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Algérienne et victime de violences conjugales, elle est mise à la rue avec ses deux enfants

Victime de violences conjugales, Sarah est accompagnée par l’association SOS Femmes solidarité depuis septembre 2020 à Strasbourg. Logée de chambre d’hôtel en appart-hôtel d’urgence, avec ses deux filles de 12 ans, la quadragénaire n’arrive pas à trouver de logement pérenne, faute de papiers en règle. SOS Femmes solidarité lui a signifié que son dernier hébergement temporaire prenait fin le 21 octobre, lui conseillant d’appeler le 115 pour trouver une solution. Suite à l’appel de Rue89 Strasbourg à l’association, cette dernière a finalement prolongé son contrat pour un mois supplémentaire.

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« Je suis tellement en colère, je ne pensais pas qu’on pouvait traiter les gens comme ça ». Sur son visage fermé, les larmes coulent parfois au cours de la discussion. « Mais j’ai trop pleuré, je ne veux plus pleurer », confie Sarah, 41 ans, dans son appart-hôtel Odalys du centre de Strasbourg. C’est dans ce petit deux pièces de 30 m² environ, que la jeune mère, cheveux courts et petites boucles d’oreilles dorées, et ses deux adolescentes de 12 ans – des jumelles – vivent depuis le mois de juin 2021.

La visite des lieux est plutôt express. La cuisine est dans un placard qui déborde d’assiettes, de Nutella et de pâtes. Dans l’unique chambre, les trois lits des filles et de leur mère ont été rapprochés. Il y a des tas de vêtements sur le canapé, des serviettes qui sèchent sur une porte, et quelques miettes du petit-déjeuner sur la table à manger. « Excusez moi, je n’ai pas vraiment eu le temps de ranger. Depuis deux jours, je ne dors plus, j’essaie juste de trouver une solution. »

Sarah est victime de violences conjugales de la part son ex-compagnon. Elle est logée dans un appart-hôtel, via l’association SOS Femmes Solidarité. Mais le contrat d’hébergement se termine le 21 octobre. Et aucune solution ne lui a été proposée. (Photo Maël Baudé / Rue89 Strasbourg).

Mise à l’abri par SOS Femmes Solidarité en septembre 2020

Algérienne, Sarah s’est mariée à Annaba en 2008 à un homme violent – le père de ses filles. Elle finit par divorcer en 2012, après avoir prouvé les violences conjugales à l’aide de certificats et de photos de son corps meurtri (documents que Rue89 Strasbourg a pu consulter). Encore aujourd’hui, ses bras portent les cicatrices de cette histoire douloureuse. « Mais en Algérie, les violences conjugales, tout le monde s’en fout. On est très mal vues, en tant que femmes divorcées, quand on parle de ça. » Son ex-conjoint continue de la harceler. Elle déménage plusieurs fois.

La jeune mère de deux petites filles âgées alors de 7 ans, décide finalement de fuir en France en 2012. Après s’être installée à Rouen, elle tente sa chance à Paris, et enfin à Saint-Louis en Alsace, où elle s’installe avec Omar (prénom modifié) en 2017. Algérien comme elle, il a la double nationalité algérienne et allemande, il travaille en Suisse.

« Il avait un bon travail, un appartement. Il me promettait de m’aider dans mes démarches, et dans ma vie avec mes filles. Je l’ai cru. »

Rapidement, Omar se révèle être à son tour un homme violent. « Il me frappait, m’insultait, me harcelait. Il m’a violée plusieurs fois. » Terrorisée, elle n’ose pas porter plainte. « Il me menaçait de mort, disait qu’il allait me dénoncer à la police et que j’allais devoir repartir en Algérie. » Finalement, Sarah va déposer deux mains courantes (que Rue89 Strasbourg a pu consulter) en mai 2019 et mars 2020 pour « coups et blessures » et « injures et menaces ».

