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Avec les meubles tout en carton de Camille Renton-Epinette, la récup’ prend du galon

À la recherche d’une solution écologique et atypique, la jeune artisane autodidacte a lancé son entreprise de meubles en carton fin 2019. Rencontre avec une passionnée.

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« Je me suis lancée juste avant 2020. Ce n’était peut-être pas le meilleur moment », rigole Camille, 26 ans, fondatrice de l’entreprise « Ma maison est en carton« , qui fabrique des meubles tout en carton et sur mesure. Après une première moitié d’année compliquée par le confinement, elle se fait connaître grâce à un crowdfunding en avril 2020. La jeune artisane autodidacte récolte plus de 3 000 euros, qu’elle investit dans un vélo électrique et une remorque.

La jeune artisane peut même s’asseoir sur sa table basse en carton et papier kraft (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Le carton : matière première à zéro euro

Camille est ainsi libre d’aller récupérer sa matière première dans les boutiques de Strasbourg : du carton, et rien que du carton. Les magasins et ateliers de vélo regorgent de grands formats, pile ce qu’il lui faut. C’est ce que la Strasbourgeoise préfère dans ce matériau : on en trouve partout, à foison, et cela lui coûte exactement zéro euro.

La nouvelle remorque de Camille a été créée sur mesure par Sylvain, artisan de la métallerie L’Etincelle.

Depuis son emménagement à la Meinau à l’été 2020, Camille passe ses journées dans un atelier aménagé chez elle. Ni son compagnon, ni ses trois chats n’ont le droit de venir l’embêter pendant sa journée de travail. De 8h30 à 19h, elle fait naître de ses mains le futur mobilier insolite des Strasbourgeois.

À force d’automatismes, elle se permet de mettre une série télé en fond, ou un podcast (parmi ses préférés : Se sentir bien, d’Esther Taillifet, et Intentions, d’Isadora et Marisa). En ce moment, elle travaille sur une bibliothèque de deux mètres de haut, qui prend presque toute la place. Un stock de cartons occupe aussi tout un coin de la pièce, en plus de son bureau, d’une étagère pleine de vernis et de peinture, et d’une table haute pour faire les mesures et les découpes.

C’est dans le petit atelier de Camille que la magie opère. Du premier croquis à la livraison, elle fait tout toute seule (Photo DL/ Rue 89 Strasbourg)

Croquis et modèle 3D pour une pièce sur mesure

Comme pour toutes ses commandes, Camille fabrique un modèle unique, selon les besoins de ses clients. Ils ont l’idée, elle a l’œil pour la concrétiser :

« Les gens me donnent les mesures mais ne pensent pas à tout, par exemple l’espace qu’il faut laisser pour la plinthe ! La plupart du temps, je me rends chez eux pour bien me projeter dans l’espace. »

Puis, l’artisane se met aux croquis et à la modélisation 3D. Quand le client donne le go, elle s’attaque à sa partie préférée : la coupe, le modelage, le montage, toujours armée de son pistolet à colle. Rien n’est impossible pour le carton : Camille fait des tables basses, des meubles de rangement ou encore des meubles TV. Son slogan : « Votre seule limite, c’est votre imagination ».

Une fois monté, elle peut livrer le meuble presque tel quel, recouvert seulement de papier kraft et vernis, ou le peindre. « L’illusion » est d’abord parfaite. Et puis, à y regarder de plus près, certaines créations présentent un aspect cartoonesque, comme si un dessin s’était glissé dans le réel.

Du Do it Yourself à la fabrication pour les autres

Au milieu de ses créations, la jeune femme habillée de noir et d’une jupe à carreaux semble connaître sa matière sur le bout des doigts. Pourtant, elle a découvert le monde merveilleux du carton un peu par hasard, il y a 8 ans.

Camille a grandi à Epernay, près de Reims. Le premier studio dans lequel elle avait emménagé était non meublé. Jeune bachelière fraîchement débarquée sur le marché du travail, elle cherche alors une alternative aux meubles neufs, trop chers, trop encombrants, trop pénibles à déplacer. C’est sur internet qu’elle découvre les meubles en carton. Forte de quelques heures de tutoriels sur Youtube, elle décide de fabriquer les siens. Ainsi naissent ses premiers meubles de rangement, sa table basse…

D’une exposition à la création d’entreprise

Pendant huit ans, Camille continue à en fabriquer pour le plaisir. À l’époque, elle n’a pas à chercher bien loin pour se fournir puisqu’elle travaille dans une cartonnerie !

Arrivée à Strasbourg en 2014, elle travaille pour la mission locale. Après quelques années, sa responsable l’encourage à montrer ses créations lors d’une exposition dédiée aux « talents insoupçonnables de la Mission locale pour l’emploi » à la Chambre des métiers de Schiltigheim. Pour la créatrice, cette expo devient « le gros déclic ».

Camille a fait son propre meuble TV, qui posait une question : comment fixer des portières et des charnières dans du carton ? (Photo DL/Rue 89 Strasbourg)

Camille crée donc son entreprise en décembre 2019. Elle constate qu’elle doit devenir sa propre community manageuse, sa propre comptable, et qu’elle doit apprendre à se vendre. L’artisane se lance sur Facebook et Instagram, où près de 500 abonnés la suivent. Toutes ces casquettes pèsent lourd par moment, et lui prennent du temps :

« Au début je n’étais pas très réseaux sociaux… J’ai dû demander des conseils à ma sœur de 16 ans ! Heureusement, je suis très bien entourée amicalement : une amie graphiste m’a aidée pour le site internet. »

La passion d’un matériau qui « peut tout faire »

Quand elle n’est pas sur une commande en cours, Camille réfléchit, fait des tests pour trouver de nouvelles techniques. Cette agilité lui a permis de résoudre un problème de portes lors d’une commande d’armoire. Comment mettre des charnières sur une structure en carton ? Finalement, l’artisane a opté pour un système de contreplaqué, pour pouvoir enfoncer des vis dans une matière assez dense.

