C’est au Théâtre Actuel et Public de Strasbourg (TAPS) qu’une troupe de jeunes artistes présente le dernier spectacle d’Olivier Chapelet, directeur du lieu, jusqu’à vendredi. ADN (Acide Désoxyribonucléique) de l’auteur anglais Denis Kelly explore les angoisses de jeunes meurtriers. Ce spectacle, inscrit dans la programmation du TAPS, est gratuit et doit permettre aux étudiants acteurs, scénographes et compositeurs de faire leurs armes.
ADN (Acide Désoxyribo Nucléique) c’est l’histoire cynique d’un groupe d’adolescents qui tente de camoufler leur meurtre. C’est l’histoire d’une bande archétypale de lycéens, avec le gros dur, le garçon manqué, la fille délurée, les jumelles hyperactives… Des personnalités effacées au profit de rôles à jouer dans la micro-société du lycée. C’est l’histoire d’un groupe emporté par sa propre immunité, par le jeu, par sa déconnexion et qui finit par tuer son souffre-douleur à force de harcèlement. « C’était pour rire, on riait tous, » répètent-ils en racontant leur meurtre. C’est l’histoire d’une jeunesse en décalage avec le réel, et c’est ce qui intéresse Olivier Chapelet :
« Le texte fait se confronter le monde de la jeunesse, très lié à l’image et au virtuel, et la réalité de la société, avec ses difficultés. Peut-être que l’origine de l’acte qu’ils ont commis était inspirée par le virtuel, sauf que les conséquences sont réelles. Avec un mort dans la réalité, on ne peut pas revenir en arrière ou se dire que c’est pour de faux. »
La fable cruelle de l’adolescence
L’espace est en bifrontal, avec le plateau pris entre les deux rangs des spectateurs. La mise en regard du public face à lui-même rappelle constamment le caractère artificiel du spectacle. C’est un garde-fou dans une histoire qui brouille les frontières du réel. La bifrontalité est très courante dans le théâtre contemporain, mais c’est la première fois qu’Olivier Chapelet s’y essaye :
« Avec les étudiants, j’essaye de travailler sur des univers que je ne connais pas. Je me mets aussi en danger. »
L’histoire prend place dans une forêt. Le sol du théâtre est couvert de terre et de bois. Les deux entrées de part et d’autre du plateau, avec la lumière tombant des cintres, font de la scène une clairière. Ce lieu, habité seulement par les enfants qui arrivent et repartent d’une ville lointaine, est celui de leur fable. C’est leur repaire, l’endroit où ils sont chez eux. Entre les scènes, la lumière s’éteint, et la création sonore de Jad El Khechen et Salvatore Iaia (étudiants à l’Académie supérieure de musique de la HEAR) emplit l’obscurité de tumulte.
Il y a des grésillements électriques et des bruits menaçants. Parfois la nuit est trouée par des tubes luminescents qui descendent sur le plateau et éclairent des ombres traversant la forêt. Pour suivre les exigences techniques du lieu, les élèves scénographes de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR) Laura Cortes-Ardila, Elsa Markou et Laurine Firmin ont travaillé avec Denis Rondel et Sébastien Small, les régisseurs du TAPS.
Un vivier de futurs professionnels
Les acteurs sont les élèves du Cycle d’Orientation Professionnelle (COP) du Conservatoire à rayonnement régional de Strasbourg. Au moment de la programmation de la saison, Olivier Chapelet ne sait pas encore avec quels acteurs et actrices il travaillera. Les personnages d’ADN ont été modifiés afin de mieux correspondre aux jeunes acteurs. La distribution n’est pas sexuée, le genre des personnage interchangeable et certains éléments ont même été retouchés.
Le personnage de Phil, l’architecte méticuleux du mensonge qui structure la pièce, est un sociopathe. Campé par Rudi Berschinski, son mutisme quasi-permanent intrigue. Il ne parle que pour donner des ordres. Dans le texte original, Phil mange toute sortes de gâteaux et confiseries, créant un décalage avec sa cruauté. Dans leur version, les élèves du COP ont décidé de ne lui attribuer que des sucettes, renforçant encore plus le contraste entre l’imagerie enfantine du bonbon et le personnage.
C’est ainsi que l’a pensé Rudi Berschinski, qui, pour s’approprier le rôle, est passé par sa psychologie :
« Phil ne se pense pas méchant. Quand il élabore ses plans pour sauver son groupe d’amis, il pense qu’il est un super héros, c’est comme ça que j’ai pensé le personnage. »
Ce travail de remaniement de l’œuvre originale affirme d’abord la liberté de création d’un théâtre contemporain qui ne se met pas au service du texte mais le prend comme une matière première.
Ensuite, il permet de faire jouer des personnages par des acteurs qui se les approprient. Lucie Bores, Camille Girard, Mallaury Miliani, Rudi Berschinski, Joséphine Hazard, Gabril Seidenbinder, Emma Lecordier, Mélisende Marchand et Claire Gaborit jouent des rôles qui leur sont très proches. Bien que le travail de composition permette théoriquement à n’importe quel acteur de jouer n’importe quoi, l’incarnation de ces adolescents est plus pertinente avec de jeunes acteurs, de l’avis d’Olivier Chapelet :
« Je n’aime pas faire jouer aux comédiens des rôles trop éloignés d’eux. La proximité affective est propice à l’éclosion de l’émotion artistique »
La cohésion des personnages est soutenue par celle des comédiens. Les acteurs et actrices peuvent surtout trouver dans ce spectacle l’opportunité de se confronter à la scène et de faire valoir une expérience de travail correspondant aux standards des productions du théâtre public. C’est là le cœur de cette initiative bisannuelle, qui doit « faire le trait d’union entre des étudiants, futurs professionnels du spectacle vivant, et les professionnels plus anciens. » Olivier Chapelet désire faire de ces spectacles à la fois la vitrine et la promotion du renouveau de la scène strasbourgeoise.
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