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L’Alterpresse68 attaquée en diffamation par un industriel suisse

Le média en ligne régional basé à Mulhouse est attaqué en diffamation par un industriel suisse spécialisé dans le recyclage. Adrien Antenen n’aurait pas apprécié plusieurs articles publiés par L’Alterpresse68 en 2019 sur une tentative d’implantation d’une de ses usines à Malmerspach. Il estime son préjudice à plus d’un million d’euros.

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« Engagé sans être partisan », « loin du consensus mou ou de convergences tactiques », L’Alterpresse68 est un média en ligne qui aime bien titiller, gratter, dénoncer. Basé en plein cœur de Mulhouse, ce média porté par l’association Information, Pluralisme et Débat Citoyen (IPDC) existe depuis janvier 2015, compte 1 salarié ainsi qu’une dizaine de contributeurs bénévoles. Membre du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’informations en ligne), L’Alterpresse68 comptabilise chaque mois environ 30 000 visiteurs uniques, et jusqu’à 60 000 les mois de confinement.

Mais depuis l’été 2019, ce média libre et associatif est dans la tourmente. Un industriel suisse de 59 ans, Adrien Antenen, a décidé de l’attaquer en diffamation suite à une série d’articles publiés en avril, mai et juin 2019 sur lui-même et sa société Cyclamen.

À l’époque, l’ingénieur souhaite implanter une usine de recyclage de métaux sur la commune de Malmerspach, à 30km au nord-ouest de Mulhouse. Les riverains se mobilisent, ainsi que la presse locale, et donc L’Alterpresse68, qui reprend deux articles de l’association Thur Écologie et Transports, puis qui en publie un troisième, écrit par l’un de ses collaborateurs. Quelques semaines plus tard, après plusieurs manifestations, blocages et réunions publiques, le 12 juin 2019, Cyclamen abandonne finalement son projet d’implantation à Malmerspach.

Dessin de Veesse pour illustrer l’article sur l’attaque en diffamation de l’Alterpresse68 (document remis).

« Je ne veux pas d’argent, je veux juste qu’il corrige son article. »

Dans le viseur du P-DG suisse, les articles de L’Alterpresse68. Et plus précisément le troisième et dernier, intitulé : « Cyclamen à Malmerspach, ça fleure bon l’écologie factice ». Dans cet article, l’auteur, Bernard Schaeffer, un enseignant à la retraite âgé de 73 ans aujourd’hui, dresse le portrait de l’industriel, en se basant notamment sur un article du journal Le Monde, paru le 16 novembre 1999 : « Inquiétudes autour d’une usine havraise de recyclage de déchets industriels ». L’Alterpresse68 raconte le parcours du P-DG suisse, et les précédents accidents survenus dans son ancienne entreprise de recyclage de déchets.

L’article « Cyclamen à Malmerspach : ça fleure bon l’écologie factice », publié en mai 2019 est la raison de l’attaque en diffamation de l’Alterpresse68 par le PDG suisse (capture d’écran).

Contacté par Rue89 Strasbourg, Adrien Antenen explique son recours devant la justice française :

« Dans cet article, il y a des choses sur moi qui ont atteint ma réputation, et je peux prouver qu’elles sont fausses et de mauvaise foi. Mon but, c’est que l’auteur corrige ses erreurs. Je ne demande pas d’argent. J’aurais voulu qu’il me contacte avant d’écrire son article, il ne l’a jamais fait. Ni avant, ni après. »

Adrien Antenen, P-DG de Cyclamen, attaque en diffamation L’Alterpresse68.

Interrogé sur la nature de ces propos précis qui seraient « faux » et donc diffamants, Adrien Antenen a préféré rester discret : « La procédure est en cours, je ne peux pas tout dire non plus. » Bernard Schaeffer de son côté reconnaît ne pas avoir contacté l’industriel, et explique avoir écrit son article, « à partir de l’article du Monde, et à partir d’autres sources sur internet ».

D’après des documents auxquels Rue89 Strasbourg a eu accès, lors de son audition par le juge d’instruction en juillet 2020, Adrien Antenen estime son préjudice à 1 200 000 euros. Le P-DG a expliqué au magistrat : « Tout a débuté par l’article en cause ». Mais Bernard Schaeffer réfute l’accusation : « Ce n’est pas à cause de nous ! C’est la mobilisation locale qui a été énorme, et contre laquelle l’industriel et les pouvoirs publics n’ont rien pu faire ! »

« On veut nous couper les ailes, avant le décollage »

Pour un petit média, indépendant, associatif, et en accès libre comme L’Alterpresse68, la procédure pour se défendre de cette attaque en diffamation est lourde. Rien que pour les frais de justice, il faut débourser 3 000 euros. « Nous avons un budget annuel de 15 000 euros », explique Michel Muller, le directeur de publication, « donc forcément ça nous grève lourdement ».

Le petit média est justement en train de se développer, et travaille actuellement à la parution d’une édition papier, mensuelle, sur abonnement. Une stratégie de développement menacée par la procédure en diffamation :

« On voulait faire de 2021 une année de consolidation de la structure, on a investi dans un local, dans un rédacteur en chef, on a même quelques idées pour devenir éditeur… On vient un peu nous couper les ailes avant le décollage. Nous sommes un média qui dérange, avec une liberté de ton, et ça ne plaît pas à tout le monde. »

Michel Muller, le directeur de publication de l’Alterpresse68.

Cyclamen a trouvé un autre site en Moselle, mais L’Alterpresse68 pourrait payer 12 000 euros d’amende

Selon l’article 32 de la loi sur la liberté de la presse, L’Alterpresse68 peut être condamnée en outre à verser une amende allant jusqu’à 12 000 euros si la diffamation est avérée. « Nous fonctionnons grâce aux subventions de la Drac (Direction régionale des affaires culturelles), et grâce aux dons des lecteurs, mais ce serait catastrophique si ça allait jusque-là », confie Bernard Schaeffer.

Michel Muller pointe du doigt le paradoxe de l’accusation de diffamation : « Nous avons repris un article du Monde, écrit par Hervé Kempf (aujourd’hui rédacteur en chef de Reporterre, ndlr) en 1999, et à l’époque Adrien Antenen n’a rien dit. Pourquoi nous, ça ne passe pas ? »

Interrogé sur ce point précis, le P-DG suisse n’a pas répondu à notre question. En revanche, il insiste :

« Ce média écrit que j’attaque souvent en diffamation, c’est pareil, c’est totalement faux ! C’est la première fois de ma vie, que moi, personnellement, j’attaque quelqu’un en diffamation. C’est une procédure lourde pour moi aussi, et ce n’est pas dans mes habitudes ! »

L’entreprise Cyclamen, elle, n’a pas tout perdu puisqu’en novembre 2019, elle a finalement réussi à implanter son usine à Eguelshardt, entre Haguenau et Sarregemines, en Moselle. Comme on peut le lire ici dans le Républicain Lorrain : « Cyclamen a déjà voulu s’implanter au Havre, à Beaucaire, à Malmerspach. Partout, elle a été rejetée. Elle a jeté finalement son dévolu sur Eguelshardt, ravissante commune de 420 habitants du Pays de Bitche, classée en zone Natura 2000, réserve mondiale de la biosphère. »

Une première audience est prévue le 22 avril 2021, à 13h, devant le tribunal correctionnel de Mulhouse.


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