À regarder la bibliothèque qui trône dans son atelier, le néophyte est tenté de se demander comment elle pourra accueillir des kilos de livres, et s’il n’y a vraiment que du carton à l’intérieur. Pas d’armature en métal, pas de baguettes en bois pour soutenir le cadre, vraiment ? « Oui oui, un meuble en carton peut tout supporter », sourit Camille :

« Pour se laisser convaincre, il suffit d’aller voir à Ikea où les palettes qui tiennent des tonnes de meubles sont… en carton. »

Pour la bibliothèque sur laquelle elle travaille, Camille « remplit » chaque partie pour rendre l’ensemble plus solide : l’intérieur de chaque plaque horizontale est constituée de rainures de carton qui vont dans tous les sens. Ainsi, la bibliothèque peut soutenir plusieurs tonnes.

L’intérieur d’une plaque de carton horizontale, vue du dessus. C’est cette technique d’alvéoles qui permet au meuble de tenir n’importe quel poids (Photo Camille Renton-Epinette)

Camille engrène d’autres qualités méconnues du carton :

« Il suffit d’avoir le bon vernis ! Les Américains fabriquent des bateaux en carton, sur lequel il est possible de naviguer. Je pourrais faire des meubles d’extérieur sans problème. Le carton tient dans la durée aussi. Peut-être pas autant que du bois massif, mais certainement quelques années. »

L’artisane précise aussi qu’on peut lui donner toutes les formes, notamment arrondies. Il suffit de couper les cannelures à l’intérieur des parois de carton pour pouvoir les courber à loisirs. En témoigne un meuble de rangement gris clair dont elle se sert dans son atelier, incurvé sur le côté.

Le meuble de rangement de Camille (maintenant dans son atelier) est la preuve que le carton peut prendre toutes les formes et même soutenir le poids d’un adulte (Photo Camille Renton-Epinette)

La création et l’écologie, un héritage familial

Si son père était plutôt « bricoleur du dimanche », les talents créatifs semblent venir de son grand-père, un artiste peintre qui n’a « pas osé faire les Beaux-Arts, mais qui aurait pu ». Quelques-uns de ses tableaux ornent les murs de l’appartement de la Strasbourgeoise. Il était aussi sculpteur. Camille se souvient avoir toujours aimé fabriqué « des bagues en perles, des bougies… J’aidais mon père à monter des meubles, à couper du bois. »

Même les week-ends, Camille ne cesse pas de fabriquer, c’est un besoin viscéral. Elle brode, elle coud sur sa vieille machine Singer, elle peint, elle fait de la photo. Sans oublier son premier amour : la danse et la musique. 

Digne héritière de son grand-père, elle détonnait un peu à la maison, avec sa mère « pas créative pour un sou, même pas intéressée par la déco ». Mais cette dernière lui a transmis le souci de l’environnement, raconte la jeune artisane :

« Je baigne dans l’écologie depuis toute petite. Ma mère était très système D et récup’. Avant le carton, j’allais à Emmaüs et je fabriquais des trucs en palettes. Il était évident pour moi que j’allais me balader à vélo et utiliser des peintures et vernis à base d’eau. »

Aujourd’hui, Camille utilise les vernis et peintures de l’entreprise familiale Erika, basée en Alsace, sans solvant et vendus dans des contenants recyclables.

S’appuyer sur les petites communautés

C’est en échangeant avec d’autres cartonnistes qu’elle en a appris un peu plus sur les ficelles du métier. Ils ne sont pas très nombreux en France, même si deux autres femmes cartonnistes sont actives en Alsace. Camille a pu en contacter sur les réseaux sociaux. Les échanges lui permettent de nourrir sa réflexion et d’obtenir des conseils pratiques, par exemple sur la livraison. Parmi ses références, elle cite Éric Guiomar, qui a amené le meuble en carton en France en 1993 et dont elle aurait aimé suivre la formation, ou Schmulb, un artisan qui a développé sa propre méthode. Elle s’intéresse aussi au travail des Cartons flingueurs.

Aujourd’hui, Camille compte sur le bouche-à-oreille pour développer sa marque. Elle est entrée dans la petite communauté du marché des créateurs de Strasbourg. L’artisane n’a pas encore pu exposer à cause de la pandémie.

Alors elle profite de l’approche de Noël pour vendre quelques objets de décoration, faisant une entorse à son idée originelle de ne rien produire en série, de ne pas faire de stock. Camille commence à fabriquer des petites boîtes et continue avec des décorations de sapin de Noël, des calendriers de l’avent à forme sylvestre et des cartes postales. Tout est disponible dans sa boutique en ligne.

Camille regarde l’avenir avec confiance et apparaît épanouie entre son atelier et son appartement chaleureux, animé par des miaulements intempestifs. Son quartier lui convient parfaitement, il est calme, et « pas si loin du centre-ville ». Elle qui est née en Normandie était « tombée amoureuse de Strasbourg » en rendant visite à une amie. Elle s’était jurée de venir y habiter. Maintenant, si vous croisez une belle remorque verte remplie d’une quantité inhabituelle de carton, vous savez que dans quelques semaines, quelqu’un recevra un beau cadeau de Noël : solide, mais léger comme une plume.


Des Strasbourgeoises et des Strasbourgeois mieux connus par leurs exploits ou leurs réalisations en dehors de l’Alsace que par leurs voisins. Et cette série d’articles est là pour changer ça !

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