Il y a des rentrées plus difficiles que d’autres, mais pour certains, celle-ci démarre dans le chaos. Avec la baisse annoncée des contrats aidés (voir encadré) par le gouvernement à la fin de l’été, les structures qui y ont largement recours comme les collectivités locales, les écoles et les associations, sont montées au créneau.
Alors quand on cumule les casquettes, c’est la double peine, comme en témoigne l’association ABCM qui gère dix écoles bilingues associatives réparties dans toute l’Alsace. Karine Sarbacher, présidente de l’association, raconte que sans ces contrats, cela va être très compliqué pour les postes périscolaires :
« C’est vraiment problématique pour les aides maternelles, qu’on embauchait par année scolaire. Sur notre site de Mulhouse, on a aussi deux agents d’entretien, et six animateurs et encadrants cantine et périscolaires. On ne sait pas si on va pouvoir les renouveler. Sur notre site de Lutterbach, on a dû mettre une animatrice sur un poste d’aide maternelle. Mais c’est vraiment provisoire, on ne peut pas continuer l’année comme ça. »
Elle redoute qu’il faille trouver des solutions drastiques :
« Peut-être qu’il nous faudra réunir tous les parents, augmenter considérablement les cotisations… »
8 500 contrats aidés en Alsace en 2017
C’est pendant l’été que le gouvernement a annoncé le gel de ces contrats, avant de parler d’une baisse l’année prochaine, mais en préservant certains secteurs : le sanitaire et social, l’outre-mer et l’accompagnement des enfants handicapés.
Alors qu’en 2016, 459 000 contrats aidés ont été signés, 280 000 étaient prévus pour l’année 2017, dont un peu moins de la moitié dans les associations. Or les deux tiers de cette enveloppe ont déjà été engagés lors des deux premiers trimestres de 2017. En 2018, le nombre de ces emplois devraient chuter à moins de 200 000.
D’après la DIRECCTE (Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi), l’Alsace enregistrait environ 10 000 emplois aidés au printemps 2016. Au printemps 2017, ils n’étaient plus que 8 500. Dans le Grand Est, le Bas-Rhin est le deuxième département le plus concerné (près de 5 000 emplois en 2016) derrière la Moselle (plus de 6 000 emplois). À Strasbourg, entre 1500 et 1600 personnes seraient concernées.
Au moins 475 emplois menacés dans les associations
Dans un communiqué, Alsace Mouvement associatif a recensé « 106 emplois menacés dans les centres socio-culturels du Bas-Rhin, 25 pour les associations étudiantes regroupées au sein de l’AFGES – les étudiants d’Alsace, 119 emplois dans le secteur sportif au sein d’Archimène Profession Sports et loisirs Alsace, plus de 190 emplois parmi les associations de solidarité membres l’URIOPSS et 37 dans les structures d’insertion par l’activité économique. Soit un total de près de 500 personnes.
Si les associations doivent « bricoler », c’est que tout se fait dans l’urgence. Karine Sarbacher déplore le flou et les délais très courts qui ont entouré la décision du gouvernement :
“Ce n’est pas correct, on n’a pas été informés. Fin juillet, Pôle Emploi nous dit que le nombre de contrats aidés est gelé, mais que les renouvellements seront assurés. Début août, on apprend que tout est bloqué. Sauf qu’à ce moment-là, les budgets sont déjà établis. Tous les deux jours, je suis au téléphone avec Pôle Emploi. On nous dit que certains renouvellements pourront être accordés, mais en durcissant les critères. Certaines choses seraient débloquées pour l’éducation, mais uniquement pour l’éducation nationale. Bref, c’est l’incertitude.”
À Strasbourg, qui va faire traverser les enfants ?
