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Art ou légumes à l’Ancienne douane, Strasbourg irréconciliable

Les aménagements qui ont fait débat (5). Au printemps 2014, une quinzaine de producteurs locaux vendront des fruits, légumes, viandes et laitages dans le point de vente collectif aménagé cet hiver à l’Ancienne douane. Autrefois salle d’expositions temporaires, le lieu est vide depuis un incendie en 2000. Son changement de vocation provoque pourtant l’ire d’un collectif de citoyens et d’élus, qui doutent de l’opportunité du projet.

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Dans le projet de boutique d’alimentation, les murs de l’Ancienne douane seront repoussés jusqu’aux arcades extérieures (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Ils ne désarment pas, à 8 mois des élections municipales. Si la droite repasse, espèrent-ils, ce « caprice »(dixit Robert Grossmann) de Françoise Buffet, adjointe au maire en charge de l’environnement et de l’agriculture, ne se fera pas. Le projet qu’une poignée de galeristes, d’amateurs d’art et d’élus espèrent voir capoter : l’installation d’un point de vente collectif de produits alimentaires locaux sur 200 m² au rez-de-chaussée de l’Ancienne douane, dans le centre-ville de Strasbourg. Là où, pendant une cinquantaine d’années, se sont tenues quelques belles expositions temporaires. Incendié en 2000, le lieu n’est utilisé qu’épisodiquement depuis cette date. Dernier succès : Thrill, en 2011.

« Mettre le monde rural au cœur de la ville »

Sur le métier depuis deux à trois ans, la création de ce magasin de producteurs répond à un engagement de la municipalité PS sortante en faveur des circuits d’alimentation courts, réduisant les intermédiaires entre la fourche et la fourchette. Le choix du lieu, explique Françoise Buffet, tient à sa centralité et à la demande forte des riverains en matière de produits frais et locaux. Cette localisation est également intéressante puisqu’elle se situe sur le trajet des touristes entre la dépose des cars place de l’Etoile et la cathédrale :

« Notre souhait est de mettre le monde rural au cœur de la ville et de faire de ce lieu une vitrine de l’agriculture locale. La relocalisation de l’alimentation est un enjeu majeur dans notre monde actuel. Ce projet est l’une des réponses apportées par la collectivité, dans le cadre du partenariat avec la chambre d’agriculture du Bas-Rhin. De plus, ce point de vente n’entrera pas en concurrence avec les marchés du centre, mais pourrait bien être une locomotive pour les autres commerces. »

Dans le projet, l’escalier va sauter pour agrandir l’espace au rez-de-chaussée (Photo MM / Rue89 Strasbourg)
Les bureaux au 1er étage, comme la salle d’exposition, ne sont pas intégrés dans la première phase du projet de boutique. Lors d’une seconde phase, un lieu de dégustation pourrait y être installé (Photo MM / Rue89 Strasbourg)
Le Quai des bières, exploité par le restaurant jusqu’à une date récente, sera intégré dans l’espace de vente, et le mur détruit (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Depuis le 9 juillet, le permis de construire a été déposé par la Ville de Strasbourg, qui investit 800 000€ dans la rénovation et la mise aux normes des lieux. Dans un second temps, ils seront aménagés en boutique à la charge du collectif de producteurs, une quinzaine (sur une cinquantaine de dossiers déposés l’année dernière auprès de la Chambre d’agriculture), tous installés dans le Bas-Rhin, pas forcément en bio.

Les travaux devraient démarrer cet hiver, avec 6 mois de retard environ, puisque la livraison était prévue initialement fin 2013 (lire la délibération du conseil municipal de juin 2012 – PDF) et que l’on s’achemine vers une inauguration en mai 2014. Au programme : destruction de l’escalier central qui mène à la salle d’expositions, démolition du mur séparant le futur local du Quai des bières, bar exploité jusqu’à présent par le restaurant L’Ancienne douane, et surtout, murs repoussés jusqu’aux arcades extérieures pour agrandir l’espace.

