Dans un gymnase de la Meinau, mercredi 30 octobre au soir, une trentaine d’adolescents et adolescentes courent en rond, seulement interrompus pas un bippeur au volume exacerbé. Toutes les minutes, ils passent de la corde à sauter à la course, au gainage ou aux pompes. Le tout, entraînés par la voix énergique du professeur du Meinau boxing club.
Parmi eux, Aya Bozarhoun, 13 ans. Floquée d’un maillot aux couleurs de la France, elle court avec les autres mais boxe seulement avec les adultes. Car pour Aya, la boxe est plus qu’une activité du mercredi soir. « Je m’entraîne cinq fois par semaine, en plus des joggings », détaille-t-elle. Sur le côté du terrain, son petit frère la regarde avec admiration et s’essaye lui aussi à taper dans un gros sac de tissu, visiblement peu épuisé par son entraînement de foot.
Athlète et adolescente
Onze fois championne de France, championne internationale, d’Europe et du monde, en muay-thaï (boxe thaïlandaise) et en K1 (une boxe similaire où les coudes ne sont pas autorisés), les titres s’accumulent sur le CV de la jeune sportive qui monte sur les rings depuis ses huit ans. Cette année 2024, Aya ne boxera cependant pas autant qu’elle aimerait. « J’ai pris cinq kilos en quelques jours cet été, c’est la puberté », relate-t-elle.
Une problématique conséquente étant donné qu’en boxe, le poids des sportives détermine leurs adversaires. « C’est compliqué mentalement de prendre du poids sans comprendre pourquoi, c’est humain et ce n’est pas ma faute, mais je vais moins combattre cette année à moins de perdre quelques kilos », soupire-t-elle au moment d’une pause de son entraînement.
De la catégorie moins de 42 kilos, Aya est passée à celle de moins de 50 kilos en quelques semaines, à l’été 2024. « J’ai parlé avec d’autres athlètes femmes sur Instagram, elles m’ont rassurée, ça devrait mettre entre six mois et un an pour que mon poids se stabilise », explique-t-elle. Dans le gymnase, les apprentis boxeurs se sont mis par paires et s’essayent à des mouvements de bras.
L’adolescente n’a pas tout de suite aimé la boxe et a aussi pratiqué le tennis pendant deux ans. « Mais finalement, se défouler dans un sac me plaît, j’aime bien taper », sourit-elle. Son modèle est son père, Omar, lui-même ancien boxeur qui l’accompagne dans tous ses déplacements et presque tous ses entraînements. Un peu en retrait, assis sur une chaise, ce dernier l’observe du coin de l’œil, un sourire de fierté vissé sur le visage :
« D’habitude, Aya boxe 25 fois par an en compétition. Prochainement, il y a un championnat en Belgique et les championnats du Grand Est fin novembre. Le but de cette année est qu’elle conserve ses titres. Moi, j’organise les déplacements et je lui présente toutes les possibilités de tournois mais c’est à elle de dire ce qu’elle veut faire ou non. Ce n’est pas à moi de décider pour elle. »
« Même pas peur »
Fin novembre, elle partira pour un mois en Thaïlande, s’entraîner intensément. « Vu que je ne peux pas faire sport études à Strasbourg (il n’y a pas de section sportive scolaire en boxe, NDLR) ou avoir d’horaires aménagées, on doit demander des dérogations pour que je puisse partir. J’espère que ça va marcher », confie-t-elle. Huit heures d’entraînement par jour, six jours sur sept, avec un réveil à 4h du matin… « Même pas peur », lance-t-elle.
Ce sentiment de peur a pourtant existé au début de sa carrière, lorsqu’elle avait huit ans : « Je saignais beaucoup du nez, au moindre coup, mais depuis deux ans ça va mieux. » Pour vaincre ses craintes, Aya choisit de s’y confronter et de multiplier les tournois. « De toutes façons il fallait bien que je commence la compétition un jour ou l’autre », estime-t-elle.
