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Anne Mahler, illustratrice alsacienne rurale mais youtubeuse pour les petits

Anne Mahler est illustratrice d’albums jeunesse. Travailleuse et créative, elle exerce sa passion dans des livres, à l’école, pour des artisans… De sa maison de campagne alsacienne, elle passe maintenant par YouTube pour éveiller des vocations chez les plus jeunes.

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Il suffirait de tricher un peu pour dire que le nom d’Anne Mahler la prédestinait à son métier d’illustratrice (en allemand, Maler signifie peintre et dessinateur). Cette alsacienne de 27 ans s’est lancée voilà cinq ans dans les illustrations de livres jeunesse. Aujourd’hui, on trouve ses dessins colorés, au crayonné vivant, dans de nombreux albums, comme Epaminondas ou L’Agenda de la petite souris.

Elle vient de publier son onzième livre, La Sorcière verte joue au docteur, illustré à l’aquarelle. Et depuis mai, elle alimente sa chaîne YouTube, So Easy. Une nouvelle expérience à côté des interventions dans les écoles, des missions de graphisme, et de peinture occasionnelle de fresques.

Une histoire de famille

Sa situation actuelle, elle était loin de l’imaginer il y a une dizaine d’années, quand elle était au lycée dans la vallée de Munster (Haut-Rhin) :

« J’ai grandi dans l’hôtel-restaurant de mes parents, à Hohrodberg, qui n’est même pas assez grand pour être un village. Après le bac, je ne savais pas trop ce que je voulais faire, mais je voulais partir, je voulais la ville. Mais dans les tests d’orientation, il n’y a rien qui me correspondait… Et puis mon entourage m’a dit de faire du dessin, puisque je passais mon temps à faire ça. »

Anne Mahler a hérité sa passion de son grand-père, dessinateur passionné mais qui n’a jamais pu en faire son métier. Il avait quand même laissé sa marque dans la région :

« Mon grand-père était à fond dans le dessin ! Il a réalisé beaucoup de fresques, il y a ses dessins sur des façades de bâtiments un peu partout en Alsace. »

C’est dans sa maison qu’Anne Mahler a installé son atelier où elle prépare, entre autres, son prochain album (Doc remis)

Bosser « comme des fous »

Elle se rend d’abord à Strasbourg pour entamer un cursus en arts visuels. Si elle n’y trouvera pas trop son compte, elle en profitera pour créer son « book » :

« C’était plus une année sabbatique qu’une année de fac. Il y avait trop d’histoire de l’art et pas assez de dessin. Du coup, j’en ai profité pour monter mon dossier pour entrer dans des écoles d’art ».

Elle sera prise à l’école Pivaut de Nantes, une école privée d’arts appliquées et de « dessin narratif ». Elle raconte :

« On a bossé comme des fous pendant trois ans, et j’ai pris la spécialité illustration. J’aimais bien les livres pour enfants, ça correspondait bien à mon style. »

Elle se décide pour ce domaine et se met à démarcher des éditeurs, même avant la fin de ses études. Celle qui se décrit comme « stressée de la vie » raconte sa peur de ne jamais décrocher de contrats, notamment après une mauvaise expérience au salon du livre :

« Une fois, avec mes amis, on avait débarqué à 3-4 au salon du livre de Montreuil pour montrer nos books, mais c’était catastrophique. Je me suis vraiment fait refouler. On me disait que mes couleurs étaient fades. Depuis, j’ai essayé de m’améliorer. »

Provoquer la chance pour se maintenir à flot

Pourtant, dès la sortie de l’école, la chance lui sourit. Après s’être réinstallée dans le Haut-Rhin (à Obersaasheim, près de Neuf-Brisach) avec son compagnon, illustrateur lui aussi, elle crée un premier projet qu’elle met sur son blog, « Augustin le Babouin ». Et là, les éditeurs commencent à la contacter :

« La première année, les contrats se sont enchaînés. J’ai pu sortir mon premier livre à la fin de l’été avec les éditions Retz, puis un deuxième avec les éditions Gründ, puis un troisième, etc. Je crois que je suis tombée au bon moment avec le bon projet. »

