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Avec la grande mosquée, l’Islam s’enracine à Strasbourg

Les musulmans débutent aujourd’hui le premier jour du mois de Ramadan. A Strasbourg, ils vont pouvoir le faire à la grande mosquée, enfin prête, après huit années d’un feuilleton à rebondissements. Mais l’inauguration à la rentrée de cette mosquée ne marque pas la fin des revendications de la communauté musulmane à Strasbourg.

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Les musulmans débutent aujourd’hui le premier jour du mois de Ramadan. A Strasbourg, ils vont pouvoir le faire à la grande mosquée, enfin prête, après huit années d’un feuilleton à rebondissements. Mais l’inauguration à la rentrée de cette mosquée ne marque pas la fin des revendications de la communauté musulmane à Strasbourg.

La splendide coupole cuivrée de la grande mosquée pointe vers les cieux strasbourgeois au Heyritz depuis octobre 2009. Et aujourd’hui pour le premier jour du mois de Ramadan, les fidèles pourront se prosterner dans la salle de prière entièrement décorée. Mais l’édifice a bien failli ne jamais voir le jour. Demandé par la communauté musulmane depuis plus de 20 ans, la première pierre de la grande mosquée n’a été posée qu’en octobre 2004 malgré un permis de construire votée en 1999. En mars 2008, le chantier s’est arrêté un an devant les incertitudes juridiques et financières de ce projet colossal.

Le projet, revu à la baisse sans minaret et sans centre culturel, devait coûter 8,8 millions d’euros. Ce sera plutôt autour de 10 millions d’euros, selon Fouad Douai, le gérant de la société civile immobilière (SCI). Les financeurs sont donc priés de rallonger un peu leur obole pour boucler le budget. Le Koweït, l’Arabie saoudite et le Maroc ont apporté un tiers du budget initial, la Ville s’est engagée à financer l’édifice à hauteur de 10%, le conseil général à 8%, le conseil régional à 8%, le reste étant pris en charge par les fidèles eux-mêmes. Le cofinancement par des collectivités locales est rendu possible par le régime concordataire.

Pour Fouad Douai, l’ouverture aujourd’hui de la grande mosquée est un soulagement :

« On l’aura attendue cette mosquée ! Elle est belle n’est-ce pas ? Pour nous, c’était très important que la communauté musulmane puisse disposer d’un tel lieu, emblématique. C’est la preuve de l’enracinement de l’Islam à Strasbourg, c’est un geste fort d’inscription de la communauté musulmane dans la ville. »

Mais malgré ses 1 500 places dans la salle de prière, la grande mosquée ne sera pas une « cathédrale des musulmans » strasbourgeois. Pilotée par l’association qui était en charge de la mosquée de l’impasse du Mai, elle sera surtout utilisée par les fidèles dont les attaches sont au Maghreb. Ses administrateurs ont des liens avec le Maroc, et toute sa décoration intérieure, dont notamment le zellige constitué de 500 000 émaux, a été réalisée par des artisans de Fes. Pour tous les musulmans d’origine turque par exemple, la mosquée de référence est Eyyub Sultan, installée dans d’anciens hangars à la Meinau, avec une salle de prière de 1500 places depuis 1996.

Yahya Nalbant, porte-parole de l’association qui gère cette mosquée, détaille la situation de sa communauté :

« Nos locaux ne nous conviennent pas. D’abord, ces hangars ne ressemblent pas à une mosquée. Et c’est très mal isolé: on a trop chaud l’été, trop froid l’hiver. Nous avons une école coranique pour enseigner les Ecritures aux enfants, mais ils ne peuvent pas se défouler lors des pauses entre les cours, car la cour intérieure est bien trop petite. Bref, une grande mosquée à Strasbourg, ça nous fait plaisir pour l’Islam en France, mais pour nous, les problèmes liés à notre lieu de culte sont toujours présents. »

Même chose dans les quartiers, où chaque association de fidèles ambitionne d’élever sa mosquée ou est en train de le faire. Ainsi, une mosquée est en construction à la cité de l’Ill à la Robertsau, des locaux vont être aménagés au Neuhof, une mosquée va être construite maille Brigitte à Hautepierre et des locaux ont été mis à la disposition d’associations à la Meinau, à l’Elsau, à la Montagne-Verte et à Koenigshoffen.

Les débuts d’un Islam strasbourgeois

Pour Franck Frégosi, sociologue spécialiste de l’Islam et enseignant à Strasbourg, ces constructions sont le signe d’un changement de génération dans les cadres de la communauté musulmane :

« Les Musulmans des premières générations d’immigrés ont vécu en France avec le mythe du retour au pays, c’est pourquoi ils se contentaient de locaux temporaires, des aménagements. Mais aujourd’hui, les Musulmans nés en France veulent construire parce qu’ils restent et meurent ici, ils veulent être propriétaires de leurs lieux de culte, et non plus locataires, de passage. On assiste donc à Strasbourg à une double polarisation, autour de la grande mosquée et d’Eyyub Sultan, avec en satellites des associations de quartier pour ces deux pratiques cultuelles, mais d’autres également dont les fidèles sont moins nombreux (musulmans issus d’Afrique noire, d’Asie…). »

Olivier Bitz, adjoint au maire de Strasbourg en charge des cultes, confirme cette analyse :

« Avant les années 2000, il y avait finalement peu de demandes de la part de la communauté musulmane. Puis des projets se sont structurés et sont devenus mûrs. Nous accompagnons, avec le même niveau d’engagement, soit 10% du budget, les projets de lieux de cultes qui émergent et qui sont solides. Pour la grande mosquée, nous nous sommes un peu plus engagés parce que le projet risquait de ne jamais voir le jour d’une part et qu’il nous semblait important que l’Islam dispose d’un lieu emblématique à Strasbourg. Notre objectif est que les musulmans strasbourgeois se sentent d’abord strasbourgeois, c’est la raison pour laquelle nous avons créé un cimetière musulman. »

Car la question du retour des corps au pays d’origine est, avec les constructions, un autre indicateur de l’intégration d’une communauté religieuse. Yahya Nalbant d’Eyyub Sultan note une « nette baisse » des rapatriements depuis que le cimetière musulman existe. A l’inverse, le ministère des affaires religieuses turc a lancé à Strasbourg-Hautepierre son propre service de rapatriement, avec une faculté de théologie musulmane, preuve qu’une sourde bataille d’influence se joue entre la France et la Turquie.

La question des mosquées réglée, ou en voie de l’être, l’attention de la communauté musulmane de Strasbourg va donc désormais se porter sur d’autres sujets : la formation des futurs imams avec la création du volet religieux d’une faculté de théologie musulmane, l’enseignement de l’Islam dans les écoles alsaciennes, et la construction d’un centre culturel. Pour certains membres de la communauté, le prochain objectif est d’élever un minaret à côté de la grande mosquée.

Pour aller plus loin

Sur YouTube : voir le reportage de l’AFP en vidéo.


#Fouad Douai

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