Juste avant le confinement de mars 2020, elle réussit à s’enfuir du domicile conjugal mais elle n’a toujours pas de titre de séjour en France. Le Service d’urgence sociale de Mulhouse la prend en charge, d’abord dans un hôtel, puis dans une famille d’accueil pendant plusieurs mois. En septembre 2020, elle arrive à Strasbourg. « Quelqu’un m’avait parlé de SOS Femmes Solidarité, j’ai pensé qu’ils pouvaient m’aider. »

Trois lieux différents en un an, avec des conditions parfois difficiles

L’association trouve d’abord pour la jeune femme une chambre d’hôtel, près de la gare. Au bout d’un mois, Sarah et ses filles sont ensuite déplacées dans un autre hôtel près de l’Esplanade :

« On a été mises dans une toute petite chambre, sans cuisine, sans frigo, sans micro-ondes. On ne pouvait pas se faire à manger, c’était très compliqué pour mes filles. L’une de mes jumelles a commencé à ne pas aller bien, elle déprimait. On est restées sept mois là-bas, mais c’était dur. »

Sarah est hébergée avec ses deux filles dans un appart-hôtel Odalys depuis 4 mois, à Strasbourg. (Photo Maël Baudé / Rue89 Strasbourg).

En juin 2021, SOS Femmes Solidarité propose à Sarah un dispositif d’hébergement temporaire via une convention signée entre Odalys, un groupe d’appart’hôtels, et la Fédération nationale femmes solidarité. Odalys met ainsi à disposition de l’association, gracieusement, un deux-pièces. Mais l’association prévient : cet hébergement n’est prévu que pour trois mois, il doit prendre fin le 21 septembre.

Aucune solution trouvée par l’association

Ce dispositif d’accueil est exceptionnellement rallongé d’un mois, mais au 21 octobre 2021, Sarah doit quitter l’appart’hôtel. Sauf qu’elle n’a nulle part où aller. Selon elle, les travailleurs sociaux de SOS Femmes Solidarité lui ont répété qu’elle ne serait jamais à la rue : « Ils m’ont toujours dit, on trouvera une solution, on ne te laissera pas comme ça. »

Au début du mois d’octobre, la jeune femme commence à s’inquiéter. « Je les ai appelés, rappelés. Je leur disais, le 21, c’est bientôt, je n’ai rien trouvé pour me loger, pouvez-vous m’aider ? Mais non, rien. » Elle affirme chercher aussi un logement de son côté, via des dispositifs d’insertion, car sans titre de séjour, impossible de trouver un appartement, même du parc social :

« J’ai pourtant trouvé un travail à mi-temps, en CDI depuis le mois de novembre 2020, je suis auxiliaire de vie, je m’occupe des personnes âgées. Mes filles sont scolarisées, elles vont mieux, elles ont de bonnes notes. Je participe à la société française, je pourrais payer un petit loyer mais on refuse mon dossier parce que je ne suis pas française. »

Dans son petit deux-pièces, Sarah et ses deux filles de 12 ans vivent, hébergées à titre gracieux par le groupe Odalys qui a signé une convention avec la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF). (Photo Maël Baudé / Rue89 Strasbourg).

Même pour régulariser sa situation, Sarah a le sentiment d’être abandonnée par l’association. Alors la jeune femme se trouve une avocate, qu’elle paye à ses frais car l’aide juridictionnelle est réservée aux Français : « Je mets de côté tous les mois pour la payer. Il faut que cette procédure fonctionne, ça débloquerait tout. »

« Rassemble tes affaires, tu dois partir dans deux jours »

Mardi 19 octobre, Sarah raconte que la gouvernante de l’hôtel lui a demandé de faire ses sacs. « Elle m’a juste dit, Sarah, tu dois partir dans deux jours, prépare et rassemble toutes tes affaires. SOS Femmes ne peut pas poursuivre le contrat. » La jeune femme, la voix tremblante, s’interroge :

« Et alors je vais où ? Dans la rue ? Avec mes filles ? Je retourne voir mon ex ? C’est ça la solution ? Je comprends toutes ces femmes victimes de violences qui retournent auprès de leur mari, puisqu’à la fin, on nous laisse sans autre solution. »

Porte du petit deux-pièces dans lequel vit Sarah et ses deux filles, depuis le mois de juin 2021. Un hébergement temporaire, acté par une convention entre la chaîne Odalys et la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF). Photo : Maël Baudé / Rue89 Strasbourg

SOS Femmes Solidarité la renvoie vers le 115, qui n’a pas de place…

Sarah ne lâche pas son téléphone. Depuis deux jours, elle harcèle comme elle peut tous les services et les structures qu’elle connaît : « Le directeur de SOS Femmes Solidarité m’a dit d’arrêter de remuer ciel et terre, mais je n’ai pas honte de le faire, et je continuerai. Je ne me laisserai pas faire. » Pendant l’entretien avec Rue89 Strasbourg, au milieu d’une phrase, elle s’interrompt tout à coup pour appeler l’association. C’est l’heure où ils sont joignables. La conversation est sur haut-parleur :

