« La protection de l’enfance est une des compétences centrales de la Collectivité européenne d’Alsace (CeA). Le secteur est confronté à quatre difficultés majeures : l’augmentation du nombre d’enfants confiés, la sortie des jeunes majeurs du dispositif, la saturation de tous les dispositifs et les difficultés de recrutement.
Plus d’enfants confiés, faibles accompagnements des jeunes majeurs
La première est la forte augmentation du nombre d’enfants confiés en Alsace. En six ans, ce sont 440 mineurs supplémentaires qui ont été confiés, soit une hausse de 12%. L’accueil des mineurs non accompagnés fait aussi face à une forte augmentation depuis septembre 2021. L’accueil en milieu ouvert dans le Bas-Rhin est lui passé de 1 400 enfants en 2012 à près de 1 900 enfants dix ans plus tard.
La seconde difficulté est la faiblesse de l’accompagnement pour d’anciens mineurs confiés qui viennent d’atteindre la majorité. Les conséquences sont dramatiques : 25% des personnes sans abri sont aujourd’hui issues de l’ASE. Dans le Haut-Rhin, seuls 178 jeunes majeurs font l’objet d’un accompagnement à travers le Contrat Jeunes Majeurs dont la généralisation a été rendue obligatoire par la loi Taquet du 7 février 2022. Par ailleurs, le déficit de construction de solutions d’hébergement pour les jeunes majeurs tend à opposer les mineurs et les jeunes majeurs. Ainsi, dans le Bas-Rhin, sur 430 jeunes ayant atteint la majorité en 2020, plus d’une centaine bénéficient d’un hébergement au détriment de solutions pour les nouveaux mineurs confiés.
Saturation des dispositifs et problèmes de recrutement
La troisième difficulté est la saturation de l’ensemble des dispositifs empêchant l’accueil de tous les enfants confiés par le juge. La situation est dégradée au point que Frédéric Bierry (président de la CeA) et Nicolas Matt (Vice-Président de la CeA en charge de cette thématique) se retrouvent contraints d’organiser une véritable omerta sur le sujet. Tous deux refusent de communiquer le nombre de placements non exécutés : refus de répondre à cette question par mail, par courrier, en commission ou même en séance plénière le 20 octobre dernier. Combien d’enfants sont ainsi laissés exposés à une situation que le juge a qualifié de dangereuse ?
La quatrième difficulté concerne le recrutement des travailleurs sociaux. Dans le contexte décrit plus haut, la dégradation des conditions de travail conduit à une perte de sens dans leurs missions. C’est un véritable cercle vicieux qu’il faut rompre : la dégradation des conditions de travail met en danger les travailleurs sociaux, il en découle de nombreux départs ou arrêts maladie, ce qui entraîne une nouvelle dégradation des conditions de travail et d’accueil des enfants, etc.
Une demande de Mission d’information et d’évaluation déposée par le groupe écologiste refusée
Face à ces constats, notre groupe Alsace écologiste, citoyenne et solidaire a déposé en février 2021, une demande de Mission d’Information et d’Evaluation (MIE). Elle visait à établir un état des lieux transparent et public, d’une part, de la prise en charge des mineurs confiés, et, d’autre part, des conditions de travail des professionnels.
Le président, Frédéric Bierry a refusé cette MIE et lui a préféré l’organisation des Assises de la Protection de l’Enfance prévues les 9 et 10 novembre prochains. Nous partageons bien sûr la nécessité d’associer l’ensemble des parties prenantes et de développer de nouvelles approches complémentaires.
Toutefois, en l’absence d’une enquête officielle et approfondie, ces Assises se profilent comme une opération de communication, voire une tentative de diversion de la majorité. Les structures et les acteurs et actrices de la protection de l’enfance attendent pourtant des décisions à la hauteur de l’urgence vécue par les mineurs et par les travailleurs sociaux.
Propositions : baisser le taux d’encadrement, augmenter les salaires, et créer des lieux d’accueil
Pour tenir compte des difficultés que connaît le champ de la protection de l’enfance, nous proposons trois mesures : baisse du taux d’encadrement par travailleurs sociaux, augmentation des rémunérations et création de solutions d’accueil pour tous les enfants confiés.
