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Après une évacuation musclée, quatre plaintes déposées contre des videurs de la Manufakture

Mardi 14 août, la fin de soirée a dégénéré à la Manufakture, ce gigantesque établissement de nuit temporaire à la Krutenau. Après des échauffourées, un groupe de personnes a été violemment expulsé de l’établissement, avec coups et usage de gaz. L’un des clients a brièvement perdu connaissance, un autre affirme avoir été séquestré jusqu’à ce qu’il supprime une vidéo de son téléphone. Quatre plaintes ont été déposées contre les agents de sécurité.

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Mardi 14 août, c’est la fête pour une quinzaine de personnes, des trentenaires qui se retrouvent à Strasbourg pour fêter l’anniversaire d’un des leurs. En fin de soirée, ils sont à la Manufakture, ce gigantesque établissement éphémère ouvert à la Krutenau, de mai jusqu’à septembre. Mais vers 1h du matin, quelques membres du groupe s’embrouillent avec d’autres clients de l’établissement.

Franck, tous les prénoms ont été changés, grand gaillard et costaud, s’interpose entre les belligérants. Mauvaise idée, il prend une droite. Il répond et les videurs de la Manufakture interviennent immédiatement. Employés par la société Axial Protection, ils exfiltrent Franck et d’autres membres de son groupe vers la sortie. Et c’est là que la soirée dégénère.

Selon Franck, arrivés près de la sortie de la Manufakture, les agents de sécurité le mettent soudainement à terre :

« Ils m’ont saisi à deux et m’ont tiré vers la sortie en me faisant des clés de bras. Je leur disais “c’est bon je sors” en levant les mains. Jusque là c’est normal on peut dire… Mais à un moment, l’un des videurs me fait un croche-pied pour me faire tomber, je me retrouve au sol avec son genou sur la tête. Il me hurle dessus que je dois me calmer. Puis un autre me donne des coups, à ce moment, j’ai très peur et je me recroqueville, en protégeant ma tête avec mes bras alors que les coups continuent. Au bout d’un moment, je perds connaissance. »

« Ils ont sorti des bonbonnes de gaz et aspergé tout le monde »

Un ami de Franck, Sergio, détaille :

« Les videurs ont cogné Franck pendant qu’ils l’amenaient vers la sortie. Je me disais que c’était quand même pas normal mais bon… Puis les coups se sont intensifiés et vers la sortie, les videurs ont sorti des bonbonnes de gaz. Ils ont aspergé tout le monde. Je vois mon pote s’écrouler et les videurs lui donner des coups de pied alors qu’il est à terre. Je vois bien qu’il ne bouge plus du tout donc là, je me dis qu’il y a un gros gros problème. Je leur hurle d’arrêter mais ça n’a aucun effet, pire ils continuent de nous gazer. »

Les projections de gaz irritant sont telles que plusieurs personnes ont été incapables de voir pendant plusieurs minutes. L’une d’entre elles, Pierrick, affirme avoir reçu du gaz à bout portant, ce qui lui a valu deux jours d’arrêt de travail, une conjonctivite aigüe et les cornées irritées. Une semaine après les faits, il ne peut toujours pas remettre ses lentilles. Au moment des échauffourées, il avait demandé à Sergio de filmer la scène avec son téléphone portable.

« Alors petit enculé, tu crois que tu peux nous filmer ? »

Mais Sergio n’a pas pu conserver la vidéo :

« Après qu’on soit tous sortis, je reviens vers la Manufakture parce que je vois à terre une personne tellement gazée qu’elle avait du mal à respirer, il y avait de la mousse autour de sa bouche. Mais alors que je m’approche de l’entrée, le plus grand des videurs m’attrape dans la rue avec un de ses collègues et me dit “alors petit enculé, tu crois que tu peux nous filmer comme ça ?” Ils m’emmènent dans un petit local près de l’entrée et me menacent de me tuer si je ne supprime pas la vidéo de mon téléphone. Le grand a demandé à ses collègues de me tenir pour qu’il “me finisse avec un high-kick”. J’ai vraiment cru que j’allais y passer, ils étaient d’une violence folle. »

Un peu avant, Franck a retrouvé ses esprits et a finalement été sorti de la Manufakture. Sans qu’il sache pourquoi, il n’a plus ses chaussures, elles ont été jetées plus loin dans la rue par les agents de sécurité. Asthmatique, il souffre du gaz utilisé quelques minutes auparavant, deux de ses amis l’escortent jusqu’à chez lui. Choqué, il mettra plusieurs jours avant de réaliser ce qu’il lui est arrivé.

