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La toile d’araignée de l’aide sociale à l’enfance, détricotée au Taps

Injustice, incompréhension et burn out. La comédienne Emmanuelle Lafont, broyée par les mandibules de l’administration. Un seul en scène documentaire, écrit et dirigée par Charlotte Lagrange à voir au Taps Scala du 7 au 9 février.

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Charlotte Lagrange et la compagnie strasbourgeoise La chair du monde seront au Taps Scala à Neudorf du 7 au 9 février avec l’une de leurs créations, L’Araignée. Présentée au Off du Festival d’Avignon en 2021, la pièce rencontre un succès critique auprès de Télérama ou de la Terrasse.

Une tribune pour les travailleurs sociaux

ASE, MIE devenus MNA, HCR, Ofpra, Cada… Les acronymes s’empilent comme les dossiers dans la vie de cette « éduc’ spé ». Elle fait bien son travail, elle protège et défend les mineurs qu’elle suit de son mieux, tisse des liens avec eux. Elle sait prendre les décisions difficiles si nécessaire. Pourtant, la voilà mise au placard, à traiter des dossiers au lieu d’aider directement sur le terrain. Trop impliquée pour ça ? Des problèmes avec sa hiérarchie ? Serait-elle devenue trop proche de S., son dernier protégé ? Comment retrouver du sens au milieu de cette bureaucratie ?

Extrait de l’Araignée, Charlotte Lagrange Photos : Christophe Reynaud De Lage / doc remis

Le texte est construit comme un témoignage contre le système déshumanisant qu’est devenu l’aide sociale à l’enfance (ASE), dont les attributions vont du suivi des étrangers mineurs isolés au placement d’enfants en danger.

Avec un jeu chirurgical, Emmanuelle Lafont exprime la colère et le désarroi de nombreux travailleurs sociaux transformés en simili-policiers au service d’une politique sur laquelle ils n’ont aucune prise. Le personnage, comme beaucoup, a rejoint cette administration dans l’espoir d’aider et d’accompagner ceux qui sont seuls. Ici, des mineurs non accompagnés et étrangers. Mais les éducateurs se retrouvent souvent surchargés et dépassés par ces demandes, qui s’empilent sans qu’ils ne puissent faire leur travail.

Devenus rouages dans une machine maltraitante, ils doivent traquer le moindre mensonge et se méfier de tous, y compris de ceux qu’ils sont censés aider. Ces enfants sont-ils même seulement mineurs ? Sont-ils vraiment sans famille ? S’ils mentent, il faudra les renvoyer d’où ils viennent.

« Et je pars chercher Z dans son foyer. Pour l’amener à Besançon en attente de son expulsion vers l’Allemagne. Vu qu’il nous avait menti sur son âge. Il n’était pas question d’attendre un jour de plus. »

Extrait L’Araignée, Charlotte Lagrange.

La comédienne entraîne le spectateur dans les méandres des souvenirs et de sa pensée, essayant de démêler la toile d’araignée où elle est prise au piège. Le décor minimaliste de la scénographe Camille Riquier exprime la froideur de ces lieux où l’on décide du sort d’adolescents livrés à eux-mêmes. Une fontaine à eau, une chaise de bureau, un néon. Et des dossiers empilés jusqu’à ce qu’ils finissent balayés, éparpillés ou finalement détruits par la comédienne. Au devant, un tapis de sol effet miroir dans lequel elle craint de voir son reflet, pris au piège de cette introspection.

Extrait de l’Araignée, Charlotte Lagrange Photos : Christophe Reynaud De Lage / doc remis

S’inspirer du réel des invisibilisés

L’Araignée est née de la plume de Charlotte Lagrange à la sortie d’une résidence d’écriture pour le Théâtre de Montbéliard. L’idée lui est venue suite à deux années de travail avec des classes de lycéens primo-arrivants, les classes d’UPE2A (Unité pédagogiques pour élèves allophones arrivants). Ces jeunes savent parler leurs langues mais aussi celle de la bureaucratie. Ils apprennent ce langage rempli de sigles, pour naviguer comme ils peuvent au sein des institutions d’accueil. Ils étaient tous suivis par l’ASE. Les encadrants comme les adolescents en parlaient comme une personne à part entière.

L’envie de comprendre et de parler de cette situation a amené l’auteure à rencontrer les concernés, des éducateurs spécialisés, des juristes, des avocats et des responsables administratifs. Ils dénoncent tous un système ravagé par des choix politiques tournés vers la rentabilité. Pour respecter leurs valeurs, ils doivent sortir du cadre imposé par leur fiche de poste. Sinon il ne leur reste plus qu’à baisser la tête pour se protéger.

L’Araignée est un texte documenté et incisif. Un témoignage précieux sur la rudesse du monde du travail social.


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