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Les profs doivent trouver eux-mêmes comment gérer l’après-Charlie

Dans les lycées, les professeurs ont été les premiers interlocuteurs avec les adolescents de France suite aux attaques contre Charlie Hebdo. Non préparés à gérer ce type d’événements, ils ont été pour la plupart livrés à eux-mêmes. D’éventuelles actions futures ne sont pas davantage organisées. Certains ont pu sortir quelque chose de positif de cette séquence. Ils racontent.

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Les témoignages illustrent des inégalités de situation importantes et aucune action future n’est coordonnée. (Photo Wikimedia Commons)

Jeudi 8 janvier était une journée de classe particulière. Au lendemain des attaques, impossible de ne pas penser aux attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo, alors que la traque des terroristes se poursuivait.

Pas de consigne en arrivant au lycée

Pas plus préparée que les enseignants à ce type de situation, la hiérarchie dans les lycées s’est faite discrète ce matin-là. Un seul inspecteur en Alsace a envoyé un email avec quelques conseils à l’adresse des professeurs. Malgré quelques relais, beaucoup ne l’on pas eu à temps ou du tout. En dehors de la minute de silence à midi, il n’y avait pas de consigne particulière au moment de retrouver sa classe.

Certains se sont sentis incapables d’aborder le sujet. À la fois personnellement touchés et pas forcément formés à manier des concepts sensibles, particulièrement pour les enseignants des matières scientifiques. D’autres ont essayé tant bien que mal.

32 élèves perturbateurs en Alsace, officiellement

Il a aussi été demandé aux professeurs de signaler les perturbations. L’occasion pour Linda Chenouf, secrétaire générale de l’UNSA-Éducation, de rétablir une vérité :

« Il y avait comme consigne de faire remonter d’éventuels incidents, mais pas de procéder à un fichage des élèves, contrairement à ce que certaines rumeurs ont voulu faire croire. »

Les chiffres officiels font état de 14 élèves perturbateurs dans le Bas-Rhin et 18 dans le Haut-Rhin en collèges et lycées, soit 148 706 élèves. Un nombre à relativiser puisque par exemple au lycée Marie Curie, le moment de recueillement s’est déroulé dans la cour « pour les élèves qui le souhaitaient ». Aucun trouble n’a dès lors été relevé.

Une défiance non quantifiable

Au niveau national, 70 minutes de silence sur 64 000 établissements auraient été interrompues. Des estimations que l’opposition juge sous-estimées et d’ailleurs réévaluées à la hausse depuis.

Le 15 janvier, après avoir appelé à la mobilisation des enseignants deux jours plus tôt, la ministre de l’Éducation nationale Najat-Vallaud Belkacem déclare d’ailleurs sur RTL que « un jeune sur 5 qui serait perméable aux théories du complot ». Un chiffre en fait issu d’un sondage du mois de mai sur l’existence ou non de la société secrète des Illuminati d’après le décryptage d’Europe 1.

Entre désaccord sur le fond ou simple défiance adolescente, le flou total sur cette question montre une certaine appréhension du monde éducatif face à un phénomène inquantifiable.

Difficile de trouver le ton juste

Face à des lycéens, déjà assez matures pour avoir une opinion construite, mais encore sous l’autorité du professeur, difficile de trouver sa place et le ton juste. Selon l’expérience, le public ou la matière enseignée, les témoignages des professeurs dénotent une grande inégalité de situation à l’image de cette enseignante de Lettres:

« Je me sentais prête, parce que je suis l’actualité de près. Dieudonné, on en avait parlé l’an dernier, et le thème du rire était programme en BTS il y a deux ans. Mais ce n’est pas au sein de l’Éducation nationale que j’ai appris comment désamorcer ces situations. Étant donné que ça fait longtemps que je travaille dans mon établissement, j’avais anticipé les réactions de mes élèves. Les théories du complot ou le deux-poids deux mesures, on l’entend régulièrement. »

Pour Pascal Kittel, représentant du SGEN, les retours sont plus négatifs en bac pro :

