« Il y a un tragique quotidien qui est bien plus réel, bien plus profond et bien plus conforme à notre être véritable que le tragique des grandes aventures. »
Ainsi parle Maurice Maeterlinck, auteur du livret dont est issu l’opéra, dans Le trésors des humbles, et c’est sans doute ce tragique quotidien qui rend l’histoire de Pelléas et Mélisande à la fois intemporelle et moderne.
L’histoire, aux accents de contes de Grimm, entraîne le spectateur dans une forêt méconnue où Golaud s’est perdu. Il y rencontre Mélisande qu’il épouse et conduit dans son pays, au château d’Allemonde. Là vit Pelléas, demi-frère de Golaud, que Mélisande apprend à connaître. La beauté et l’étrangeté de Mélisande captivent, fascinent. Quelque chose naît entre eux deux, que Golaud est incapable de maîtriser, qui va précipiter la tragédie.
« J’ai joué comme un enfant autour d’une chose que je ne soupçonnais pas… J’ai joué en rêve autour des pièges de la destinée… Qui est-ce qui m’a réveillé tout à coup ? » Maurice Maeterlinck, Pelléas et Mélisande (1893)
Sur un sujet vieux comme l’Occident, l’écrivain symboliste Maurice Maeterlinck tisse une pièce d’ombre et de lumière dont Claude Debussy a fait un opéra tressé de mystère, cousu de silence. « Un opéra après Wagner, et non pas d’après Wagner » comme l’affirme Debussy dans une note écrite pour l’Opéra-Comique en 1902, cinq actes de mystères et de passion discrète, dans une atmosphère musicale voulue sensuelle et onirique.
Au moyen d’une déambulation entre chant et orchestre, l’œuvre de Debussy se fait entendre dans un étonnant camaïeux musical. « Mesdames et Messieurs, voici mon Pelléas et Mélisande. Je vous prie d’oublier que vous êtes chanteurs », déclara Debussy aux chanteurs à la première répétition de la création de l’œuvre.
Pour le metteur en scène Barrie Kosky, qui fait ses débuts à l’OnR, c’est encore plus clair :
« Avec Pelléas, c’est hop ou top ! […] En vérité, les chanteurs ne doivent jamais sombrer dans la musique. Au contraire ! Ils doivent surfer au-dessus, même quand la musique est d’une grande beauté. Ils ne doivent en aucun cas se baigner dans la musique comme dans une soupe tiède de poireaux-pommes de terre. Je veux une bouillabaisse épicée au-dessus de laquelle les chanteurs font des claquettes. »
Car c’est la partition qui crée toute l’ambiance. Debussy fabrique l’atmosphère du drame, un peu comme les décors sur scène. La musique évolue en permanence entre allégresse et inquiétude, ce dont s’empare la mise en scène. Sobre et minimale, ce décors de cubes emboîtés accentue la mise en abîme de cette histoire entendue comme un mythe, à la fois pour délimiter et hiérarchiser les espaces sur la scène, mais également afin de fixer l’attention du public sur la musique, comme s’il fallait se détacher du cadre réel pour mieux ressentir l’ambiance de l’histoire.
Barrie Kosky, metteur en scène, détaille :
« Dans cet espace, la question “Qu’il a t-il de l’autre côté ?” ne se pose pas. L’espace fonctionne comme un rituel selon son propre mécanisme. »
Mécanisme transposé littéralement dans le décor, les personnages glissant sur scène comme dans une chorégraphie, soulignant les échanges et sorties de scène. Les discrets éléments mécaniques rappellent les théâtres de marionnettes, résonance accentuée par ce décors de rideau peint sous le rideau de scène, évoquant par ailleurs les décors des premiers films muets.
Cette allusion au cinéma noir et blanc, présente à d’autres moments du spectacle (scène au filtre tacheté comme une ancienne pellicule de films) ne paraît alors pas anodine, peut-être pour souligner une certaine universalité de l’histoire ? Ou tout simplement pour en recueillir le raffinement, comme l’explique Barrie Kosky :
« Nous sommes partis d’une réflexion sur le caractère intimiste de l’œuvre et sa structure musicale différenciée, raffinée et fragile. »
Un écho du manoir Manderley
Raffinement de la mise en scène qui n’est pas sans rappeler l’élégance des films de Hitchcock, dont le clin d’œil (voulu ?) se retrouve jusque dans les costumes d’inspiration années 40, avec un écho tout particulier (et personnel) pour le film Rebecca, dont l’ambiance du manoir Manderley entouré de bois « secret et silencieux », évoquerait les mots de Mélisande à son arrivée au château :
« Il fait sombre dans les jardins, et quelles forêts, quelles forêts tout autour des palais ! » (Premier acte, scène III).
Pelléas et Mélisande est une très belle production. L’orchestre et les voix évoluent tout au long de la représentation dans une symbiose parfaitement maîtrisée, entre tensions et respirations joyeuses, sur une mise en scène toute en fluidité et modestie. Mention spéciale pour les costumes, dont les lignes et les couleurs à la fois sombres et profondes rajoutent à l’élégance de la mise en scène.
La production de Barrie Kosky, du Komische Oper de Berlin en octobre 2017 (en coproduction avec le Nationaltheater Mannheim), a été créée à l’occasion du centenaire de la disparition du compositeur.
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