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En Alsace, l’hiver doux ajoute une saison d’agriculture

La chaleur hivernale entre décembre et janvier est venue perturber les activités agricoles, comme le maraîchage et l’apiculture. De plus en plus récurrent avec le réchauffement climatique, ce phénomène contraint les exploitants à s’adapter à de nouveaux cycles. 

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« Une rigueur hivernale, avec une constance des températures froides, serait la bienvenue. Mais c’est la météo qui dicte nos lois quand on est agriculteur », pose Jean-François Vierling, maraîcher à Schnersheim. Avec des températures bien au dessus des normales de saison, le mois de décembre a été doux en Alsace, notamment durant la période des fêtes : « Entre le 27 et le 31 décembre, les écarts à la normale de saison étaient de +10 degrés. C’est plutôt remarquable. La température la plus élevée observée au cours d’une journée a atteint 15,9 degrés le 30 décembre », rapporte le météorologue d’Atmo-Risk, Christophe Mertz, qui a analysé les données de la station Strasbourg-Entzheim. Il détaille :

« S’il y a une explication météorologique, qui est la présence d’un anticyclone en provenance d’Afrique du Nord, il y a aussi une explication à tendance structurelle : le dérèglement climatique. Ces épisodes d’hivers doux se sont accentués et deviennent répétitifs. »

Les normales de saison sont des références climatiques calculées sur 30 ans et mises à jour toutes les décennies. En décembre, les écarts avec les normales étaient le plus souvent positives, avec une forte augmentation à partir du 24 décembre. Photo : Graphique Infoclimat

Le manque de constance dans les basses températures peut provoquer un bourgeonnement précoce des plantes. Le conseiller maraîchage de la Chambre d’agriculture d’Alsace, Sébastien Fuchs, précise :

« Les cultures ont un “zéro de végétation”, c’est-à-dire une température en dessous de laquelle le développement se stoppe. Pour le maïs, par exemple, ce seuil se situe à 6 degrés. En général, la végétation a besoin d’une certaine somme de températures pour arriver à maturité. Cette somme oscille autour de 1 500 degrés pour que le maïs atteigne son développement total. Ainsi, des températures hautes pendant l’hiver permettent un développement plus rapide des plantes. Elles peuvent pousser très localement, sur certaines parcelles, au détriment d’autres. Les agriculteurs sont obligés de prendre cela en compte et décaler leurs travaux selon les températures enregistrées sur ces parcelles. »

Un signal de printemps envoyé trop tôt

Dans les fermes du Bas-Rhin, les maraîchers trouvent avantages et inconvénients à ces hautes températures. Le bourgeonnement précoce peut offrir de bonnes récoltes comme le détaille Vincent Moschler, maraîcher depuis 1990 :

« On a eu beaucoup d’épinards, qui se consomment plutôt bien cette saison. C’était prévu pour le début d’année mais on en a déjà depuis mi-novembre. »

Mais son exploitation de 47 hectares à Innenheim a également subi l’arrivée de « mauvaises herbes », dont la germination est intervenue dès le mois de décembre. Avec le beau temps et des températures exceptionnellement douces, la phase de dormance des graines est levée et l’apparition des plantes adventices, c’est-à-dire qui poussent facilement sans avoir été plantées, est prématurée. 

Les températures constatées peuvent envoyer le signal aux plantes de sortir de leur période d’hibernation, mais elles risquent d’être détruites par le gel peu de temps après le bourgeonnement. Vincent Moschler appréhende :

« Tout va bien quand le gel arrive en février, car il permet de préparer l’ameublissement du sol en détruisant les mottes de terre compactes. Quand le gel arrive en avril, c’est embêtant. Les légumes, comme les salades sont déjà sortis et peuvent être altérés ».

Ces épisodes de gel tardif, comme celui qui a ravagé plusieurs vignobles français en avril 2021, se sont nettement renforcés avec le réchauffement climatique. Selon les calculs des scientifiques du World weather attribution (un programme d’étude sur les effets possibles du changement climatique), la probabilité d’incidence d’un gel dans une période de démarrage végétatif augmente de 40% avec une hausse des températures de 2°C.

Le risque de voir davantage de parasites

À Schnersheim, Jean-François Vierling exploite 70 hectares en cultures « traditionnelles », à l’instar du blé. La semence a été plus tardive en raison du planning de récolte lié à la Politique agricole commune, mais grâce à la météo, son blé automnal a bien poussé. Il reste cependant vigilant quant à la prolifération de parasites :

« Quand vous avez des hivers aussi doux, les larves des insectes ne sont pas suffisamment détruites. Après l’éclosion, on peut avoir une invasion de parasites. Pour ma part, je ne vais pas augmenter les traitements phytosanitaires. Je pense que la nature est bien faite et que des prédateurs s’en occuperont. »

À la ferme Vierling, les températures hautes ont permis un développement précoce du blé. Photo : Jean-François Vierling / doc remis

À la périphérie de Reichstett, entre un vaste champ et un terrain de football abandonné, se trouve la ferme apicultrice Gross Berger et ses 600 ruches. Ce mercredi matin de début janvier, les abeilles ne veulent pas se frotter aux températures extérieures. Une aubaine pour Joël Gross, l’un des deux associés de l’entreprise, préoccupé par l’activité de ses abeilles lorsque les températures hivernales se radoucissent :

« Le souci c’est qu’elles sortent pour se dégourdir quand les températures sont supérieures à 10 degrés. Alors un jour ça va, mais après c’est plus compliqué, car elles dépensent trop d’énergie et mangent plus. Il faut être attentif et les nourrir davantage avec du sirop ou de l’eau sucrée. »

Suractivité des abeilles d’hiver

Les abeilles d’hiver, qui naissent après l’été et jusqu’en novembre, assurent la pérennité de la ruche et accompagnent les premières générations d’abeilles du printemps. Une fois leur succession assurée, elles se permettent de mourir. Mais entre les dépenses énergétiques inutiles et la surconsommation, le stock de nourriture pour l’hibernation peut diminuer très rapidement et ainsi compromettre leur survie hivernale selon Joël Gross :

« L’absence de ces abeilles peut provoquer la mort de la colonie au moment du bourgeonnement, car il n’y en plus assez pour chauffer la grappe d’abeilles. Ça peut représenter des pertes financières étant donné qu’une colonie coûte entre 150 et 180 euros à maintenir. » 

Lors des hivers plus doux, Joël Gross reste attentif à la chaleur produite par la grappe d’abeilles. Photo : DW / Rue89 Strasbourg

Une période hivernale douce peut également déclencher la ponte des reines et ainsi bonder le rucher de larves. Ce phénomène présente un risque sanitaire, puisqu’il accroît la prolifération du varroa, un parasite de l’abeille qui se reproduit dans le couvain des ruches. Son développement est rapide et peut amener à paralyser les ruches en mangeant les larves et en s’accrochant sur les abeilles

« Il y a des produits qui tuent le varroa, mais il faut les utiliser de manière raisonnée. Je suis contraint de trouver des lieux d’hivernages beaucoup plus adéquats, à l’abri du vent et du soleil pour les protéger. » 

Pour l’heure, l’apiculteur parvient à s’adapter, mais la récurrence de ces épisodes l’inquiète, ils pourraient avoir « de lourdes conséquences sur ses activités, » dit-il pudiquement.


#agriculture

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