Sur une trentaine de patients qui décèdent chaque semaine au CHU de Hautepierre, vous en rencontrez au moins trois ou quatre. Pourquoi ces personnes font-elles appel à vous ? Est-ce parce que l’on veut tous croire en l’au-delà sur son lit de mort ?
« (Rires) Ça c’est une image d’Epinal ! C’est ce que tout le monde imagine, mais la réalité est beaucoup plus compliquée. D’abord, je rencontre les malades qui en font la demande, de tous âges et de tous milieux, souvent parce qu’ils ont lu mes bouquins ou parce qu’on leur a parlé de moi. Le bouche à oreille marche à plein ! Toutes les mamies de Krautergersheim et d’ailleurs ont mon numéro (Rires à nouveau) ! Le personnel ou les familles me demandent aussi d’aller parler avec untel ou untel parce qu’il est déprimé ou n’a pas beaucoup de visites… »
Pas là pour coller un sparadrap spirituel sur les patients
« Souvent, ce sont les gens hospitalisés pour une intervention chirurgicale grave qui veulent discuter, confier leurs angoisses, ou pour que je les intègre dans mes prières. J’interviens surtout en services de cancérologie et en réanimation, des gros pourvoyeurs de décès au CHU. Mais attention ! Je ne suis pas là pour coller un sparadrap spirituel sur les patients ! Je ne suis pas devenu prêtre pour sauver les âmes, mais pour donner de l’espérance et faire passer le message de l’amour de Dieu… »
Administrez-vous des sacrements ?
« Certaines personnes, les plus religieuses, demandent une onction des malades ou à recevoir la communion. Des parents veulent faire baptiser des enfants qui vont mourir. Mais la plupart veulent juste discuter. Même si je précise toujours que je ne suis pas un psy, que je suis prêtre. La différence, c’est que le psy reste à l’extérieur, alors que moi, je partage des petites choses avec les gens… Si je ne suis pas disponible un soir, j’explique que je suis invité par des amis, alors qu’un psy dirait simplement qu’il ne consulte pas.
Cette relation s’établit avant les derniers moments du malade. Car non, on ne rencontre pas Dieu sur son lit de mort. Souvent, avant de mourir, les patients sont sédatés, sous morphine ou autre. C’est extrêmement rare qu’un mourant me dise : « Je sens la mort venir, il faut que je me prépare ».
Quelle est alors la préoccupation du malade qui sait que la mort est proche ?
« Souvent, le malade pense avant tout au chagrin que sa mort va causer à ses proches. Il se bat pour survivre, pour ne pas les quitter. L’au-delà n’est pas la première des préoccupations. Et puis la croyance en la vie après la mort a évolué. Beaucoup de gens n’y croient plus ! Dieu sert surtout de bouc-émissaire pour expliquer la maladie ou la mort d’un proche. Dans notre inconscient, Dieu est gentil, il est amour, alors comment peut-il nous laisser tant souffrir ? »
« L’Eglise est dans la morale, je suis dans l’éthique »
« Les parents dont un enfant meurt, eux, veulent croire en un après. C’est impossible pour une mère qui vient de perdre un bébé de se dire qu’elle ne le reverra jamais. Lors des obsèques, les parents parlent de leur « petit ange », du moment où ils seront « réunis »… »
Quel accueil pour ceux qui font un choix que réprouve l’Eglise ?
« Mon rôle est aussi de recevoir les parents qui sont confrontés à l’interruption médicale de grossesse (IMG) par exemple. Je ne ferme la porte à personne ! Alors que la position de l’Eglise est de dire « non, tu ne tueras point », mon rôle est d’éveiller les consciences des parents à leur situation singulière : parviendront-ils à vivre avec un enfant handicapé, comment cet enfant trouverait sa place dans la société… J’entends les arguments de l’Eglise, mais je suis du côtés des parents, je les soutiens dans leur choix quel qu’il soit. L’Eglise est dans la morale, je suis dans l’éthique. Je ne suis pas un « manager de Dieu » qui parle en son nom et dit « tu dois » ou « tu ne dois pas ». Je reste humble, rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. »
Auteur de six ouvrages, dont un dernier qui évoque son travail d’aumônier au CHU, intitulé « Contre vents et marées » (éditions Presse de la Renaissance, 2010, préfacé par Catherine Trautmann), le prêtre de l’hôpital est la star des célébrations du dimanche matin à la chapelle de l’hôpital de Hautepierre, où il se félicite de rassembler « 250 à 300 personnes chaque semaine ». La dernière église qui ne connait pas la crise ?
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