Le jeudi 16 août, Franck, Sergio, Pierrick et Léon décident de porter plainte pour « coups et blessures » au commissariat de police de Strasbourg. Sergio ajoute « séquestration, détention arbitraire et menaces de mort. » Franck et Sergio sont envoyés par les policiers à la médecine légale de l’hôpital civil, pour que soient constatées leurs blessures. Bilan : hématomes, ecchymoses, brûlures superficielles et cinq jours d’interruption totale de travail (ITT) chacun.

« Alcoolisés, les gens perdent le contrôle »

Mais d’autres blessures sont plus profondes. Rencontré le vendredi 17 août, Franck est encore frêle et hésitant. Il cherche ses mots. Il craint de rencontrer les agents de la Manufakture à chaque coin de rue. Il évite de rester seul et se renseigne sur un éventuel suivi psychologique. Il ne comprend pas comment des professionnels de la sécurité ont pu se déchaîner à ce point sur lui et ses amis et surtout, il s’en veut parce que ce qui devait être une fête s’est terminé en une affreuse bagarre.

Les agents de la Manufakture nient les accusations portées contre eux (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Était-il trop alcoolisé, a-t-il provoqué les agents de sécurité à dessein ? Franck et ses amis assurent qu’ils avaient bu mais qu’ils n’avaient pas perdu leur capacité de discernement. Parmi les amis du groupe, Aziz, qui ne boit pas d’alcool, confirme l’ensemble des faits. Du côté de la Manufakture, le responsable de l’établissement, Franck Meunier, n’était pas sur place ce soir là. Il déplore un épisode « tristement banal » de la vie nocturne :

« Depuis qu’on a ouvert la Manufakture, on a reçu plus de 100 000 personnes et on n’a eu que 3 ou 4 altercations. C’est malheureusement typique, une fois alcoolisés, les gens perdent le contrôle d’eux-mêmes. Ce groupe d’amis avait été repéré par nos serveurs d’abord, parce qu’ils étaient particulièrement pénibles pour leurs commandes et leur comportement était déjà limite avant les incidents, ils avaient détérioré un extincteur… Quand la bagarre entre les groupes a commencé, les agents sont immédiatement intervenus pour exfiltrer le plus costaud, qu’ils avaient déjà dans le collimateur, avant que ça ne dégénère. Et il ne s’est pas laissé faire même s’il dit le contraire aujourd’hui. »

« Nos gestes ont été fermes mais techniques »

Franck Meunier attend des nouvelles de la police, une confrontation sera probablement organisée entre les plaignants et les 4 agents d’Axial Protection. De leur côté, les videurs nient en bloc toutes les déclarations précédentes. Rencontrés une semaine après les faits, ils expliquent collectivement :

« Nous sommes entraînés, expérimentés et nos gestes ont été fermes mais techniques. Il n’y a pas eu de coups portés. Le grand a été escorté vers la sortie par deux d’entre nous, il se débattait, il ne voulait pas nous suivre. Et nous ne l’avons pas mis à terre, il est tombé tout seul tellement il était ivre. Quand c’est arrivé, tous ses amis, une vingtaine de personnes, sont venus s’en prendre à nous. Donc nous avons appelé du renfort, si bien que nous étions tous les quatre près de la sortie. On a pris les gars un par un pour les sortir de l’établissement, c’était vraiment difficile vu qu’ils étaient nombreux et qu’ils nous insultaient. Mais nous sommes restés calmes et nous avons appelé la police. »

Les videurs nient avoir utilisé des gazeuses. S’ils se souviennent bien qu’il y avait des gaz irritants dans le hall d’entrée ce soir là, ils ne savent pas qui les a projetés. Quant à l’épisode de la vidéo et de la séquestration, les agents affirment n’avoir jamais détenu quelqu’un à l’intérieur ni demandé qu’une vidéo soit effacée. Eux aussi sont allés faire constater les coups qu’ils ont reçu, mais dans une clinique et à leur propre initiative. Reconnaissant que ces échauffourées ont été les plus intenses depuis l’ouverture de la Manufakture, ils n’ont pas porté plainte pour les coups qu’ils ont reçu, indiquant qu’il s’agit « des risques du métier. »


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