Si elle travaille aujourd’hui avec une dizaine d’éditeurs, elle se dit toujours anxieuse et stressée par son statut d’indépendante… dépendante des contrats :

« Je dois démarcher les éditeurs tous les deux-trois mois, il faut garder la motivation. Et puis il faut négocier, faire les devis, et j’ai parfois encore du mal à évaluer ce que vaut mon travail. Il arrive aussi qu’on se fasse des espoirs et qu’un devis ne soit finalement pas accepté. »

Si Anne a fait de sa passion son métier, le revers de la médaille est de ne pas toujours avoir un confort financier :

« Parfois on nous parle d’un projet et on nous propose de le faire pour… 0€. Même quand on me propose 400 ou 500€, c’est insuffisant étant donné que je peux y passer deux ou trois mois. En général, les contrats sont plutôt autour de 2 000€. Ce sont des avances sur droits, c’est-à-dire que théoriquement je touche un peu des droits tirés des ventes, entre 4 et 6%, mais comme elles ne sont pas exceptionnelles ça ne représente presque rien. En fait, je ne pourrais pas vivre que de la vente de mes livres, ça ne marche que quand on est connu ».

Anne Mahler a maintenant une dizaine d’albums à son actif, et prépare son premier livre en tant qu’auteure (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Illustratrice multi-tâches

Du coup, comme la petite entreprise qu’elle est, Anne Mahler diversifie ses activités, et ça, ça marche plutôt bien :

« Depuis quelques années, j’ai commencé à faire des interventions scolaires pour faire des ateliers dessins. Les écoles ont dû se passer le mot, car maintenant je suis régulièrement sollicitée par plusieurs établissements. »

Le réseau et sa petite renommée locale, c’est aussi ce qui lui a ouvert d’autres opportunités. Des artisans lui passent des commandes, ce qui lui permet de faire des missions de graphisme. Elle s’y était déjà exercée toute seule, comme par exemple sur ce sac en coton bio qu’elle porte à l’épaule, et pour lequel elle a réalisé des illustrations de fruits et légumes :

« Je réalise des commandes pour des professionnels et des particuliers. Ça me plaît beaucoup, c’est génial ! Maintenant je fais aussi des dédicaces, où parfois je suis payée. J’ai aussi réalisé une fresque pour la clinique des Diaconesses à Strasbourg, qui l’avait commandée à mon grand-père. Il n’était plus en état de le faire, alors avec mon copain, on a pris la relève. J’ai aussi trouvée une agence d’expositions, qui m’a permis d’exposer récemment des planches originales pour la première fois. »

Anne Mahler diversifie ses activités et vend par exemple ce sac en coton dont elle a réalisé les illustrations (Doc remis)
L’univers de l’illustratrice est fait de personnages imaginaires, comme ici la Sorcière Verte, et d’animaux colorés (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Transmettre sa passion aux plus jeunes

Récemment, les interventions dans les écoles l’ont poussée à réaliser un nouveau projet : une chaîne YouTube. Sur So Easy, lancée en mai 2017, elle apprend en quelques minutes et avec des gestes simples à dessiner des animaux, des personnages de contes, des plantes, etc. :

« Je me suis rendue compte dans les écoles que tout le monde est capable de faire des dessins. Au début, je visais un public enfant, mais j’ai réalisé que beaucoup d’adultes aussi suivaient mes vidéos. Ils les regardent en famille aussi. Certains m’ont dit que leurs enfants sont vraiment « à fond. » Peut-être que certains voudront devenir illustrateurs, c’est bien si ça les aide. Moi je n’avais pas eu ça. »

Elle considère qu’Internet aujourd’hui permet d’apprendre plus facilement. En tout cas, elle est adepte de l’apprentissage en ligne :

« À l’époque, on avait des forums de dessins. J’y mettais mes dessins et on me donnait des conseils. C’est quelqu’un qui était passé par l’école Piveaut qui m’en avait parlé. Il était très doué, ça m’avait vraiment motivée. »

