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Après un mois de doute, l’aide d’État aux indépendants se débloque

Non couverts par le chômage partiel, les indépendants peuvent faire appel à l’aide aux entreprises accordée par l’État. Très critiqué pour ses conditions d’attribution draconiennes, le dispositif a été assoupli. Sauf que certains ont touché leurs aides, selon des règles déjà caduques.

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Pour les confinés, plus besoin de se déplacer, même à vélo. Dommage pour Marc Valentin, dont c’est le cœur de métier. Cet autoentrepreneur retape et vend des bicyclettes d’occasions dans la Petite-France. Cette crise du Coronavirus, il la vit comme une nouvelle difficulté à surmonter après deux années difficiles. Même à la reprise, il s’attend à voir son activité impactée : 

« Je pars du principe que le confinement va durer encore longtemps, même s’il ne concernera pas tout le monde. Je m’approvisionne beaucoup en Allemagne et en Suisse, comment je fais si les frontières sont fermées ? J’avais un contrôle technique le 23 mars qui a été annulé. Je ne serai pas le seul à vouloir faire réviser mon véhicule à la reprise ! »

1 500 euros : une béquille bienvenue

Bref, Marc Valentin n’est pas prêt de rouler. Comme tous les indépendants, auto-entrepreneurs ou non, il peut demander un prêt exceptionnel garanti par l’État, un report de ses cotisations et la mesure phare du plan de sauvetage du ministre de l’Économie Bruno Le Maire : une aide de 1 500 euros maximum. Celle-ci est versée aux indépendants, aux auto-entrepreneurs et aux PME de moins de 10 salariés. Une béquille bienvenue qui fera office d’allocation chômage pour nombre d’entre eux, mais qui ne rassure pas vraiment le commerçant :

« Personnellement, ça me permettra à peine de combler le trou et les frais du mois de février, où j’avais déjà noté un ralentissement… »

Pour les commerçants et les indépendants, les conséquences continueront de se faire sentir à long terme (Photo : Pierre Pauma)

Accès élargi, conditions plus faciles

Mardi 14 avril, Bruno Le Maire a annoncé un assouplissement des règles d’attribution de cette aide exceptionnelle. À partir d’avril, les pertes seront calculées au choix à partir du chiffre d’affaire mensuel moyen en 2019, ou bien sur les pertes du mois, par rapport au même mois de l’année 2019. Si celui-ci a chuté de 50%, l’État comblera la perte jusqu’à 1 500 euros.

Pour les autoentrepreneurs et autres indépendants non couverts par le chômage partiel, c’est un vrai soulagement. Dans un premier temps pour prétendre à la fameuse aide, il fallait attester de 70% de perte de chiffre d’affaires entre le mois de mars 2019 et le mois de mars 2020 (ramené ensuite à 50%).

Mais surtout, il fallait justifier de ces pertes sur un seul mois. Une aberration pour les cohortes d’indépendants aux revenus irréguliers d’un mois sur l’autre et qui ont plutôt l’habitude de raisonner en revenu annuel. Pour faire simple : il suffisait d’avoir fait un mois de mars faiblard en 2019 pour se retrouver exclu du dispositif. Bercy ayant rectifié le tir, le représentant de la FNAE (Fédération Nationale des Autoentrepreneurs) dans le Grand Est, Laurent Hily, se dit satisfait. Mais il espère aussi un geste supplémentaire de la part des organismes de gestion de retraite :

« Certains sont mieux lotis que d’autres. Le Régime des Commerçants et Indépendants, auxquels sont affiliés de nombreux auto-entrepreneurs, va délivrer une aide supplémentaire allant jusque 1 250 euros, sur la base des cotisations retraite versées par chacun. Mais il reste encore quelques autoentrepreneurs affiliés à la Cipav (la caisse de retraite des professions libérales, ndlr) qui n’en bénéficient pas pour l’instant. »

Les groupements d’agriculteurs ainsi que les entreprises en redressement judiciaire ou en procédure de sauvegarde, jusque-là exclus du fonds de solidarité, pourront également demander l’aide de 1 500 euros.

