grand sourire, l’affaire est entendue pour le joaillier. Il ne voit que des avantages à ce trait d’union piéton entre le centre-ville et l’un des lieux emblématique de la ville.
Depuis plusieurs semaines, le sort du pont réhabilité et de la Kreuzstraße est âprement débattu en conseil municipal. Dans une première mouture, la commission du bâtiment avait approuvé la piétonnisation de la zone à titre expérimental pour un an. Seuls les livreurs auraient été autorisés entre 6 et 11 heures. Mais lors du conseil municipal du 26 avril, la maire Margret Mergen (CDU, droite) a mis les hola et refusé d’interdire le pont aux voitures. La zone ne sera finalement piétonne que de 11 à 19 heures, obligeant les restaurateurs à remballer une partie de leur terrasse en début de soirée. « Absurde », lâche Jörg Grütz.
Mais face à la pression des Verts, premier groupe politique au conseil municipal (11 élus sur 40), des sociaux-démocrates, et de commerçants venus plaider leur cause au conseil municipal, la maire a finalement accepté le principe d’un référendum. Pour l’organiser, il lui faudra cependant l’assentiment des deux tiers de son assemblée. Pas gagné, étant donné que sa majorité avait rejeté la proposition d’une piétonnisation permanente. En Allemagne, les citoyens ont toutefois la possibilité de faire bouger les lignes en organisant un « Volksbegehren ». Cette sorte d’initiative populaire qui aboutit à l’organisation d’un referendum, s’ils recueillent un nombre suffisant de signatures. Ce à quoi s’emploient désormais les commerçants derrière Jörg Grütz.
Un sujet de débat entre commerçants
C’est ainsi que Sabine Iding-Dihlmann, porte-parole des Grünen et Ulrike Mitzel, conseillère sociale-démocrate, se retrouvent à leur tour à tendre des stylos, sous le regard interrogateur d’un passant qui mâchonne son petit pain au jambon. « Mais comment on va faire pour se garer autour ? » demande-t-il entre deux bouchées. Il y a assez de parkings le rassure Ulrike Mitzel. Pour la conseillère municipale, les quelques réticences viennent surtout des grands magasins qui dépendent d’une clientèle extérieure, et de ceux qui reçoivent des livraisons quotidiennes. Sabine Iding-Dihlmann de son côté, a déjà eu le temps de roder son discours :
« Cette remise en état du pont est une opportunité. Le pont Reinhard-Fieser a été rénové avec une grande attention portée à son histoire et au respect du monument. C’est un véritable joyau, et il mérite d’être bien plus qu’une ruelle morne livrée à la circulation automobile. »
Reste que le projet ne fait pas l’unanimité. Le groupe de la CDU (9 élus) et le celui des « citoyens libres » (FBB, 5 élus) sont opposés à cette avancée piétonne, qui pénaliserait selon eux les visiteurs extérieurs. Et la section locale de l’Union des architectes (BDA) estime que la fermeture du pont ne ferait que déplacer la nuisance des voitures dans les artères voisines.
Enfin, les commerçants ne sont pas non plus unanimes. Bottier de métier, Matthias Vickermann a sa boutique à quelques rues du fameux pont. Président de l’association de commerçants du centre-ville Baden Baden Innenstadt, il redoute lui aussi que la piétonnisation ne décourage les clients extérieurs. Dans la presse locale, il plaide pour une vision plus traditionnelle de l’attractivité : autorisation des stationnements de courte durée, parkings gratuits le samedi, et en aucun cas, fermer le pont Fieser aux voitures. Ouf, le monde revient à l’endroit.
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