Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Au CHU, la journée en libéral remplit les caisses mais divise les médecins

Le numéro de mars du magazine 60 millions de consommateurs révèle que, à l’hôpital, des praticiens hospitaliers pratiquent des tarifs bien supérieurs à ceux du privé lors de leur activité libérale, et particulièrement au CHU de Strasbourg. Pour la direction, il n’y a pas de problème, tant que les praticiens restent dans le cadre, bien large, de la loi.

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L'activité libérale des médecins du secteur public peut leur permettre de doubler leur salaire. (Photo 401K / Flickr /CC)

Au centre hospitalier universitaire (CHU) de Strasbourg, une ablation de la prostate coûte 777,20 € à la Sécurité sociale, mais elle peut être facturée au malade 2 483 € selon la dernière livraison du magazine 60 Millions de consommateurs. Et ce alors que dans le privé, le prix moyen d’une telle opération revient à 1731 €.  Une ablation de la thyroïde ? Facturée jusqu’à 1200 € au CHU contre 704 € dans le privé… Comment est-ce possible ? Ces tarifs sont pratiqués par les médecins de l’hôpital dans le cadre de leur activité libérale, une disposition permettant aux praticiens d’exercer 20% de leur temps à leur compte au sein même de l’hôpital public.

Cette disposition a été imaginée pour permettre aux revenus des médecins salariés du public de rattraper un peu ceux de leurs collègues du privé. Mais elle a introduit une différence de traitement au sein même de l’hôpital public. Ainsi, l’enquête de 60 Millions de consommateurs révèle que les délais peuvent se réduire considérablement si les patients acceptent d’être soignés pendant l’activité libérale du médecin.

L’égalité de l’accès aux soins étant une vertu cardinale de l’hôpital public, voilà une révélation qui fait tâche. Et le tableau se noircit lorsque certains médecins utilisent leur journée en libéral pour pratiquer des dépassements d’honoraires qui n’ont plus rien à voir avec les tarifs conventionnés.

Mais pour la direction du CHU de Strasbourg, il n’y a rien à faire, selon Cécile Saitot, secrétaire générale chargée de l’activité libérale:

« La loi permet aux praticiens hospitaliers d’exercer une partie de leur temps de travail en libéral. Tant que les médecins restent dans le cadre de la loi, la direction de l’hôpital n’a pas à intervenir. Les dépassements d’honoraires sont encadrés et contrôlés par une commission d’activité libérale, dans laquelle siègent un représentant des usagers et un de la caisse primaire d’assurance maladie. Par ailleurs, les médecins en libéral reversent à l’hôpital une redevance pour l’utilisation du matériel, de 16% du montant de la facture pour des consultations externes, 25% pour des actes d’hospitalisation, de 60% pour des actes d’imagerie médicale. »

Prévue pour augmenter le revenu des médecins, l’activité libérale augmente aussi celui de l’hôpital, ce qui explique pourquoi les agences régionales de la santé ou les commissions diverses peinent à encadrer cette activité dont les tarifs doivent être établis « avec tact et mesure » selon les textes. Pour autant, au CHU, seuls 10% des praticiens qui sont en droit d’exercer une activité libérale le font réellement, soit 80 médecins.

Pour le Pr Edouard Hirsh, chef du service de neurologie au CHU, on ne peut pas mêler activité privée et publique à l’hôpital, il faut choisir:

« Dans mon service, il y a six professeurs et 20 praticiens, pas un n’a une activité libérale. Ils sont dans la fonction publique, point. Les revenus des médecins dans le public devraient être comparables à ceux de nos confrères du privé, mais à condition de les encadrer. Ce qui est choquant, c’est le niveau des revenus en libéral car même si ce n’est pas la Sécurité sociale qui paie, c’est quand même tout le système de santé qui est mis à contribution, via les mutuelles et leurs cotisations.

Je gagne environ 100 000 € par an, je n’aurai pas une bonne retraite, mais je ne vois pas pourquoi je devrais doubler mon revenu sur le dos des mutuelles. A l’hôpital, nous avons une mission de recherche et de santé publique. Est-ce que les juges demandent à avoir une journée pour être avocats et augmenter leurs revenus ? Non, ce serait choquant. C’est la même chose à l’hôpital. »

Discours diamétralement opposé chez Israël Nisand, chef du service de gynécologie obstétrique au CHU:

« J’ai demandé à tous les médecins de mon service d’avoir une activité libérale, parce qu’ils sont les meilleurs et que je ne veux pas qu’ils gagnent moins que leurs élèves. Cette activité permet au CHU de proposer les meilleurs praticiens aux Strasbourgeois pour 2,3 € (le coût du ticket modérateur de la Sécurité sociale, ndlr). Sans cela, ces médecins seraient dans le privé, inaccessibles, et surtout, la qualité des soins diminuerait à l’hôpital. L’activité libérale permet à des médecins débutants payés 50 000 €  par an de doubler leur salaire. Dans le privé, ils émargeraient à 200 000 €, facilement. Donc, même avec une activité libérale, on n’est pas encore au niveau du privé mais on ne peut pas demander aux médecins du public d’être tout à la fois travailleurs, excellents et désintéressés. Ce qu’il faudrait en revanche, c’est demander aux médecins du privé d’offrir une journée au secteur public, en retour de leurs études payées par l’Etat. »

A l’agence régionale de santé (ARS), on avoue « découvrir l’article » de 60 Millions de consommateurs et on se dit « décidé à se pencher sur le problème », plus général, des dépassements d’honoraires. On ne sait pas pour l’instant si la réaction de l’ARS sera « avec tact et mesure ».


#CHU Hautepierre

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