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Avec Touch Me, la première Biennale d’art contemporain de Strasbourg interroge le numérique

C’est à l’Hôtel des Postes, au cœur de la Neustadt que Strasbourg accueille sa première Biennale d’art contemporain. Intitulée Touch Me et visible jusqu’au 3 mars 2019, cette exposition interroge sur l’emprise du numérique dans nos sociétés.

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Comment être citoyen à l’ère du numérique ? Telle est la problématique proposée par Yasmina Kouaidjia, vice-présidente de la galerie associative Impact et commissaire d’une première édition de la Biennale d’art contemporain de Strasbourg, intitulée Touch Me (Touche moi). Se donnant pour ambition d’être accessible à tous et de participer au rayonnement culturel de Strasbourg, l’exposition met en avant les travaux de dix-huit artistes internationaux, à l’Hôtel des Postes jusqu’au 3 mars.

Si l’événement propose une réflexion sur l’ancrage croissant de nos sociétés dans le numérique, la commissaire précise cependant :

« Ce n’est pas une exposition sur l’art numérique, c’est une exposition sur les enjeux du numérique à l’ère contemporaine. »

Vue de l’exposition « Touch Me » (Photo Daniela Zepka)

Depuis une décennie, les Biennales d’art contemporain se sont multipliées en Europe et dans le monde. Depuis l’apparition de la première Biennale à Venise en 1895, de nombreuses villes ont suivi (Istanbul, Kiev, Dakar, Montréal…). En France, le phénomène prend de l’ampleur, à l’image des Biennales de Lyon, de Paris et de Rennes ou, plus modestement, celle de Sélestat (Selest’art). Vues par beaucoup comme un phénomène de mode, ces manifestations périodiques n’en constituent pas moins un véritable rendez-vous artistique et culturel permettant aux institutions culturelles locales de travailler ensemble.

Reposant sur des fonds majoritairement privés, la Biennale d’art contemporain de Strasbourg s’est longtemps faite discrète, avec un travail de communication effectué très tardivement, trois semaines seulement avant l’inauguration (d’ailleurs retardée d’une semaine). Autant dire que son ouverture en a surpris plus d’un.

C’est l’Hôtel des Postes, bâtiment hautement symbolique et témoin de l’évolution des télécommunications, qui a été choisi pour accueillir cette première édition. Réinvesti spécialement pour l’occasion, ses fonctions passées d’ancien bureau de poste participent à ancrer le propos de l’exposition dans une contemporanéité : du télégraphe aux services téléphoniques, l’édifice s’avère être un lieu propice pour penser les enjeux liés au développement des moyens de communication mis à notre disposition de nos jours.

Réfléchir pour mieux agir

Au total, une quarantaine d’œuvres sont exposées. D’emblée, le visiteur est confronté à Overexposed, une œuvre de Paolo Cirio, artiste italien maintes fois récompensé et dont les travaux ont été présentés dans des expositions au rayonnement international. Son travail de recherche et l’aspect politique qu’il propose constituent l’un des points forts de cette première édition. Composée de deux photographies issues d’une série de neuf clichés au total, l’œuvre présente des portraits de hauts représentants américains de la NSA, la CIA, la NI et le FBI. Ces derniers, partagés massivement sur les réseaux sociaux suite aux révélations d’Edward Snowden en 2013, ont permis d’exposer publiquement les visages derrière les phénomènes de cyber-surveillance. Le visiteur est ainsi informé du risque encouru par la surveillance de masse et intrusive opérée par des personnalités politiques à son insu.

Paolo Cirio, Overexposed, 2015 (Photo Daniela Zepka)

Cette intrusion dans la vie privée se retrouve dans Menschentracks. Florian Mehnert, artiste conceptuel allemand de renommée nationale et internationale, propose une installation imposante composée de 42 tablettes suspendues en hauteur par des fils de nylon transparents. De nombreuses vidéos privées récupérées par une équipe de hackers défilent en boucle sur les écrans et la disposition des tablettes rappelle étrangement celle des salles de vidéosurveillance qui mobilisent le regard de manière omniprésente.

