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Pourquoi l’Alsace compte peu de panneaux solaires et comment ça pourrait changer

L’énergie solaire n’a compté que pour 0,9% de la production d’électricité en Alsace en 2014. Loin des 7% de ses voisins du Bade-Würtemberg. L’Alsace en retard sur son temps ? Un fonds de développement de cette énergie est d’ailleurs à l’étude à la Région Grand Est.

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En Allemagne, les panneaux solaires fleurissent sur les toits. En Alsace, ils relèvent encore de l’exception. L’Alsace, n’a certes pas le potentiel des régions méditerranéennes, mais n’est pourtant pas moins bien lotie que ses voisins, comme le montre une carte de l’ensoleillement de l’Agence de l’Environnement et de la maîtrise de l’Énergie (Ademe) publiée en octobre 2015.

Le nord-est de la France est souvent plus ensoleillé que de nombreux pays voisins, qui comptent pourtant plus de panneaux solaires (carte Ademe)

Dans cette étude « Vers un mix électrique 100% renouvelable en 2050« , les gisements d’énergies renouvelables identifiés pour la région Grand-Est sont de 56 GigaWatt-crête, c’est-à-dire le potentiel en conditions standard. Le solaire photovoltaïque représente à lui seul près de 70% du potentiel, soit 38 GWc (avec 15 GWc d’éolien, 3 GWc supplémentaires d’hydroélectricité et près d’1 GWc d’autres sources). Aujourd’hui, les installations solaires dans les trois anciennes régions représentent 430 MégaWatt-crête, soit 88 fois moins. Le solaire pourrait couvrir à lui seul 80% la consommation du Grand Est.

Si on compare l’Alsace avec les voisins allemands ou du Benelux, on remarque que le nord est de la France a négligé cette source d’énergie. En Alsace en 2014, seule 0,9% de l’électricité provenait du photovoltaïque. Peu ou prou la même chose en Lorraine (1,1%) et en Champagne-Ardenne (0,8%). De l’autre côté du Rhin, dans le Land du Bade-Wurtemberg, l’énergie solaire représente 7% de la consommation d’électricité et devrait atteindre 13% en 2020.

nombre de panneaux en Europe (carte PowerSolar Map)

Des objectifs nationaux peu ambitieux

Une des explications est géographique et est apportée par Paul-Louis Sadoul, ingénieur énergéticien au bureau d’études fluides, thermique et environnement dans le  bâtiment, Solares-bauen :

« À législation égale, c’est toujours dans le sud d’un pays que les panneaux vont être installés en priorité car il y a plus d’ensoleillement et donc ils sont plus rentables ».

Le sud de l’Allemagne est donc plus dynamique que le nord-est de la France, bien que ces régions soient sur les mêmes latitudes.

Entre des objectifs nationaux peu ambitieux (6,7 GWc d’installations en France en 2015 contre en 38 Allemagne, 22 en Italie et 7,5 au Royaumes-Uni pourtant plus petit et moins ensoleillé) et une instabilité des prix de rachat, les régions du nord de la France n’ont pas été très incitées à soutenir cette filière au début de la décennie. Dommage, car les équipes élues en 2010 dans les 22 ex-Régions françaises rédigeaient alors leurs Schémas régionaux climat-air-énergie (SCARE). Adopté en 2012, celui de la Région Alsace donnait la priorité sur la biomasse bois et la géothermie.

Cinq ans après, le constat de l’ONG Greenpeace est clair. À ce rythme là, les trois régions désormais fusionnées n’atteindront pas leurs objectifs fixés en 2012, qui étaient de 954 MWc. Mais ça tombe bien, 2017 permet une révision des moyens alloués. Depuis, beaucoup de choses ont changé. La technologie a évolué et les prix sont de nouveau fixés. Ils sont révisés tous les trois mois, mais garantis pour 20 ans une fois l’installation terminée.

La fin des tarifs de rachat en 2010 a mis à mal les producteurs et surtout les installateurs. Bon nombre ont fait faillite.

