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Au lycée Jean Rostand, l’excellence vient de la mixité des origines

Depuis quatre ans, le lycée Jean Rostand à Strasbourg accueille les meilleurs élèves issus des quartiers populaires dans des « classes expérimentales », composées exclusivement de très bons éléments. Une manière de les pousser vers les filières d’excellence. Et ça marche. Témoignages.

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Sur les 36 élèves recrutés sur d’excellents dossiers scolaires, 12 viennent de ZEP. (Photo BC / Rue89 Strasbourg)

Pour leur premier cours de français de la rentrée, les 36 élèves de la première B du lycée Jean Rostand à Strasbourg sont plongés dans l’analyse de textes de théâtre. Face à leur professeur, les réponses fusent, dans une ambiance de grande concentration.

Le ticket d’entrée : 17/20 de moyenne

Il faut dire qu’on n’entre ici qu’après une étude approfondie du dossier scolaire par une « commission de sélection », dont l’un des critères est un minimum de 17/20 de moyenne dans son collège d’origine. Ce dispositif élitaire a été mis en place par le gouvernement Fillon au sein du « plan Espoir Banlieues » de 2008, qui avait lancé les « internats d’excellence », en annonçant créer 4 000 places en cinq ans pour des internes au très bon niveau scolaire, afin de les plonger dans un environnement favorable à leur réussite.

La terminologie a changé avec les gouvernements successifs : on parle désormais d’un dispositif « de l’éducation prioritaire à la classe préparatoire ». Ces « classes d’excellence » existent dans plusieurs lycées strasbourgeois. Particularité des classes expérimentales du lycée Jean Rostand : une forte présence d’élèves issus des Réseaux d’Éducation Prioritaire (REP), réunis dans une classe par niveau. Dans ces groupes, un élève sur trois vient des collèges recrutant sur des quartiers populaires et souvent périphériques, avec des parcours scolaires parfois mouvementés.

Sofia, 17 ans, veut devenir pédiatre. Elle est arrivée du collège François-Truffaut à la rentrée 2014. (Photo BC / Rue89 Strasbourg)

Quatre mois pour apprendre le français

C’est le cas de Sofia et Hamosa, deux Afghanes de 17 et 16 ans, qui veulent « faire médecine » après leur terminale et la mention « très bien » qu’elles espèrent obtenir au bac. La première est née à Strasbourg. La seconde n’y est arrivée qu’en 2012, après avoir fui Kaboul avec sa mère et ses cinq frères et sœurs.

Hamosa a dû apprendre le français en quatre mois, en intégrant une classe de troisième du collège François Truffaut, à Hautepierre. Un établissement classé REP+. À la fin de l’année, Hamosa a entendu parler de la classe expérimentale par une copine, qui l’a poussée à postuler avec elle et Sofia. Toutes les trois ont intégré le dispositif l’an dernier, en entrant en seconde. Dans un français parfait, Hamosa revient sur ce parcours tumultueux :

« Ce fut une année particulièrement difficile. Pour moi, le plus dur, c’était d’apprendre tout le vocabulaire qui me manquait pour les dissertations, les analyses de texte et l’argumentation. En troisième, on faisait surtout de la grammaire et j’étais plutôt bonne. Mais en seconde, j’avais beaucoup de lacunes à rattraper. En plus des cours de soutien, mes copines m’aident à améliorer mon français en corrigeant spontanément mes fautes à l’oral ».

Hamosa est née à Kaboul. Elle est arrivée à Strasbourg en 2012 et a appris le français en quatre mois. Elle souhaite intégrer la classe préparatoire du lycée après le bac. (Photo BC / Rue89 Strasbourg)

Entraide et solidarité

Ces excellents élèves, habitués à être premiers de leur classe au collège, arrivent au lycée et se confrontent à un niveau général très élevé. Ils apprennent à ne plus être le meilleur des meilleurs, tout en travaillant pour faire mieux. Et en apprenant à s’entraider. Gaël, passé tour à tour d’un établissement privé du centre-ville au collège du Stockfeld (REP), a appris à relativiser :

« Avant, j’aidais mes copains de classe. Maintenant, c’est souvent moi qui ai besoin d’aide. Je me souviens du premier contrôle de maths : j’étais habitué à avoir plutôt de bonnes notes, et là, je me suis tapé un 9/20. Ça a fait mal, surtout quand j’ai entendu que d’autres avaient trouvé ça facile. En fait, j’ai appris à mettre mes notes en perspective, à organiser mon travail et à chercher de l’aide auprès des autres ».