Florian Mehnert, Menschentracks, 2014 (Photo Florian Mehnert / Site officiel de l’artiste)

Moins alarmiste, Vincent Broquaire, artiste strasbourgeois ayant notamment exposé au Centre européen d’actions artistiques contemporaines (Ceaac) de Strasbourg en 2016, interroge dans la série graphique Flattenings Serie le rapport entre la création artistique et les technologies numériques. Cette série de quatre dessins à l’encre suggère une réflexion sur la technique du détourage numérique, notamment celui du copier/coller, en l’opposant au geste manuel de l’artiste.

Vincent Broquaire, Flattenings Serie (Photo Vincent Broquaire / Site officiel de l’artiste)

Loin de vouloir dissuader le visiteur de s’approprier ces technologies, l’exposition l’incite plutôt à se forger sa propre opinion sur les outils numériques afin d’adopter un regard critique sur l’usage qu’il en a au quotidien. Ainsi, l’artiste canadien Louis Philippe Scoufaras, propose une œuvre « participative » produite spécialement pour la Biennale. L’installation Room 3.1 invite le visiteur à sortir son smartphone pour scanner un QR code et activer à distance un robinet qui se trouve dans la même pièce.

Les visiteurs interagissent entre eux, certains s’entraident pour faire fonctionner le mécanisme, d’autres partagent leurs ressentis quant au fonctionnement de l’installation. « C’est sûr que ce n’est pas une œuvre très écologique, » remarque un visiteur, d’un ton amusé, lorsque le robinet se déclenche pour la quatrième fois. L’utilisation du smartphone, accusée aujourd’hui par certains de limiter les interactions sociales réelles au profit des échanges virtuels, finirait-elle par nous rassembler ?

L’impact du numérique finalement assez peu abordé

Si les œuvres exposées en début de parcours s’avèrent pertinentes quant au caractère socio-politique qu’elles proposent, on regrette le manque de réflexion sur l’impact du numérique et ses effets anthropologiques. Quelle est l’influence des nouvelles technologies sur les identités contemporaines ou sur les pratiques sociales ? Cette question est abordée de manière assez sommaire au cours de l’exposition.

Dans la série Shamanistic Travel Equipment de l’artiste allemande Sarah Ancelle Schönfeld, elle est davantage tournée vers la science-fiction et le sacré. Des visuels illustrant les technologies contemporaines sont imprimés sur des peaux de vaches qui symbolisent le voyage spirituel dans différentes communautés chamanes. L’esprit humain peut ainsi vagabonder vers d’autres états de conscience, d’identités et de réalités.

Harding Meyer, peintre brésilien installé à Berlin exploite l’identité numérique à travers le portrait dans sa série de peintures Ohne Titel. Il retravaille des visages qu’il extrait de magazines, de la télévision ou de sites internet pour leur offrir une nouvelle identité, des doubles numériques à l’image des portraits remodelés à l’infini par des logiciels de retouche. L’approche qui s’avère intéressante aurait peut-être mérité d’être exploitée davantage dans l’exposition.

Pour sa première édition, la Biennale d’art contemporain de Strasbourg présente des choix variés, tant par les médiums utilisés que par la diversité d’artistes proposés. Si l’exposition ne compte que quatre artistes français (dont un strasbourgeois) sur les dix-huit représentés, elle met cependant à l’honneur les liens forts entre les communautés artistiques franco-allemandes, avec au total six artistes allemands exposés.

Malgré les contraintes du lieu (couloirs, pièces hétérogènes…) la scénographie parvient à exploiter astucieusement l’espace et propose un circuit dynamique aux visiteurs. Parmi les points faibles, la coordination et la médiation écrite constituent sans doute des aspects à améliorer lors d’une probable prochaine édition, notamment à travers le caractère parfois non-exhaustif et un peu trop descriptif de certaines notices, qui ne permettent pas toujours une explication claire et une bonne compréhension des œuvres.


#Art contemporain

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