Même si parfois, malgré une détermination qui semble à toute épreuve, Aya doute. « Quand je perds un combat ou quand je prends du poids, je suis énervée et je me dis que tout ça ne sert à rien », admet-elle. Dans ces moments-là, elle va voir son père dont la carrière a été stoppée par une blessure : « Là je me rends compte que si j’arrête, je le regretterai toute ma vie. » La jeune boxeuse a une autre figure de soutien : sa meilleure amie qui fait elle aussi un sport intensément, du football. « C’est elle qui me comprend tout le temps le mieux », assure Aya. Elle se promet qu’elle ne cessera de boxer que si elle est « vieille ou blessée ».
Les déplacements pour des compétitions dans d’autres villes européennes sont réguliers. Une activité qui représente des coût importants pour la famille d’Aya. « On en a pour 300 euros par week-end et aller en Thaïlande représente 1 000 euros de déplacement, c’est conséquent », expose Omar. D’autant que les victoires ne rapportent aucun gain financier à la boxeuse ou à sa famille.
Un sport qui paye mal
« Pour certains gros galas en Italie ou en Belgique, ils paient le voyage », raconte Omar, qui évoque aussi un concours organisé par son bailleur social lui ayant permis de financer des équipements pour sa fille. « La Ville de Strasbourg nous a dit aussi qu’ils allaient mettre en place une bourse pour les jeunes talents, mais je ne sais pas où ça en est », ajoute-t-il.
La famille d’Aya accepte volontiers de la soutenir pour sa carrière, mais elle est obligée de refuser certaines propositions, faute de fonds. « On a dit non au Canada et à l’Angleterre déjà. Aya le sait, c’est sa notoriété qui lui paiera ce dont elle a envie », souligne le père de famille. D’où la nécessité aussi d’aller voir en dehors de l’Europe, par exemple en Thaïlande où il est plus courant de vivre de cette pratique.
Depuis octobre 2024, Aya a dû changer de club. « Ça m’a fait peur au début car j’adorais mon coach, mais pour évoluer et progresser il faut parfois faire des choix », analyse-t-elle, précisant qu’elle adore toujours Delf, qui l’a initiée à la compétition. Ce dernier était déjà le coach de son père, et le coach de son nouveau coach, Mike. Car la boxe chez les Bozarhoun, ça se pratique en famille ou avec des personnes de confiance. « Pour le côté boxe je vais voir mon père, pour le collège, ma mère », sourit Aya.
Ses copines viennent parfois la voir sur le ring. « Mais c’est surtout qu’elles ne m’en veulent pas si je ne peux pas sortir en même temps qu’elles à cause de l’entrainement », constate l’adolescente : « Elles s’arrangent pour qu’on puisse être ensembles à d’autres moments. » À 13 ans, elle est déjà capable de cloisonner les différentes parties de sa vie, laissant les rires au collège et la discipline sur le ring. « Je suis vraiment très différente d’un environnement à l’autre et je laisse toujours la boxe à la salle. »
Alors que l’entraînement touche à sa fin et que les élèves tiennent le plus longtemps possible en planche sur leurs avants bras, Aya explique qu’elle doit parfois boxer contre des garçons à Strasbourg. Mais pour son coach Mike, il n’y a aucune différence dans l’entraînement selon le genre de l’athlète, en muay-thaï :
« Aya est suivie comme une pro, par trois coach et des nutritionnistes. Elle est super disciplinée. Je ne sais pas si une autre enfant fait d’aussi beaux résultats en France. Elle a le potentiel d’une grande championne. »
En attendant le départ pour son stage intensif en Thaïlande, Aya continue de s’entrainer et d’enchainer les matchs. Elle se rendra notamment en Belgique pour une compétition le 9 novembre et combattra au Neuhof le 23 novembre. Le tout cumulé avec la préparation de son brevet qu’elle passera en fin d’année.
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