Des impôts sur l’électricité qui partent et ne reviennent plus en Alsace

Les Alsaciens ont d’autant plus de raisons d’être mécontents de la situation. Avec le faible nombre d’installation d’énergies renouvelables (6 à 10 fois moins qu’ailleurs), ce territoire ne « récupère » que 49 % de l’argent qu’ils dépense dans la contribution au service public de l’électricité (CSPE), une taxe sur la facture d’électricité. Une partie sert en effet à aider les énergies vertes. Ce sont 48 millions d’euros investis autre part tous les ans. A contrario, la Lorraine et la Champagne-Ardenne « reçoivent » plus d’argent qu’ils ne contribuent, en particulier grâce aux projets éoliens.

Dans ces conditions, Cyril Cormier, chargé de campagne énergie et climat chez Greenpeace, estime qu’il fallait que la situation change :

« Avec la centrale nucléaire de Fessenheim vieillissante, qui fermera forcément un jour, L’Alsace est l’une des premières régions qui va connaître une transition énergétique. Comme elle a un potentiel solaire intéressant, en particulier dans le Haut-Rhin, il nous paraissait important qu’elle se préoccupe davantage de développer des énergies alternatives, créatrice d’emplois. »

Sur la question des coûts, il ajoute :

« L’énergie nucléaire coûte 50 à 60 € par kilowattheure pour des centrales dont le coût de construction est amorti. Le solaire est aujourd’hui 100-130€, mais il est très variable selon d’où il vient : 70€ le MW/h pour une grande centrale solaire, 80 à 130€ le MW/h pour un parking ou le toit d’un centre commercial et 140 à 220€ le MW/h chez un particulier. Ce coût a baissé de 90% en dix ans. »

Face aux lourds investissements de construction (le coût de l’EPR Flamanville est passé de 4 milliard à 10 milliards d’euros) ou d’entretien des centrales, il estime que le prix de l’énergie solaire pourrait être moins cher que celui du nucléaire autour de 2020. À la centrale controversée d’Hinkley Point au Royaume-Uni construite par EDF, ce sera déjà le cas. Le prix de vente de l’électricité sera de 89,50 livres/MWh, soit 117€/MWh selon les cours actuels.

Des panneaux solaires sur une église, à Griesheim-sur-Souffel, sur impulsion de la mairie (photo JFG / Rue89 Strasbourg / Flickr)

Un fonds d’investissement à l’étude à la Région Grand Est

Avant les régionales, Greenpeace entame un lobbying auprès des candidats. L’ONG estime que les Régions, renforcées par de nouvelles prérogatives dans le domaine économique et aussi de « chef de file de la transition énergétique » ont un nouveau rôle à jouer. L’organisation se base sur un sondage où 88% des habitants disent être favorables à l’énergie solaire. Son idée ? Un fonds d’investissement à hauteur de 1% du budget régional, soit 23 millions d’euros pendant 5 ans.

Si cela figurait dans le programme d’Europe Écologie Les Verts, des contacts sont noués d’autres listes. L’équipe « Les Républicains-UDI-Modem » se montre intéressée, notamment sur le volet développement de l’emploi et activité des entreprises. Fidèle à sa ligne de conduite prudente, la liste de Jean-Pierre Masseret (PS) ne prend pas d’engagement (excepté sur la gratuité des transports scolaires). Le FN ne donne jamais suite.

En se basant sur les calculs de l’association Hespul, qui lui a fourni une étude (18 pages), Greenpeace espère que cette mise de départ, attire près de 10 fois plus d’argent privé, pour atteindre 208 millions d’euros par an. Une partie (57%) serait réservée aux entreprises locales. Sur le volet emploi, ce seraient 2 000 temps-plein sur 5 ans et 500 emplois définitifs.

Une installation de panneaux solaire … dans l’Oregon (photo Oregon Department of Transportation / Flickr / cc)

Ce fonds figurera-t-il dans le Schéma Régional de Développement Economique d’Innovation et d’Internationalisation (SDREII), en cours d’élaboration et qui doit être finalisé en février 2017 ? En vacances, l’élu en charge du dossier, Sylvain Waserman (Modem), n’a pu être joint ces dernières semaines. Greenpeace avait néanmoins trouvé les premières entrevues encourageantes.