« Il y a plus de difficultés dans les lycées professionnels, car le message actuel n’y passe plus. L’école ne fait plus autorité. Elle ne peut pas être seule sur ces thématiques. »

Des inégalités dont un professeur d’Histoire-Géographie du lycée Kléber est par exemple conscient :

« J’ai beaucoup de chance d’enseigner dans un établissement où des élèves de toutes confessions (catholiques protestants, juifs et musulmans…et bien sûr de nombreux non-croyants) cohabitent parfaitement et mon rôle est de jeter des ponts entre toutes les cultures pour que le respect l’emporte sur la méfiance ou la haine. »

Un professeur représentant syndical de FO a, lui, eu une attitude radicalement différente :

« Je n’ai rien fait, car l’école est laïque. La laïcité concerne aussi bien les élèves que les enseignants. Dès que l’on aborde des sujets d’actualité ou les religions, les profs sont ensuite exposés, soit par les élèves soit par les parents, car des propos sont mal interprétés et déformés. C’était déjà le cas le cas après le 11 Septembre. »

Passé le jour-même la discussion évolue

Pour cette professeur de philosophie, des éléments de discussion positifs ont pu ressortir de ces événements, même si sa matière lui a facilité la tâche :

« Nous en avons parlé non pas par nécessité pédagogique mais psychologique. La discussion s’est faite en trois temps. D’abord, “qu’est-ce qui se passe ?” Il fallait définir les termes : injures, blasphème, terrorisme… Ensuite, il y avait le “que va-t-on devenir ?” C’était le plus difficile, car il y avait beaucoup de colère et de peur. Enfin le troisième, c’est l’après. Comment nos vies vont changer ? À chaque séquence il a été possible de développer un concept du programme, comme les libertés, la démocratie, la politique et les élèves étaient bien plus réceptifs que lorsque cela est abordé à travers le programme officiel.

Mes élèves ont quand même été rassurés par la manière dont François Hollande et le gouvernement ont géré les événements, même s’ils étaient plus sceptiques sur les manifestations du dimanche et leur intérêt. Un peu comme moi.

La semaine suivante, nous avons commencé le cours par au moins 15 minutes de discussion autour de ces sujets et leur évolution, car les élèves sont très demandeurs. Ensuite, je reprenais mon cours. »

Face à ces demandes, les enseignants d’Histoire-Géographie, souvent tâchés d’assurer l’éducation civique (ECJS), sont en première ligne :

« Je suis intervenu dans mes 5 classes en deux temps : d’abord expliquer ce que représente l’hebdo Charlie : un journal satirique qui critique notamment toutes les religions et tous les partis politiques, journal nullement raciste, ni anti-musulmans. Ensuite, j’ai orienté le débat en ECJS sur le thème “peut-on rire de tout ?” et celui de la liberté d’expression. »

L’attitude à adopter a aussi été la source de vifs désaccords entre professeurs, dont témoigne une enseignante :

« Une collègue n’en a pas parlé, car elle est en désaccord avec Charlie Hebdo, ce que je trouve révoltant. Ce n’est pas le sujet. On n’était pas là pour défendre le titre, mais expliquer la liberté de la presse et d’opinion. D’autres s’en fichent tout simplement… »

Enfin, les chefs d’établissements étaient libres d’organiser une action ou non.

« Notre chef d’établissement a réuni les différentes classes le lundi, d’abord le collège, puis le lycée. Nous avons rendu hommage à l’ensemble des victimes avec des bougies. Le proviseur a voulu rassurer les élèves, mais aussi rappeler qu’il ne voulait pas entendre de propos islamophobes dans notre enceinte. », décrit un membre d’un lycée confessionnel.

Une initiative qui reste personnelle. Dans certains établissements le mot d’ordre est de projeter des caricatures, pour d’autres ne rien faire. Au lycée Jean Monnet, ce sont par exemple les professeurs qui ont fondé un collectif pour réfléchir aux suites à donner avec les élèves, bien que la direction soutienne la démarche, et un texte écrit par un enseignant devrait être diffusé à tous les élèves. Au lycée Kléber, ce n’est pas le cas, « il faut maintenant calmer le jeu », apprend-on d’un des enseignants.