Pétition, faux vernissage, lobbying

Ce n’est qu’au printemps 2014 que légumes, miel, viande ou vin y trouveront leur place. C’est sur ce délai entre les travaux de mises aux normes et ceux, plus tard, d’aménagement commercial, que comptent les opposants au projet, actifs depuis deux ans dans le cadre du « collectif Ancienne douane ».

Après une pétition, ces galeristes et amateurs d’art ont organisé à l’automne 2012 un faux vernissage pour sensibiliser le public à leur cause, avant de rencontrer à plusieurs reprises les conseillers techniques du maire Roland Ries, qu’ils pensent « gêné sur ce sujet, absent sur ce dossier comme sur tout ceux qui ont trait à la culture » [lire notre article « politique culturelle, le boulet de Roland Ries« ]. Leur crédo : l’Ancienne douane, bâtiment historique dédié à l’art depuis les années 1960, doit le redevenir. Audrey Kinné, une proche de François Loos, et Gérard Cardonne, écrivain, tous deux membres du collectif, insistaient dans une lettre ouverte :

« Ce magnifique bâtiment, chargé d’histoire, particulièrement bien situé au cœur historique de la ville, pourrait et devrait être un des lieux culturels privilégiés de Strasbourg en permettant aux artistes régionaux en mal de lieu d’expositions temporaires ainsi qu’aux artistes rhénans et internationaux de participer à la réputation artistique de notre ville. (…) Une telle décision [du maire de Strasbourg] de rejeter une demande culturelle évidente et très forte ne peut que repousser les artistes alsaciens à se tourner vers d’autres régions et villes plus accueillantes et faire obstacle à la venue d’artistes qui peuvent promouvoir et mettre en avant notre ville. »

Aujourd’hui, les deux opposants veulent croire que tout n’est pas perdu pour « leur cause ». Et, à défaut d’avancer sur le dossier de l’Ancienne douane, ils réclament la recherche d’autres lieux où accueillir des « grandes expositions » (plus de 30 œuvres picturales), qu’ils se proposeraient de gérer et/ou animer pour le compte de la collectivité. Selon Audrey Kinné et Gérard Cardonne, les conseillers techniques du maire leur auraient promis une réunion et une lettre d’intention qui ne seraient jamais venus.

Opposer culture et agriculture

Côté exécutif, on s’agace. Françoise Buffet, directement mise en cause dans ce dossier, elle qui s’était engagée (de façon infructueuse) en faveur de la création d’un marché couvert à l’Aubette sous la mandature précédente, regrette :

« C’est très maladroit de la part de Robert Grossmann [ancien président de la CUS, de 2001 à 2008, en charge de la culture] et du collectif d’opposer culture et agriculture. Quant il était au pouvoir, Robert Grossmann n’a rien fait pour l’Ancienne douane. J’en conclus que ce n’était pas sa priorité. Et puis l’art se met beaucoup plus facilement dans des lieux atypiques que l’alimentation… »

Néanmoins, la création d’un « centre d’art », comme il en existe dans d’autres grandes villes de France, n’est pas – à notre connaissance – dans les cartons, même si la Coop au Port-du-Rhin, les Docks Malraux ou la Manufacture ont parfois été évoqués pour l’abriter.

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : Distribution, l’âge des coopératives d’agriculteurs (Hop’la)

Sur Rue89 Strasbourg : L’Ancienne douane, un mini marché couvert fin 2013

Sur Rue89 Strasbourg / Les aménagements qui ont fait débat (1) : Quartier du Bruckhof : le prix de la densité

Sur Rue89 Strasbourg / Les aménagements qui ont fait débat (2) : Jardin du curé de la Robertsau, constructible mais toujours vide

Sur Rue89 Strasbourg / Les aménagements qui ont fait débat (3) : Les arbres de la place du Château sauvés par la mobilisation

Sur Rue89 Strasbourg / Les aménagements qui ont fait débat (4) : Nouveau Parc expo, le mastodonte de trop au Wacken ?


#Ancienne douane

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