Pour sa chaîne YouTube, elle s’est formée en montage, pour perfectionner ses vidéos, la lumière, l’angle, le son… Comme tous ses nouveaux projets, elle a foncé tête baissée :

« Pendant le premier mois, j’ai posté des vidéos tous les jours. Sachant qu’il faut gérer le dessin, filmer, monter la vidéo etc. Mais ça faisait longtemps que je n’avais pas fait quelque chose pour moi. Je n’en dormais pas la nuit, j’étais trop excitée par mon projet. »

Aujourd’hui, ses 140 abonnés (et n’importe quel internaute) peuvent piocher dans plus de 40 vidéos pour apprendre à dessiner une loutre, un panda roux, un mignon petit hérisson, ou même Belle de La Belle et la Bête. Mais c’est le flamand rose qui a eu le plus de succès avec près de 1 000 vues. De nouveaux tutoriels sont à venir, mais le rythme indéterminé.

Un univers façonné par la nature alsacienne

Anne Mahler l’admet volontiers, son univers est fait d’animaux, de plantes, de couleurs vives, bref, il s’inspire de la nature dans laquelle elle a grandi :

« Mes jeux, c’était dans la nature. Et j’ai eu tous les animaux de compagnie possibles : un écureuil, des chats… et même un faon à trois pattes ! »

C’est pour cela qu’elle s’est réinstallée à la campagne. À Obersaasheim, il n’y a « rien » selon ses mots, mais c’est ce qu’elle cherchait. Elle qui travaille toujours chez elle voulait retrouver le calme de son Alsace, et c’est chose faite dans la « maison de ses rêves » :

« Je cherchais à avoir mon atelier, un potager, un jardin, et tout cela pour un prix abordable, et c’est ici qu’on l’a trouvé. C’est chouette, on a une vue sur les montagnes. Mon copain était très motivé pour venir ici, pour la neige surtout. C’est drôle, il trouvait que venir en Alsace c’était comme aller à l’étranger. »

Si elle n’exclut pas de bouger à l’avenir, pour l’instant, elle se sent très bien là où elle est, et elle l’exprime en riant et avec une pointe d’ironie :

« L’Alsace, ça vous gagne ! C’est vraiment beau. Et même si on est loin de tout, on sera bientôt mieux connectés, on aura bientôt la fibre optique ici, alors c’est parfait ! Pour envoyer des planches aux éditeurs, ce sera beaucoup plus simple. »

Et malgré les difficultés et les doutes, la jeune artiste se dit de plus en plus sereine et satisfaite de son quotidien :

« J’apprends à vivre au jour le jour, à moins m’inquiéter d’avoir une certaine sécurité, car dans ce métier… il n’y en a pas ! Je ne sais peut-être pas comment va se passer le mois prochain, mais j’ai toujours eu de la chance… Finalement, nous sommes heureux comme ça même si on ne sort pas beaucoup. On choisit nos horaires, il n’y a jamais de journée type ! Financièrement, on s’en sort, on arrive même à manger bio ! »

Pour gérer son stress, elle s’est mise à s’intéresser à l’univers du bien-être, du développement personnel. Pendant un temps, elle a lu tous les livres qu’elle trouvait sur le sujet. Et maintenant, elle l’aborde dans son premier livre pour enfant, dont elle écrit les textes pour la première fois :

« Avant je n’osais pas vraiment, mais cette fois je me suis lancée. Je suis en train de le finir. C’est toujours un livre pour enfants, mais les textes portent un message de développement personnel. C’est un éditeur avec qui j’ai déjà travaillé (les éditions du Père Fouettard), qui me fait une totale confiance, alors ça aide. »

Rendez-vous au début de l’année prochaine pour découvrir si cette première tentative d’auteure-illustratrice, Le Monstre du Miroir, sera l’album de la sérénité pour Anne… et pour ses lecteurs.


Des Strasbourgeoises et des Strasbourgeois mieux connus par leurs exploits ou leurs réalisations en dehors de l’Alsace que par leurs voisins. Et cette série d’articles est là pour changer ça !

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