« Force ouvrière, Isabelle, bonjour. » Dans son bureau du quatrième étage de la maison des syndicats, Isabelle Dupont assure l’accueil de l’union départementale Force Ouvrière du Bas-Rhin. « Une manifestation prévue à Haguenau ? Non madame, jeudi, c’est seulement à Strasbourg. » Salariée du syndicat depuis sept ans, Isabelle constate une augmentation de l’activité depuis le début du mouvement social. Plus de coups de téléphone, plus de monde à la permanence juridique du mardi après-midi, plus d’adhésions aussi :
« Je m’occupe des adhésions de personnes isolées, celles qui ne sont pas dans une entreprise où il existe déjà une section syndicale. J’en reçois en moyenne une quinzaine par semaine en ce moment contre une ou deux d’habitude. C’est beaucoup et c’est sans compter celles qui se font dans les sections. »
La secrétaire sort de son bureau une pochette pleine de bulletins d’adhésion siglés FO. « Il y a un militant qui m’en a ramené. Depuis hier, avec celles que j’ai faites, il y a eu 16 adhésions en tout. »
« Les gens se syndiquent parce qu’ils ont peur »
Dans le couloir, quatre personnes patientent pour des conseils juridiques. Isabelle constate l’effet du mouvement social, y compris sur la fréquentation de la permanence :
« Les gens sont inquiets pour leurs retraites. Donc quand ils ont des problèmes avec leurs employeurs, ils pensent peut-être plus à l’avenir. Je pense qu’ils viennent plus facilement se renseigner quand il y a litige. »
De son bureau, la salariée observe aussi l’arrivée de personnes parfois très éloignées des syndicats :
« Au niveau des adhésions, j’ai eu des personnes qui n’auraient jamais pensé adhérer à un syndicat, mais veulent se protéger. Les gens se syndiquent parce qu’ils ont peur de l’avenir. »
Depuis le début du mois de février, ce renouveau des adhésions s’étale dans la presse nationale. Plus 7 000 adhérents par semaine selon Laurent Berger, secrétaire national de la CFDT. À la CGT : plus 50% d’adhésions par rapport à l’année dernière à la même période. Force Ouvrière déclare de son côté 2 800 nouvelles adhésions par internet en janvier.
« Quand tout va mal, on a besoin de syndicats qui se battent »
Au niveau local, Éric Borzic, le secrétaire général de l’union départementale FO du Bas-Rhin se montre prudent avec les chiffres : « On a le nez dans le guidon avec les manifs, les intersyndicales… On a aussi une activité forte par rapport aux élections professionnelles. Je ne peux pas tirer de conclusions à ce stade. »
Installé à son bureau, il rentre tout juste de la manifestation des salariés de Heineken à Schiltigheim. Sur son téléphone, les notifications d’appels et de messages s’accumulent : « Tiens, qu’est-ce qu’ils veulent les renseignements territoriaux ? » Puis le syndicaliste reprend :
« Les adhésions : ce sont des cycles. Pendant longtemps les choses se mettent en sommeil. Puis les gens viennent parce qu’il y a un problème dans leur entreprise. Ce sont parfois des demandes individuelles pour des défenses devant les prud’hommes… Et puis il y a les grands rendez-vous sociaux. Cette réforme des retraites, elle touche tout le monde. Les gens se mobilisent, viennent nous voir spontanément et une partie d’entre eux prennent la carte. Quand tout va mal, on a besoin de syndicats qui se battent. »
“On n’a pas vu ça depuis longtemps”
Sabine Gies, secrétaire générale de la CFDT Alsace, pose le même constat :
« Ce qui se passe sur les adhésions en ce moment est très exceptionnel. C’est lié au fait que la majorité de la population soutient le mouvement. Je n’ai jamais connu ça pendant une période aussi longue. »
Ce soutien, les militants syndicaux le constatent aussi dans les cortèges. Au-delà de l’affluence, c’est l’intérêt de nombreux manifestants pour les syndicats qui surprend bien des vieux routiers des luttes. Secrétaire général de l’union départementale CFTC du Bas-Rhin depuis neuf ans, Laurent Walter raconte :
« À chaque manifestation, on voit des gens qui nous rejoignent, qu’on ne connait pas, qui n’ont pas de carte d’adhérent. Ils nous demandent un drapeau ou une chasuble et manifestent avec nous. »
La preuve par l’exemple
Depuis l’émergence de mouvements spontanés comme celui des Gilets jaunes, les syndicats ont parfois été dépassés par d’autres formes de contestation, plus spontanées, comme lors du mouvement de grève des contrôleurs SNCF en décembre 2022. Mais avec la réforme des retraites, les syndicats démontrent qu’ils sont toujours capables de porter la contestation sociale. De quoi redonner du baume au cœur des militants syndicaux. « Il est arrivé que les distributions de chasubles ou de drapeaux dans les manifs soient laborieuses, explique Sabine Gies. Aujourd’hui, nos adhérents sont fiers de les porter. » Si Éric Borzic espère faire reculer le gouvernement au plus vite, il se réjouit : « les gens voient que les syndicats servent toujours à quelque chose. »
Les nouveaux venus auront accès aux publications syndicales, à des conseils personnalisés. Ils pourront participer aux réunions et s’investir dans les sections. « Dès qu’on touche un premier salarié dans une entreprise, il devient intéressant car il peut en pousser d’autres à se syndiquer, » indique Sabine Gies qui reste prudente, tout comme Éric Borzic de FO : « Il y a un engouement. Mais est-ce que c’est un effet ponctuel ? On verra. »
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