C’est aussi dans le domaine de l’éducation et de la petite enfance que les collectivités locales sont mises en difficulté par cette annonce. À la Ville de Strasbourg, qui accueillait 283 salariés en contrats aidés en 2016, la perspective est à la baisse, comme l’indique la direction des ressources humaines de la collectivité :
« La Ville a embauché 110 personnes en contrat unique d’insertion d’accompagnement à l’emploi (CUI-CAE), qui ne sont affectées qu’aux domaines de l’éducation et la petite enfance : agents de restauration et d’entretien, aides concierges, agents de surveillance notamment pour les sorties d’école… Fin juin, notre effectif était de 91. Cet effectif ne diminuera qu’assez peu pour la rentrée scolaire car les services avaient pu anticiper les fins de contrat du 3ème trimestre avec Pôle Emploi puis le Département, mais il chuterait à environ 70 postes en fin d’année dans la perspective actuelle. »
Pour certains postes, la Ville de Strasbourg a pu limiter les dégâts, mais l’incertitude demeure pour la suite :
« 70 personnes étaient embauchées dans le cadre des CUI-CAE modulables du Département (contrats à temps partiel de 6 à 12 mois renouvelables jusqu’à 24 mois pour les bénéficiaires du RSA). Une quarantaine de postes devant être renouvelés ou créés pour la rentrée ont pu l’être au dernier moment. Ce sont essentiellement des postes qui permettent d’accompagner les enfants durant le temps de restauration scolaire. Nous espérons que la deuxième vague de recrutements au cours du dernier trimestre sera également possible. »
« Une perte massive de compétences »
En Alsace, certains secteurs sont plus particulièrement concernés : à côté du périscolaire et de l’animation, le secteur médico-social va devoir encaisser le choc, comme l’explique Catherine Humbert, du réseau URIOPSS (Union Nationale Interfédérale des Oeuvres Privées Sanitaires et Sociales) :
« Il y a au moins une centaine de contrats aidés dans les établissements sociaux et médico-sociaux en Alsace. Dans notre réseau, certaines associations ont une quinzaine ou une cinquantaine de contrats aidés, et plein de structures fonctionnent sur le rythme scolaire. C’est une perte massive de compétences. On voit aussi l’impact concret sur celles qui allaient recruter, et qui ne vont simplement plus le faire. »
Pour elle, c’est un obstacle supplémentaire pour un secteur qui a déjà du mal à garder la tête hors de l’eau :
« Cette histoire soulève un problème de fond, c’est la triple peine pour ce secteur : les associations ont déjà peu de subventions, les budgets sont serrés et elle font déjà face à une ouverture croissante à la concurrence. »
Les structures inégales face aux nouvelles dépenses
Toutes les associations ne sont pas logées à la même enseigne, car les plus grandes structures dépendent moins des contrats aidés. Jean Caramazana est directeur général de l’Abrapa, une importante association d’aide et service à la personne. Il ne s’inquiète pas pour le fonctionnement de son association :
« Nous sommes des professionnels, nous ne vivons pas grâce aux contrats aidés. Sur 3 000 salariés, nous en avons 60. Or, certains abusent de ce système. Aujourd’hui, si j’avais une baguette magique, je garderai les 60 employés, qui travaillent quasiment tous en maisons de retraite médicalisées. Ils rendent un service certain, mais s’il le faut, je me débrouillerai. »
Si la majorité de l’activité de son association ne dépend pas de ce dispositif, il s’inquiéte plus pour les employés eux-mêmes :
« Cela pose toujours problème pour ceux qui ont un emploi. 15% de ces emplois chez nous sont en CDI, donc ce serait dommage pour ces gens, pour qui, on le voit bien, c’est un tremplin, et surtout, un outil d’utilité sociale. »
Des contrats pourtant efficaces pour l’emploi
Si le gouvernement avance que le dispositif est inefficace, les associations sur le terrain réfutent ces accusations, comme l’explique Catherine Humbert de l’URIOPSS :
« Dans notre secteur, un contrat aidé sur deux débouche sur un emploi plus durable ou sur une formation qualifiante. Nous ne sommes pas des profiteurs. Nous savons bien que ces emplois coûtent, mais ils rapportent aussi de l’argent au territoire. »
L’association ABCM justifie aussi l’utilité de ces emplois, qu’elle dit accompagner au mieux, comme l’avance Karine Sarbacher :
« Il y a des entreprises qui ne font pas d’efforts de formation, mais nous, on a toujours formé le personnel, que ce soit au niveau des cantines ou des animateurs, dont on finançait le BAFA (un dplôme d’animateur, ndlr). Ces contrats sont bénéfiques. Nous avions un agent d’entretien qui avait été quatre ans au chômage et qui a pu reprendre confiance en lui. Après nous avoir quitté, il nous a annoncé avoir trouvé un CDI. Nous avons aussi trois animatrices qui ont trouvé un CDI à la fin de l’année scolaire. »
Elle veut rappeler que ces mesures ont des conséquences directes sur la vie des personnes concernées :
« Baisser le nombre de ces contrats fera augmenter le chômage. Il y a des personnes derrière ces chiffres, des gens en détresse qui attendaient d’être renouvelées. Certaines ne comprennent pas et nous demandent si on ne “veut plus d’elles”. Elles n’ont même pas été informées par Pôle Emploi. »
« Un vide sans solution de rechange »
Selon elle, il ne faut pas non plus oublier le caractère spécifique de ces contrats qui s’adressaient en grande partie aux jeunes et aux seniors :
« Pour nous, c’était un moyen d’engager des personnes plus âgées, car elles seules parlaient allemand ou alsacien. Et pour les personnes elles-même c’est angoissant, elles viennent nous voir, et nous disent “Qu’est-ce que je vais faire ?”, car à plus de 50 ans, elles savent qu’elles retrouveront difficilement un emploi. »
En fait, pour Catherine Humbert de l’URIOPSS, c’est une réforme faite à la va-vite, qui crée un vide sans solution de rechange :
« S’il n’y a rien pour remplacer tout cela, comment insérer des gens sans diplôme, éloignés de l’emploi, etc ? Les associations dans notre secteur n’ont pas les moyens d’intégrer des gens en apprentissage. Si l’Etat veut changer quelque chose, il doit mettre des moyens supplémentaires. Il faudrait plus de passerelles entre associations et secteur privé pour garder les gens en situation d’emploi. »
Le gouvernement, lui, reste inflexible et renvoie la balle aux préfets pour gérer les situations les plus délicates, afin de « favoriser la continuité des actions engagées. »
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