La solidarité, l’entraide et l’intégration des plus faibles parmi les forts, c’est exactement le sens de la pédagogie du lycée, et en particulier de cette classe, explique le proviseur, Rémy Sublon :

« Chaque année, nous recrutons en seconde 36 élèves dont 12 issus des REP. À ma connaissance, nous sommes la seule classe de l’Académie à avoir un quota aussi élevé « d’élèves REP » dans une classe. L’originalité de cette démarche réside dans le fait que plus qu’ailleurs, nous les poussons à se soutenir les uns les autres. Nous faisons en sorte que les élèves restent ensemble pendant tout leur lycée et acquièrent une ambition légitime, qu’ils soient enfants de profs, de médecins ou d’ouvriers. Cette classe est à la fois un vecteur de réussite et d’ascension sociale. »

Gaël est passé du collège de Stockfeld au lycée Rostand. Il a dû « corriger de mauvaises habitudes de travail » et apprendre à se faire aider. Il aimerait devenir architecte. (Photo BC / Rue89 Strasbourg)

Une attractivité du lycée renforcée

Le lycée Jean Rostand est spécialisé dans les filières scientifiques, en particulier en médecine et dans les techniques de laboratoires. Ce qui lui permet de recruter des élèves de tous les secteurs du département. L’attractivité est d’ailleurs de plus en plus forte : seuls 350 élèves sur les 700 candidats ont été retenus en seconde pour la rentrée 2015. Et la classe expérimentale ne compte que 36 places : une seule de plus que les autres.

Chaque année, la commission de recrutement composée de professeurs du lycée sélectionne une cinquantaine de dossiers avant de s’entretenir avec les parents des élèves. Patricia Kleindienst, professeur de lettres modernes, indique qu’ils cherchent des jeunes qui ne soient pas seulement « scolaires » :

« On étudie les remarques, l’attitude face aux autres et face au monde. On insiste auprès des parents sur la démarche humaniste de l’éducation : on parle de valeurs, pas simplement de bonnes notes ».

Pas de distinction en fonction des origines

À la fin, c’est le proviseur qui tranche, après consultation des professeurs. Et le rendez-vous est pris pour la pré-rentrée pour les candidats retenus : trois jours d’évasion au vert pour la nouvelle classe expérimentale, afin que les élèves fassent connaissance dans un environnement différent du lycée. « En fait, il n’y a aucun clan », conviennent unanimement les élèves interrogés. Gaël, qui veut devenir architecte, détaille :

« On ne fait pas de distinction entre ceux qui viennent de ZEP et les autres. Comme on arrive, tous de collèges différents, les amitiés se font par affinité, et certainement pas par catégorie sociale ».

Pour lui comme pour les autres, il n’y a pas vraiment de compétition pour décrocher la première place au classement :

« En revanche, au collège du Stockfeld, nous étions plusieurs à postuler pour cette classe de seconde, et là, il a fallu s’imposer pour avoir le meilleur résultat ».

De son côté, Rémy Sublon admet :

« Il est vrai qu’on protège un peu nos « élèves REP », mais je ne veux pas transformer cette classe en “prépa” avant l’heure.. Il ne s’agit pas du tout de pousser à la compétitivité des élèves ou à la concurrence acharnée. Le risque est fort, pour des lycées qui mettent en place des classes d’excellence, de déséquilibrer tout l’établissement : les autres classes finissent parfois par pâtir de la réputation des meilleurs ».

Patricia Kleindienst est professeur de français de la première B. Elle a enseigné pendant quatorze ans en ZEP, au Neuhof. (Photo BC / Rue89 Strasbourg)

Des « quartiers » au centre-ville : la barrière de la langue

Patricia Kleindienst a enseigné pendant quatorze ans dans l’un des établissements les plus difficiles de Strasbourg : le collège Solignac, au Neuhof. Dans la première classe expérimentale où elle a travaillé à Jean Rostand, quelques bons élèves venaient de ce que d’aucuns appellent le « ghetto » de l’Académie de Strasbourg. Quand les vœux d’orientation furent connus, certains furent traités de « bouffons » pour vouloir partir étudier « chez les bourges ».