Le cas de Mulhouse envoie un message trouble

Passé ce moment d’urgence, les actions n’ont pas été davantage coordonnées au niveau local comme national. Les déclarations de mobilisation de la part du Ministère ne sont pas suivies de projets collectifs. Un guide de conseils et matériaux pédagogiques a été mis en ligne, mais son application reste libre. On parle encore moins de moyens financiers supplémentaires.

Pour David Grisinelli professeur de mathématiques et représentant de l’UNSA, le réaction du gouvernement a été un signal positif, mais a créé des difficultés supplémentaires :

« Au niveau national, il y a eu une réaction immédiate, mais cela s’est traduit par beaucoup de pression sur les recteurs, puis les chefs d’établissements et donc sur les enseignants, qui eux étaient sacrément démunis. »

Et pour cause ! Lundi 12 janvier un professeur de collège à Mulhouse a été suspendu quatre mois par le Rectorat à la demande de parents d’élèves, sans même que sa version des faits soit entendue, ni les caricatures projetées visionnées. Le ton serait monté en particulier avec un élève ce qui aurait engendré des tensions, mais les versions sont contradictoires. Une procédure disciplinaire a aussi été ouverte.

Là où les professeurs aimeraient un soutien de leur hiérarchie, la décision risque de refroidir les initiatives personnelles. Les syndicats alertent sur le message envoyé au reste de la profession. Une réunion avec le recteur jeudi 15 janvier s’est tellement mal passée que certaines organisations ont claqué la porte.

Le débat doit sortir des salles de classes

Un point assez souvent partagé est que, passée l’émotion initiale, les discussions doivent sortir des salles de classes. Professeurs non-préparés, relation à l’élève inadaptée, tels sont les constats, qui justifient de bousculer les habitudes de l’Éducation nationale.

Certains pensent qu’il faut agrandir le cadre, réunir des jeunes de différents niveaux, et avoir une action au niveau de l’établissement voire inter-établissements, mais ce professeur de mathématiques en lycée technique préfère les plus petits effectifs :

« J’ai eu des élèves le matin même, un groupe de moins de 10 élèves. La séance était apaisée car c’est plus simple de discuter dans ces conditions. Cela évite les effets de groupe. Chacun peut s’exprimer et se faire son opinion et pas forcément suivre celle des copains. »

Pour lui, le débat peut avoir lieu dans les classes mais sous certaines conditions :

« On peut aussi envisager d’avoir des intervenants extérieurs, des membres d’associations ou de confessions, qui puissent venir dans les classes apporter des compétences pointues sur ces thèmes. Les seules conditions sont qu’ils tiennent un discours républicain et que cela se passe en présence du professeur. »

Le maire de Strasbourg, Roland Ries, avait évoqué l’idée dès le jeudi 8 janvier, de la venue de représentants des cultes et des athées dans les établissements scolaires. Les détails d’une « conférence citoyenne » à Strasbourg seront annoncés ce lundi 19 janvier. Les syndicats espèrent aussi profiter de ce moment de réflexion sur l’école pour avancer des réformes qu’ils souhaitent sur la carte scolaire ou la laïcité dans les écoles alsaciennes.

Objectifs : le « mois de l’Autre » et la semaine de la presse en mars

Le débat, il devrait reprendre plus sereinement en mars où deux événements annuels sont à l’agenda. La 11e édition du mois de l’Autre, un dispositif mis en place par la Région Alsace à destination des 52 lycées et CFA doit être placée sous le signe de la liberté d’opinion. Les échanges seront certainement revus et adaptés aux tragiques événements récents. La semaine de la presse, du 23 au 28 mars, est un dispositif national qui doit familiariser les élèves avec l’univers des médias et les enjeux démocratiques. Les congés scolaires seront passés et cela laisse un peu de temps pour préparer ces rencontres.

D’habitude un peu boudés ou jugés comme une perte de temps vis-à-vis des programmes à tenir, ces événements institutionnels devraient plus mobiliser cette année. Et faire ressortir les fragilités déjà entrevues ?


#académie de Strasbourg

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