Aujourd’hui, 30 voire 31 ou 32 enfants sont confiés pour un éducateur en milieu ouvert. Il est temps que la CeA décide de confier au maximum 25 enfants par travailleurs sociaux. Dans les foyers, l’encadrement doit aussi être revu à la baisse face à la complexité des situations. Pour l’accueil en milieu ouvert, le Bas-Rhin se distingue en outre par un prix de journée particulièrement bas : 7,04€/ jour quand le prix de journée au niveau national est compris entre 8 et 20€/jour. Ce prix impacte directement le nombre de travailleurs sociaux pouvant être embauchés par les structures.
Il est temps que la CeA décide de revaloriser fortement la rémunération des travailleurs sociaux, qui souffre de disparités entre les métiers et entre les services. Le Segur de la santé n’a pas concerné la rémunération de base. Il a de plus laissé au bord de la route une partie des associations délégataires de services publics relevant du département et aussi les métiers administratifs tout autant indispensables au fonctionnement des actions de solidarité.
« Nous demandons à Frédéric Bierry de prendre ces trois décisions »
Il est temps que la CeA décide d’apporter à chaque enfant confié une solution adaptée. La saturation des dispositifs est issue d’un décrochage entre l’augmentation rapide du nombre d’enfants confiés et celle, insuffisante, des nouvelles capacités de placement. C’est ce décrochage qu’il faut rattraper aujourd’hui. Seules 105 nouvelles places étaient prévues au budget 2022 pour combler ce rattrapage. Et faute de les avoir toutes créées, ce sont à nouveau 20 enfants qui auraient dû être accueillis en 2022 et qui ne le seront toujours pas. Des solutions doivent aussi être apportées en urgence aux enfants porteurs de handicap aujourd’hui exclus de la plupart des dispositifs.
Nous, élus du groupe Alsace écologiste, citoyenne et solidaire, demandons à Frédéric Bierry de prendre ces trois décisions. Nous lui demandons d’assumer la responsabilité qui est la sienne en tant que président d’une collectivité départementale.
« Nous demandons une protection de l’enfance ambitieuse et exemplaire »
En 2022, la CeA n’a réalisé qu’en partie l’ampleur de la tâche à accomplir et a mobilisé de nouveaux moyens : engagement à créer une centaine de places, application du Segur du social à une partie seulement des établissements tarifés, compléments de rémunération pour les assistants familiaux alors que nous préconisons une revalorisation des salaires…
Nous lui demandons d’aller plus loin et de mobiliser les capacités financières du département au profit d’une protection de l’enfance ambitieuse et exemplaire. Les moyens sont là, mobilisables, y compris en contexte inflationniste.
La Collectivité a terminé l’année 2021 avec 243 millions d’euros dans les caisses. Quand bien même le niveau d’endettement est au plancher (4 ans de capacité de désendettement pour un seuil d’alerte à 10-12 ans), la dette reste une obsession pour la majorité. Les 43 millions d’euros d’excédent présentés à la séance plénière du 20 octobre dernier ont simplement été mobilisés vers la réduction de la dette et de l’emprunt à contracter sans améliorer le service rendu aux Alsaciens et aux Alsaciennes. Ces chiffres sont à comparer aux 900 000 € nécessaires pour la revalorisation du prix de journée en milieu ouvert de 1,33€/jour (pour le porter de 7,04€ à 8,37€) pour le Bas-Rhin.
« Nécessité d’augmenter les dépenses de fonctionnement »
Nous réaffirmons la nécessité d’augmenter les dépenses de fonctionnement pour répondre aux besoins du territoire. Il ne s’agit pas de gaspillage comme cela a été affirmé par certains le 20 octobre dernier. Deux leviers sont actionnables. Le premier est le recours raisonnable à l’emprunt pour assurer les investissements et dégager de la marge de manœuvre pour le fonctionnement des services publics dont la protection de l’enfance. Le second est de limiter progressivement les dépenses de prestige ou le soutien peu justifiable à certains secteurs économiques alors même que la loi NOTRe de 2015 a retiré la compétence économique aux départements.
Nous réaffirmons enfin la nécessité d’écouter la population et les acteurs du terrain. Quand Frédéric Bierry annonce en séance publique qu’il n’y a pas d’enfants à la rue à Strasbourg, nous sommes alarmés par ce déni de réalité.
Ainsi, les constats sur la protection de l’enfance sont connus. La CeA a les compétences et les moyens pour y faire face. Il ne manque que la décision politique de Frédéric Bierry.
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