Neufs portraits en grand format alertent les visiteurs à l’entrée de l’exposition Au bout des fusils : des chasseurs, des guides, des braconniers, des rangers anti-braconnage et même un éléphant victime d’un safari privé. Sur les murs d’un orange vif et chaud de la galerie Stimultania, la photographie de Mélanie Wenger, reprend l’esthétique du grand reportage pour explorer la chasse comme pratique culturelle et commerciale aux effets potentiellement néfastes sur les bêtes et les hommes, de l’Afrique aux États-Unis.
Formée en lettres et en journalisme, Mélanie Wenger est une jeune photojournaliste originaire de Colmar. Sa photographie de presse – notamment pour Libération, VSD et National Geographic – se concentre sur l’actualité internationale, de Libye à la Colombie jusqu’au Mexique, pour évoquer les micro-histoires des individus pris dans les troubles et les violences. En parallèle, le volet poétique de son travail a été récompensé par le prix HSBC pour la photographie en 2017, pour la série Marie-Claude, portrait d’une vieille femme solitaire, rebelle et fantaisiste dans les monts d’Arrée.
L’exposition est divisée en quatre séries de photographies autour de la chasse. Plans frontaux, couleurs saturées, vues d’actions et portraits : si les images de Mélanie Wenger instaurent une proximité avec les chasseurs, elles développent également une dénonciation du carnage résultant du loisir, de la contrebande ou de la marchandisation. C’est la narration qui domine dans ces images de safari, au détriment de l’esthétique photographique dont on peut regretter la qualité plutôt convenue.
Vie et mort, richesse et pauvreté
Dans la série Bush Babies (2017), un anesthésiste américain parvient à tuer un éléphant après trois semaines de traque au Zimbabwe avec une équipe de vingt personnes. Rhino War (2018) explore le paradoxe de la conservation du rhinocéros noir en Afrique du Sud, dans des réserves financées par la vente des cornes amputées à la tronçonneuse. Ce qu’il reste des âmes sauvages (2018) examine la taxidermie commerciale et la fabrication des trophées destinés à un marché étranger. Enfin, la convivialité entre chasseurs et leur fierté ostentatoire sont au centre de Sugar Moon (2018), un projet réalisé dans l’état du Texas au sud des États-Unis. Le spectateur est confronté aux aspects complexes du marché de la chasse : vie et mort, dominateur et dominé, raison et passion, richesse et pauvreté.
La deuxième partie du parcours dirige les visiteurs vers une scénographie interactive : quatre murs blancs sur lesquels une centaine d’épreuves photo sont accrochées à portée de main. Le public est invité à s’asseoir et à se coiffer de casques pour analyser les images des quatre ensembles photographiques de Mélanie Wenger. Devenus éditeurs de presse, ces derniers peuvent manipuler les tirages et construire des versions alternatives des projets de la photojournaliste.
Certains clichés – également disponibles en ligne – sont accompagnés par un enregistrement audio de Mélanie Wenger, racontant ses expériences sur le terrain. Cette proposition est peut-être l’aspect le plus stimulant de l’exposition. Au bout des fusils mériterait une visite, rien que pour tester cette tribune visuelle ouverte à toutes les opinions sur la chasse. Les murs de lecture donnent à voir les points de vue des spectateurs sans avoir besoin d’intermédiaires. Malgré son état embryonnaire en tant qu’installation multimédia, ces cimaises offrent une opportunité rare dans les lieux d’expositions strasbourgeois dédiés à la photographie.
La chasse est un « sujet dangereux » selon la commissaire de l’exposition Céline Duval : dans l’esprit des spectateurs, Au bout des fusils ne manque pas de faire écho à l’actualité récente en France, entre balles perdues et accidents mortels. Les photographies de Mélanie Wenger évoquent effectivement des problématiques contrastées : la force de la tradition et le prestige social entrent en dialogue avec la réflexion écologique sur les modes de coexistences durables entre humains et animaux.
C’est par l’exploration de pays lointains que l’exposition invite à consacrer un dimanche à la chasse. Il est dommage que ce regard sur l’Autre et cette réflexion ethnologique demeurent aussi déconnecté du contexte culturel français.
Les nombreux discours sur la chasse qui sont hors les cadrages de Mélanie Wenger sont à saisir dans une offre de rencontres chaque semaine du mois de décembre à Stimultania : le 8 décembre une visite en famille, le 12 décembre un atelier photo, le 13 décembre une visite commentée et finalement le 21 décembre un Jeu-débat avec l’outil Les mots du clic.
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Aller plus loin
Sur Blinkl : les chroniques augmentées de Mélanie Wenger sur chaque série de Au bout des fusils
Rencontre avec Mélanie Wenger, l’éthologue Cédric Sueur et le chasseur Michel Gascard (vidéo Stimultania /
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