Fermé fin 2018, le Mudd Club était un haut-lieu de la musique locale strasbourgeoise. Depuis, c’est dans un autre sous-sol que les concerts des groupes locaux se sont déplacés : celui du Local, un bar situé rue de l’Abreuvoir à la Krutenau. Dans ces 70 m² aux lumières tamisées, un peu de la chaleur du Mudd se détache des murs. Stéphane Kirchherr, qui a imaginé et ouvert ce lieu avec son comparse William Beyou en 2015, confirme cette connexion :
« Phil (Philippe Pollaert) l’un des patrons du Mudd est venu nous voir pour nous donner des conseils, des contacts, nous dire les conneries à ne pas faire. Le Mudd a été une de nos sources d’inspiration principales pour l’ouverture du Local et ils nous ont toujours soutenu, dès de début. On aimerait reprendre leur flambeau, même si c’est à notre façon. »
Le Local est un café-concert. Dès son ouverture l’endroit a accueilli des groupes, pouvant se produire avec un accompagnement technique réduit au minimum sur une scène minuscule. Des jam sessions se formaient régulièrement, rassemblant des musiciens au petit bonheur la chance. Mais ce n’était pas suffisant pour les deux propriétaires :
« Tout le monde dans l’équipe est musicien, alors on a conscience de la situation des groupes qu’on accueille et de leurs nécessités. Dès le début, on a toujours payé les artistes au mieux. On les accueille, on les nourrit, on les héberge. Sans moyens il faut savoir bricoler… »
Quatre concerts par semaine
Impossible de dissocier le Mudd Club de son caveau qui accueillait ses concerts. Une caractéristique que le bar de la Krutenau a fait sienne le 12 octobre 2018, après un an de travaux. La cave qui jusqu’alors servait au stockage a été transformé en une mini-salle de concert. Avec ce nouvel espace, la programmation du Local s’est intensifiée et rappelle celle du Mudd dans son foisonnement et ses esthétiques. Le lieu organise en moyenne 4 concerts par semaine ! L’ambiance est ancrée sur une base rock/blues rock, avec des excursions dans le jazz, le folk, un peu de hip hop et de reggae.
Stéphane Kirchherr a lui-même arpenté la scène du Mudd et il y était encore peu avant la fermeture, en novembre 2018, sous son nom de scène Churchman, accompagné du musicien Prokop, un autre habitué du Local. Cette filiation se retrouve aussi dans les Freestyle Mondays. Ce lundi mensuel consacré aux impros et joutes verbales de slam et rap se déroulait au Mudd depuis 2011. Le 19 novembre 2018 eu lieu la première édition au Local. Mais le caveau reste petit et les contraintes du lieu forcent les artistes à adapter leurs scènes à l’espace restreint.
Poursuivre et prolonger
Bien que la musique soit très importante pour Stéphane et William, ils désirent faire du Local un lieu culturel au sens large, pas restreint aux concerts. Le bar accueille des expositions d’artistes locaux : Jungle Cyborg, Anton Doroshkov, Collag3s Stori3s ou encore Ruben Gray.
La programmation du caveau elle aussi ne se limite pas à la musique. La troupe de théâtre Banana Impro occupe l’espace deux fois par mois, la compagnie Träumer y a joué Chasse à la grive, une pièce de théâtre, et des artistes de stand-up pourraient les rejoindre.
Émergence et défrichage
Les café-concerts occupent une place importante dans le réseau de la musique actuelle émergente. Ils sont une étape obligatoire dans le parcours des groupes en cours de professionnalisation. Le Local a par exemple accueilli les groupes Hewa et The Flouk’s quelques semaines avant qu’ils ne soient sélectionnés dans le Tremplin de Décibulles.
Strasbourg abrite une activité musicale très riche, de l’avis de Joël Beyler, président de la Fédélab (la Fédération des labels & producteurs phonographiques du Grand Est) et manager du label #14 Records. Malgré la dématérialisation de la musique et l’impact que cela a pu occasionner sur l’industrie du disque, le passage dans les petites salles demeure indispensable selon Joël Beyler :
« Le passage par les salles de concert est de plus en plus important dans le développement d’un projet artistique. Par le passé, l’industrie du disque soutenait le live, le rapport s’est inversé aujourd’hui. Un groupe musical peut se développer par la scène. Il existe de nombreux petits lieux de diffusion. Mais à Strasbourg, il manque des lieux de taille intermédiaire, on passe des cafés-concerts qui ont une jauge de 50 personnes à des salles avec des jauges plus grandes, le format intermédiaire n’existe pas même si certaines réponses semblent se profiler dans les années à venir, du côté de la Maison Bleue ou de la Coop. »
Le Local s’intègre ainsi à des réseaux très heureux de trouver une scène accessible… notamment au travers de partenariats avec des labels comme NLP, Blue Bear Records ou encore Omezis. C’est avec ce collectif et label de jazz indépendant et l’association culturelle La Lézarde que le Local organise régulièrement les soirées Omezis, soirées-conférence ambitieuses d’une durée de 8 heures. Paul Shwartz, gérant d’Omezis et membre du conseil d’administration de la Fédélab, se dit très satisfait de cette nouvelle configuration :
« Durant deux ans les soirées Omezis se sont déroulées à la Popartiserie, mais l’endroit a fermé en mai un peu précipitamment. Ce qui nous a conduit à chercher un autre lieu et par chance le Local a ouvert son caveau à la rentrée. Au départ c’était un peu un challenge, en termes de place déjà. Mais finalement nous aimons beaucoup la proximité avec le public. À la Popartiserie les soirées étaient de 19h à 22h, il fallait fermer tôt… Au Local, nous avons pu étendre le concept… «
Des difficultés de fonctionnement toujours présentes
Mais il n’y a pas de miracle. Les petites salles peinent à maintenir leur activité. Pour Stéphane Kirchherr, cela est notamment dû au fait que la législation est pensée pour les grosses structures. Souvent subventionnées, elles peuvent absorber des frais de mise aux normes, d’aménagement et de fonctionnement inaccessibles aux cafés-concerts. La vague de fermeture des petites salles survenue à Paris au début de l’été 2018 avait déjà attiré l’attention sur les difficultés rencontrées par ces lieux d’émergence. Stéphane Kirchherr détaille :
« On a mis les moyens, on a investi, on a pris des risques. Il y a les études d’impact sonore, les travaux de mise aux normes, l’achat de limiteurs sonores, la Sacem, la Spree, le coût des cachets, tout ce qui concerne la réception des musiciens, l’achat du matériel de scène, le coût du personnel technique, le personnel de sécurité, le coût en temps… J’en passe et des meilleures. Heureusement que nous sommes soutenus par des associations, notamment AM Production, l’association qui gère le caveau. »
Cependant il note un changement d’ambiance dans ses relations avec la Ville de Strasbourg, depuis l’ouverture du caveau. Selon Stéphane Kirchherr, la direction de la réglementation urbaine prennent en compte la situation réelle et le contexte des bars avant de formuler leurs avis. Il espère que cette dynamique continuera…
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