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« Aux temps du Sida » au musée d’art moderne, résistance et pulsion de vie provoquent une explosion des sens

Une nouvelle exposition incontournable commence vendredi 6 octobre au musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. « Aux temps du sida » est un événement hors-norme, une traversée de quatre décennies de création dans une scénographie brillante, qui plonge le public dans une pulsion de vie et une colère résistante.

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Le directeur des musées de Strasbourg peine à contenir son émotion. Ravi, Paul Lang décrit cette exposition « hors-norme » intitulée « Aux temps du Sida – Œuvres, récits et entrelacs ». Bientôt remplacé par Émilie Girard, le grand homme en costume tire sa révérence avec une exposition marquante pour l’histoire du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (Mamcs). Il s’agit de « faire entrer l’établissement dans le XXIe siècle et d’amplifier son statut de marqueur dans la société ».

« Une expo qui scintille et qui pulse »

Une mission réussie avec brio par l’équipe de la commissaire générale Estelle Pietrzyk. La responsable du Mamcs ouvre ainsi un nouveau chapitre dans l’histoire de son établissement, après trois ans d’écriture, de recherche des œuvres et de montage. Elle prévient d’emblée, accompagnée par la voix de Prince : « C’est une exposition qui va vous solliciter, entre empathie et pulsion de vie. C’est une expo qui scintille et qui pulse. »

La promesse est tenue. À peine l’entrée de l’exposition franchie, une scénographie exceptionnelle se déploie, rappelant l’événement du Mamcs dédié à Alice au pays des merveilles et au surréalisme. Passé l’antichambre et le portrait juvénile de John Hamming intitulé « I survived Aids » (j’ai survécu au Sida en anglais), le public s’approche d’une pièce aménagée en discothèque. Sur les murs autour, des slogans en lettres capitales sur fond fluo installent une ambiance où la fête est existentielle : « Je danse donc je suis. » Une fois passée la porte surmontée d’un « Je sors ce soir », du nom d’un ouvrage de l’écrivain gay Guillaume Dustan, le public est immergé dans une pénombre bleutée et stroboscopique. Sur les murs, des vinyles rappellent les hits des années 80 et 90.

Une moquette rouge sang, une petite salle de cinéma

Par un agencement presque labyrinthique, l’exposition maintient le public en alerte. Ici, pas de promenade au milieu d’œuvres soigneusement accrochées dans des couloirs rectilignes et froids. Au Mamcs dès le 6 octobre, la moquette se teinte de rouge lorsque les tableaux et autres installations abordent le thème du Sida par le prisme du sang. Plus loin, une petite salle de cinéma projette des extraits du palpitant « 120 battements par minute » de Robin Campillo ou de « Mauvais sang » de Léos Carax. Juste à côté, le sol reprend une couleur de gris béton. Dans cette pièce sont exposés les témoignages sur le rapport au temps décrit par des personnes atteintes du VIH, accompagné d’une bande-son où David Bowie chante « Modern love ».

Bien plus qu’une exposition artistique, c’est la mise en scène d’une époque, aussi à travers la connaissance scientifique et la culture populaire. En témoigne une petite pièce aménagée comme un salon au milieu du parcours. On peut s’y installer devant la télé, pour voir l’association de lutte contre le Sida Act Up envahir la cathédrale de Strasbourg ou la journaliste Christine Ockrent se demander au journal télévisé si le VIH n’est pas un « cancer gay » transmis par la consommation de poppers. Pour la partie la plus sombre de l’exposition, pleine de photographies de Robbert Mapplethorpe, il vous suffira d’ouvrir la porte de l’armoire.

Donner au chaos du sens et de la joie

Le parcours proposé par le MAMCS donne de la force. Comme le résume Anna Millers, membre de l’équipe de recherche de l’exposition, « il y a eu un fort engagement de l’équipe de travail, en associant notamment le secteur associatif et médical, mais aussi en échangeant beaucoup avec celles et ceux qui ont vécu le SIDA, pour trouver les mots justes ». On sort de cet événement avec l’envie de résister, encouragé par l’un des derniers panneaux de l’exposition, aux couleurs de l’association Act Up, avec ce message clair : « Silence = mort ». Une fin de parcours qui rappelle l’entrée de l’exposition, et le subtil équilibre maintenu tout au long des œuvres exposées, entre vie et mort, entre colère et résistance, et cette citation de David Wojnarowicz, militant homosexuel et auteur du livre « Au bord du gouffre », qui s’adresse à « tous les gars et les filles passées et à venir qui donnent au chaos du sens et de la joie ».


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