Revenu annuel, calcul mensuel… Les indépendants et Bercy ne parlent pas la même langue

Mais même si le consensus a été atteint, certains indépendants ne sont pas prêts d’oublier les angoisses du mois qui vient de s’écouler. En annonçant cette aide dès le début du confinement, le gouvernement a voulu être réactif. Problème, il n’a pas ratissé assez large. Dans le communiqué du 16 mars, seuls les TPE, PME, autoentrepreneurs et indépendants pouvaient bénéficier des 1 500 euros d’aide. Vent de panique chez les artistes-auteurs qui étaient exclus du dispositif, mais aussi chez les professions libérales qui ne sont pas citées. Si ces dernières ont rapidement été rassurées, les artistes-auteurs ont rongé leur frein jusqu’au 27 mars. C’est finalement Frank Riester, le ministre de la Culture fraîchement rétabli du Coronavirus, qui a annoncé leur éligibilité au fonds de solidarité.

« C’est censé être une mesure d’urgence, pas une aide au mérite »

Même point de vue du côté des créatifs. Les premières mesures annoncées n’avaient pas vraiment enthousiasmé Central Vapeur Pro. Chargé de mission au sein de ce collectif strasbourgeois qui défend les droits des artistes-auteurs, Grégory Jérôme avait réalisé un premier sondage : 65% des interrogés ne rentraient pas dans les cases du gouvernement et n’avaient pas droit à l’aide financière. Si les dernières annonces devraient rectifier le tir, le retard à l’allumage et la perpétuelle nécessité de légitimer la profession laisse un goût amer à Grégory Jérôme :

« Cela montre quand même une certaine déconnexion avec la réalité. Un artiste, ce n’est pas seulement quelqu’un qui expose dans des galeries. C’est aussi une personne qui intervient dans des écoles, dans des prisons, qui reçoit des commandes… Tout ça s’est arrêté et les conditions d’indemnisation sont soit floues, soit dramatiquement faibles. »

Il cite à titre d’exemple les auteurs de livres, qui vont devoir composer avec un embouteillage encore plus monstrueux que d’habitude, au moment de la rentrée de septembre. Ceux qui sont exclus du fonds de solidarité aux entreprises devront se partager un million d’euros… à condition d’avoir publié trois livres, dont un ces trois dernières années.

« On se dirige vers une sélection des artistes qui seront indemnisés. Ce genre de décision va conforter les auteurs déjà bien intégrés, et va laisser de côté les plus fragiles ou ceux qui débutent. On parle d’une aide d’urgence, pas d’une aide au mérite. »

Les artistes auteurs craignent que le mode de calcul qui leur est réservé ne tienne pas compte des réelles baisses de commande. (photo : Pierre Pauma)

« Du coup, on va devoir rendre l’argent ? »

De son côté, Zoé (le prénom a été modifié) s’estime heureuse. Sa demande d’aide a été traitée rapidement et l’illustratrice et graphiste a ainsi pu recevoir 1 400 euros. De quoi compenser la perte de plusieurs commandes et interventions dans le cadre de festivals qui ont été annulés ? Pour l’artiste, il est encore trop tôt pour évaluer la casse, tout cela ne sera visible qu’à long terme. Mais à court terme, le jeu de la « roulette russe » auquel se livre Bercy la laisse un peu perplexe. Elle se demande si sa bouée de sauvetage ne risque pas de repartir aussi vite qu’elle est arrivée :

« Certains ont déjà touché l’aide d’urgence. Est-ce qu’on va nous la réclamer si on estime que la perte sur l’année est insuffisante alors quelle était significative sur le mois ? »

Pas de panique, d’autres annonces sont sûrement à venir.


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