Fin 2015, avant même la fusion avec le Limousin et les Poitou- Charentes, l’ex-Région Aquitaine avait créée un fonds similaire de 8 millions d’euros, amené à être doublé.

Une plateforme en ligne

Dans un premier temps, ce fonds est plutôt destiné aux grandes centrales qu’aux particuliers. Mais pour les plus convaincus, l’ONG a mis en ligne en juillet le site « Le solaire se lève à l’Est« . Sur la plateforme, il est possible d’estimer ce que son propre toit peut produire comme énergie.

Le simulateur permet une estimation des économies financières sur 20 ans, qui se chiffrent en milliers, voire dizaine de milliers d’euros et d’économies d’énergie en CO2. Ces calculs sont surtout intéressants pour les maisons, puisque moins de familles y résident et leurs toîts inclinés permettent une plus grande surface de pose.

Avec les futures réglementations, le solaire risque d’être plus sollicité à l’avenir remarque Paul-Louis Sadoul :

« Avant, en 2010/2011, le solaire était souvent un investissement financier, grâce aux prix de rachat de l’électricité intéressants, mais leur revalorisation à la baisse a remis cela en cause. Aujourd’hui, le prix des installations baisse donc on est revenu à un équilibre intéressant. Comme on va vers une transposition des directives européennes, en 2020 tous les nouveaux bâtiments construits devront être quasiment neutres en énergie. En ville, il n’y a pas beaucoup de solutions, soit la co-génération d’électricité avec sa chaudière, soit du solaire. Par obligation, le photovoltaïque revient sur le devant de la scène par les bâtiments. « 

Même s’il est nuancé sur les vertus écologiques de cette énergie :

« Le problème d’une énergie renouvelable, c’est qu’il faut un appoint quand elle ne fonctionne pas : quand il n’y a pas de vent ou peu de soleil. Idéalement il faudrait un stockage ou des appoints rapides, mais on ne va pas créer de nouveaux barrages et une centrale nucléaire n’est pas assez réactive. En Allemagne, c’est aussi pour cela que les centrales à gaz et à charbon ont été relancées suite à la promotion des énergies renouvelables, et à l’arrêt du nucléaire, pour compenser les intermittences des énergies renouvelables.  En plus, si les panneaux sont fabriqués avec de l’électricité chinoise, au contenu très riche en carbone, pour venir économiser de l’électricité française, beaucoup plus sobre et en faisant rallumer des appoints fossiles pendant les creux, le bilan environnemental n’est plus si intéressant. »

Voltec Solar, un fleuron des panneaux solaires en Alsace

Ironie de la situation, peu équipée en panneaux, l’Alsace compte pourtant l’une des trois entreprises françaises (sur 14 à un moment), qui a résisté aux périodes de régulation et de dérégulations. À Dinsheim-sur-Bruche, Voltec-Solar garantit désormais ses panneaux haute qualité 25 ans, pour une durée de vie estimée autour de 30 ans.

Au-delà du soutien à l’économie locale, Viviane Zimmermann, directrice marketing et développement explique l’intérêt pour un installateur de se tourner vers son entreprise :

« Pour des clients européens, c’est important d’avoir une entreprise vers qui on sait se tourner, pour avoir un suivi ou en cas de problème. C’est plus difficile avec une entreprise chinoise. »

L’usine de fabrication et le siège de Voltec Solar à Dinsheim-sur-Bruchel (photo Voltec Solar)

Comme toutes les personnes de cette filière, Viviane Zimmermann scrute attentivement la réglementation européenne, déterminante pour la santé économique de ces entreprises. Elle confirme le potentiel important de l’Alsace en termes d’énergie solaire :

« Le potentiel est aussi important toutes les surfaces disponibles. L’énergie solaire ne génère pas de bruit, pas d’impact sur la nature, pas d’onde, pas de consommation annexe, pas de risque technologique et une seule visite de maintenance dans l’année. La seule nuisance éventuelle est esthétique et encore on en fait de plus en plus beaux. »

Si l’Alsace prend le tournant du solaire, l’entreprise pourrait enfin se déployer sur son secteur d’origine. Fondée en 2009, cette filiale du fabricant de meubles Alsapan vend 80% de ses panneaux à l’étranger.


#environnement

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