« – Bonjour, c’est Sarah, je voulais savoir si vous aviez trouvé une solution pour moi, car ce soir je n’ai plus rien, je suis à la rue avec mes filles.
– (une femme de SOS Solidarité) Non, je suis désolée, comme nous vous l’avons déjà expliqué, votre dossier n’est plus chez nous. C’est désormais le 115 qui va s’occuper de vous. Ils vont vous rappeler. »

Trente minutes plus tard, le SIAO (Service intégré d’accueil et d’orientation – 115) appelle :

– « Malheureusement, nous ne pouvons poursuivre la prise en charge actuelle. Nous n’avons pas de place pour vous. Je suis vraiment désolée.
– Sarah : « Donc je dois aller dormir dehors avec mes filles ?
– Oui, malheureusement vous êtes à la rue. N’hésitez pas à rappeler le 115 régulièrement, et à vous rapprocher des maraudes. Au revoir madame. »

Pour la nuit du jeudi 21 octobre, Sarah a demandé de l’aide à des amis qui se sont cotisés pour lui payer une nuit supplémentaire dans la résidence appart’hôtel : 153 euros la nuit. « Ils m’ont chacun donné 50 euros, mais je ne pourrai pas faire ça longtemps », glisse la jeune femme d’un air las. « Et comment je vais faire avec tout ça ? » lance-t-elle en montrant du doigt le bureau de ses filles recouvert de livres et de cahiers, ses vêtements, sa cuisine, sa chambre…

« C’est très choquant pour une femme victime de violences »

Contactée, une salariée d’une association strasbourgeoise tournée vers les femmes et les victimes de violences est très choquée par l’histoire de Sarah :

« On ne fait jamais de sortie sèche pour des femmes, victimes de violences conjugales. Avec en plus des enfants mineurs ? Normalement, quand vous rentrez dans un circuit d’hébergement, il y a des travailleurs sociaux censés vous accompagner vers une domiciliation pérenne. On essaie aussi d’aider ces femmes à régulariser leur situation administrative. J’ai tendance à me dire que lorsque la situation d’une femme n’a pas bougé d’un iota en un an d’accompagnement, c’est que quelqu’un, quelque part, a mal fait son boulot. »

Sarah tente de trouver une solution pour ne pas dormir dans la rue dès ce soir, avec ses deux filles de 12 ans. Photo : Maël Baudé / Rue89 Strasbourg

« On a fait ce qu’il fallait »

Un avis tranché mais opposé à celui du directeur de SOS Femmes Solidarité. Contacté, Thomas Foehrlé – légèrement embarrassé – assure que l’association qu’il dirige a fait son possible. Expliquant tout d’abord que la jeune algérienne, n’étant pas française, ne peut pas bénéficier du droit à l’hébergement d’urgence via son association : « L’État nous oblige à avoir des personnes qui sont régularisées sur le territoire ».

Depuis septembre 2020 et la prise en charge de Sarah par SOS Femmes Solidarité, l’association a donc pu trouver des logements via d’autres dispositifs d’hébergement d’urgence, comme le 115. « Mais nous, directement, nous ne pouvons pas les héberger, elle et ses filles, dans notre réseau, » précise le directeur.

Quant aux démarches de régularisation administratives de Sarah, Thomas Foehrlé soupire :

« Nous avons deux travailleurs sociaux, pour 2 500 sollicitations par an. Croyez bien que nous faisons de notre mieux. Certes, c’est notre travail d’aider ces femmes mais là, cette dame s’est réveillée quand elle a vu que la date de fin d’hébergement approchait, c’est un peu tard. »

Interrogé sur la perspective que cette famille se retrouve à la rue dès le vendredi 22 octobre, le directeur répond :

« On a fait ce qu’il fallait. Cette dame savait que l’hébergement se terminait le 21 octobre. C’est maintenant le 115 qui va lui trouver une place. Malheureusement, elle n’est pas la seule dans cette situation.  »

Moins d’une heure après l’appel de Rue89 Strasbourg, Thomas Foehrlé a contacté Sarah pour lui dire que l’association avait pu prolonger le contrat avec Odalys pour un mois supplémentaire. Mais le 21 novembre, Sarah devra avoir obtenu un titre de séjour et accompli toutes les démarches pour trouver un logement…


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