Cependant, des procédés alternatifs sont nés au sein même de ce système. L’open source, qui a joué un grand rôle dans le développement de l’informatique, s’applique aujourd’hui à tous les domaines. Ce principe qui consiste à partager gratuitement un produit et à ouvrir sa conception et sa modification à tous, est né avec la conception des tous premiers logiciels. Il s’inscrit dans la mouvance générale vers une société plus collaborative et permet de contourner ou devancer les façons de penser et de consommer classiques.
Au CEAAC, les deux commissaires d’exposition regroupées sous le nom de COAL (Coalition poour l’art et le développement durable) en ont fait le dénominateur commun d’oeuvres qui s’approprient la production de nourriture, la pollution atmosphérique ou encore la colonisation de l’Arctique. Mais que peuvent apporter des artistes à ces sujets ? Lauranne Germond, l’une des membres de COAL, répond :
« Bien souvent, les nouveaux modèles et les initiatives sociales et militantes (par exemple ce qui relève de l’économie circulaire, de la re-création de lien social, de l’agriculture urbaine, … – ndlr) qui sont très répandues aujourd’hui ont été inventées ou inspirées par des artistes et des designers. L’approche artistique permet de prendre une distance critique,de pratiques et de confronter ces sujets à d’autres systèmes sur le plan esthétique et conceptuel. Ces projets ne visent pas forcément l’efficacité ou la reproductibilité, mais plutôt à isoler des phénomènes, à en étudier les formes et les modes de dissémination dans l’imaginaire collectif. »
Jouons aux flics et à l’apocalypse
Le hacking humoristique est l’une des portes d’entrées de l’exposition – d’ailleurs, on est accueilli dans la première salle par un énorme réflecteur de gyrophare bleu. C’est le duo d’artistes Hehe qui propose une parodie d’un logiciel de surveillance : un enregistreur se déclenche à chaque fois qu’une sirène se fait entendre. Au passage, cela souligne l’omniprésence des flics à la télé, comme en témoigne la riche récolte d’extraits obtenus en surveillant D8 ou TF1 (le logiciel est disponible gratuitement sur le site de Hehe).
Si vous aimez les jeux vidéo, Viridis vous apprendra à survivre dans un monde post-apocalyptique où la spiruline est le « contre-poison vert » tout-puissant – en réalité, cette micro-algue a effectivement des propriétés nutritives et thérapeutiques étonnantes. Le jeu a d’abord été testé pendant une saison de culture, où les artistes se sont faits fermiers, connectés en permanence à une communauté de joueurs.
Un système de vote permettait de participer aux décisions de la ferme, et un flux Twitter informait de l’évolution des algues, des conditions climatiques, … Aujourd’hui, le jeu existe pour le plaisir et la pédagogie, puisqu’il est effectivement possible d’y apprendre la culture de la spiruline. Certains joueurs se sont même constitués en groupes indépendants, animant des forums et partageant des documents sur le sujet.
Des aspects méconnus de la géopolitique
La grande salle du CEAAC est comme en habit de parade avec ses 33 drapeaux suspendus en rangs serrés. Ils représentent les peuples de la région circumpolaire qui, s’ils ne totalisent que 4 millions de personnes, occupent la région depuis des millénaires et se battent pour leur survie, directement confrontés aux effets du réchauffement climatique. L’Arctic Perspective Initiative, qui présente cette installation, intervient sur place de façon concrète, en commençant par consulter les populations (une logique pas toujours respectée par les politiques).
Il en ressort des moyens de communication pour relier les habitants entre eux, des plans gratuits pour fabriquer des générateurs solaires ou des serres de culture hydroponique : par le partage des savoir-faire et des initiatives, la région peut espérer un dynamisme et une reconnaissance de sa valeur culturelle. On s’arrêtera d’ailleurs sur la très instructive carte du cercle polaire où se confrontent les toponymes pré-coloniaux inuits et les lignes d’avancée des compagnies pétrolières, gazières, minières.
L’artiste Amy Balkin s’intéresse à l’air que nous respirons tous et au système des crédits carbone, qui permet aux industries d’acheter leur droit à polluer. Source d’injustices entre les pays, ce système est inévitablement relié à leur situation économique et politique. Et il sous-entend que l’air est privatisable. Public Smog propose aux particuliers de racheter ces crédits afin de les sortir du marché, dans l’idée de préserver l’air comme le bien commun qu’il doit rester.
En réalité, peu de crédits carbone ont été rachetés, et les démarches de l’artiste auprès de l’UNESCO pour faire classer l’atmosphère au Patrimoine de l’humanité n’ont pas abouti. Peu importe : elle a le mérite de poser des questions qui dérangent, et de préparer le terrain pour une nouvelle pensée.
ArtCop21 : le pendant artistique de la COP21
Dans le même esprit qu’Open Source, COAL travaille actuellement sur un projet de grande envergure : l’ArtCop21 regroupera toute une série de manifestations artistiques, de rencontres et de débats autour de la COP21, en décembre à Paris. En partant du constat que le grand public avait difficilement accès à la COP, exclusivement relayée par des discours économiques, politiques et scientifiques pas très attractifs, COAL a entrepris de donner la parole aux artistes. Lauranne Germond explique :
« Il y aujourd’hui une scène qui allie transformation sociétale et acte créatif qui émerge partout dans le monde mais qui manque trop souvent de visibilité. Nous sentons les gens prêts au changement, mais ces nouvelles propositions ne bénéficient pas de la portée marketing des modèles traditionnels qui ont une force de frappe nettement supérieure. »
Car ces « modèles traditionnels » ne commencent-ils pas à sérieusement fatiguer ? Ils sont ancrés mais ne font plus rêver ni espérer… Les formes d’art promues par COAL nous proposent des projections plus intéressantes, elles racontent l’avenir. L’écologie sans représentations, sans images et sans récits, ressemble àune recommandation de principe un peu embêtante, alors que c’est aussi une question de culture : quelque chose qu’on peut partager entre humains, au-delà de la politique et de l’économie.
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