Patricia Kleindienst analyse cette dualité chez ses élèves :

« Au début, j’avoue que l’idée de réunir les meilleurs élèves des collèges des REP dans une classe spéciale ne m’a pas vraiment enchantée. J’avais peur de l’élitisme, mais j’avoue avoir été agréablement surprise. Au début, beaucoup étaient perdus. Encore aujourd’hui, je les sens encore parfois flattés mais perdus. Certains vivent entre deux mondes : entre la honte de venir des « quartiers » et le doute de pouvoir réussir à ce niveau. Mais cette année, je les sens plus à l’aise. La mixité sociale et culturelle n’apporte vraiment que du bon et crée une émulation positive. Ça ne veut pas dire que tout fonctionne parfaitement, notamment pour des élèves issus des REP qui ont parfois des difficultés à s’exprimer, mais l’ambiance de travail et l’ouverture à l’autre sont là. »

Sofia, venue de Hautepierre et encouragée par ses camarades et ses professeurs à rejoindre la filière exigeante, avoue qu’elle avait « beaucoup de mal à m’exprimer normalement ». Elle se sent aujourd’hui parfaitement intégrée au groupe et plaisante avec son amie Karina, une jeune fille née à Grozny, en Tchétchénie, et arrivée en France en 2005 :

« Ta manière de parler est très influencée par les gens que tu fréquentes. En cours, je mélangeais les registres. Mais en arrivant en seconde, comme j’étais entourée de gens qui s’exprimaient correctement, les mots que j’utilise ont changé. »

Sofia aimerait devenir pédiatre et envisage de poursuivre en classe préparatoire, à Jean Rostand ou ailleurs, pour entrer à la fac de médecine. Karina la suivrait en médecine, mais peut-être dans une autre spécialisation.

Le risque de rendre la situation plus difficile dans les quartiers

Mais attirer les meilleurs éléments, n’est-ce pas priver d’autres lycées de bons élèves qui pourraient en aider d’autres à apprendre ? Rémy Sublon s’en défend :

« Notre offre de spécialisation nous permet de recruter des collégiens de troisième dans tout le département. Pour leurs études, ils doivent bien souvent quitter leur secteur d’origine. Donc de toutes façons, ils n’iraient pas forcément dans le lycée de leur secteur. L’enjeu n’est pas seulement celui d’une classe : il s’agit d’améliorer la mixité sociale dans tous les lycées, afin que la géographie des établissements de secteur et leurs milieux culturels ne déterminent pas l’avenir des jeunes. Trop de lycées manquent encore de mixité, d’hétérogénéité. Cet équilibre social et culturel est un garant de réussite. »

Quant à Patricia Kleindienst, elle estime que « de bons élèves ne sont pas seulement les élèves qui ont les meilleures notes » :

« Nous passons à côté de beaucoup d’entre eux qui réussiront dans d’autres lycées. Donc penser que nous captons les meilleurs élèves des REP en privant leurs lycées de secteur n’a pas vraiment de sens.  La plupart des élèves qui ont eu leur bac en 2015 voulaient tous aller en classe prépa en arrivant en terminale. Finalement, des vocations sont nées et il y a eu pas mal de changement dans l’orientation des élèves. Certains sont partis vers le design, par exemple. Et d’autres, vers des voies moins élitistes. L’important, c’est de rester à l’écoute des élèves et de leur ouverture sur leur propre vie professionnelle. »

Les profils varient mais les ambitions se ressemblent : parmi les élèves, beaucoup veulent devenir médecins ou vétérinaires. (Photo BC / Rue89 Strasbourg)

Vers plus d’expérimentation ?

Et si la classe expérimentale devenait encore plus expérimentale ? « J’aimerais un jour voir une classe constituée pour moitié d’élèves des REP. Faut-il parler de “discrimination positive” ? Oui, pourquoi pas ? Je dirais plutôt ambition pour tous, quel que soit le milieu d’origine », glisse Patricia Kleindienst, qui aimerait voir le quota des élèves des REP arriver à 50%, pour une vraie parité sociale.

Le proviseur Rémy Sublon, est plus prudent :

« Expérimenter pour expérimenter n’a pas grand sens. Mais à travers des projets de théâtre [comme la création d’une pièce inédite écrite par un jeune enfant juif disparu pendant la Seconde Guerre mondiale, ndlr] ou des voyages de classe, nous pourrons encore renforcer l’émulation et l’entraide de nos élèves. »


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