Vêtue d’une nuisette, une femme déambule entre les spectateurs : il s’agit d’Aglaé, personnage éponyme de la dernière pièce de Jean-Michel Rabeux. Elle nous reçoit comme chez elle et revient pendant une heure sur son parcours, qu’elle livre aux spectateurs dans une atmosphère intimiste. À 72 ans, Aglaé est selon ses mots « une vieille pute ». Et fière de l’être car comme elle le déclare « c’est un métier comme un autre ». Ses premières expériences remontent à ses douze ans, avec les copains de son frère. Elle a poursuivi cette activité entre HLM et beaux quartiers, de Sarcelles – où elle est née – à Marseille.
« Retranscrire ses paroles sans la trahir »
Bien qu’il s’agisse d’un nom d’emprunt, les paroles sont celles de la « vraie » Aglaé, que Jean-Michel Rabeux, avec Claude Degliame, a rencontrée à Marseille. Ce dernier explique :
« Elle a exigé l’anonymat, mais pas pour les raisons qu’on supposerait. Son métier elle en est fière. Elle est fière de sa vie. Elle n’a rien à cacher, sauf à une personne, son fils, qui est peut-être sa fille, parce qu’apparemment elle brouille quelques pistes. »
Ce témoignage authentique part donc d’une rencontre, fortuite, d’une relation d’hôpital qui a amené le metteur en scène à s’entretenir avec cette femme durant six heures. Il a enregistré ses propos puis a retravaillé le texte, changé quelques liaisons, coupé certains passages trop « hard », et l’a adapté à une mise en scène d’une heure. Mais l’esprit, les mots, demeurent ceux d’Aglaé. La forme est d’ailleurs plutôt celle d’un témoignage.
Entre anecdotes drôles et crues, Aglaé nous parle du monde mais aussi de sa vie, de sa relation avec son fils et de ses petits enfants qu’elle n’a jamais voulu rencontrer. Elle s’imagine une scène : « Vous me voyez, moi, en famille ? « – Elle fait quoi mémé ? – Mémé elle suce des bites ! ». Elle se confie également sur le temps qui passe : « Ça me plaît de plaire, pas de les faire bander, ça c’est facile. De plaire encore à mon âge. » Aglaé se fiche de ce que la société pense d’elle et c’est ce qui la rend à la fois libre et scandaleuse.
À la recherche du contact avec le public
Le dispositif scénique et la mise en scène créent une ambiance de complicité. Le public est fragmenté et la frontière entre scène et public est éclatée. Jean-Michel Rabeux précise :
« Il n’y a pas de plateau. Il y a un « à-plat » qui mélange l’actrice et les spectateurs. Claude est au milieu des gens, elle se déplace debout au milieu d’eux assis. C’est la « langue parlée » qui nous a amenés à tenter cette extrême proximité. (…) Nous recherchons le contact physique le plus direct possible avec les spectateurs. »
Claude Degliame se déplace, frôle quelques spectateurs, offre un verre à un membre du public… Comme le rappelle l’actrice « on parle d’une chose ensemble ». L’agencement met tout le monde est en position de spectateur et d’être regardé, Aglaé et ceux qui sont venus l’écouter forment une « humanité commune », selon les mots du metteur en scène.
« Elles en connaissent un rayon sur l’humanité »
Si le personnage d’Aglaé est une prostituée, on n’entre pas dans le débat sur la prostitution. Ce qui intéresse le metteur en scène c’est elle en tant qu’humain, bien que son métier ait façonné sa connaissance et son regard sur l’Homme. Le spectacle porte sa parole, une parole transgressive qui peut être dérangeante et avec laquelle on peut être en désaccord :
« Nous ne sommes pas d’accord avec tout ce que dit Aglaé, loin de là, mais c’est peut-être ce désaccord qui nous a fait tenter le plateau. Elle sait des choses que nous ne savons pas, elle les sait avec son corps, c’est, à bien des égards, difficile de se mettre à sa place. C’est pourtant exactement ce que Claude Degliame va faire, tenter de faire, se mettre à sa place, prendre sa place, pour vous faire ressentir ce que nous avons, par elle, ressenti. »
Le témoignage d’Aglaé peut être aussi brusque qu’empreint de délicatesse et d’intelligence. Sa voix est incarnée par la comédienne Claude Degliame, dont l’interprétation a été fortement saluée, et qui rend un bel hommage à la liberté et au charme de cette « grande Dame ».
Chargement des commentaires…