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L’affaire Naomi révèle les failles de la régulation au Samu

L’annonce du décès de Naomi et la publication de l’enregistrement a évidemment été de toutes les conversations aux Hôpitaux de Strasbourg. Les collègues de l’opératrice du Samu ne s’expliquent pas le ton qu’elle a employé lors de l’appel du 29 décembre mais rappellent que le Samu reçoit de plus en plus d’appels, dont beaucoup sont fantaisistes. Un comité d’hygiène et de sécurité extraordinaire a été demandé par les syndicats.

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Le personnel des Hôpitaux universitaires de Strasbourg serre les dents. Médecins, ambulanciers, agents administratifs savent que le décès de Naomi, 22 ans, ignorée après avoir appelé le Samu au secours le 29 décembre 2017, aura de nombreux impacts négatifs sur leur quotidien. Déjà, des appels menaçants sont recensés et des mesures de protection ont été demandées. « À chaque fois c’est la même chose, indique l’un d’eux. Mais un drame, aussi inexcusable soit-il, n’est pas le reflet du quotidien. Tous les jours, nous faisons du mieux que nous pouvons. »

Mais c’est peut-être ça le problème justement. Que peut faire le Samu lorsqu’il reçoit un appel d’une personne qui se déclare mourante ? Pour Roland (prénom modifié), personnel affecté aux urgences des Hôpitaux de Strasbourg, les agents doivent sans arrêt prendre des décisions qu’ils ne devraient pas avoir à prendre :

« Il est clair que le comportement de ma collègue n’est pas excusable, mais il est explicable. Je me suis retrouvé souvent dans ce genre de situation : tu sais que tu as moins de moyens mobilisables (en juillet 2014, le Samu 67 a réduit ses équipes d’intervention, ndlr), donc tu vas avoir tendance à être plus restrictif dans tes choix, tu vas vouloir en garder en réserve. La collègue en question est assistante de régulation médicale (ARM), donc normalement, elle n’a pas à prendre de décision. Mais quand elle parle, elle sait que le médecin régulateur à sa gauche a 5-6 appels à traiter, et que le médecin-régulateur à sa droite en a tout autant. Donc elle ne leur demande pas leur avis à chaque fois, surtout si elle a le sentiment que l’appel est fantaisiste. »

« Beaucoup d’appels ne concernent pas le Samu »

Dans l’enregistrement que s’est procuré l’hebdomadaire Heb’Di, on entend la première opératrice, au standard des pompiers et qui a reçu elle-même l’appel de Naomi depuis le standard de la police, prévenir sa collègue du Samu par ses mots : « il faut lui conseiller un médecin parce que… elle va mourir, » avec un air entendu.

Roland reprend :

« Les enquêtes diront ce qu’il s’est passé. Mais un 29 décembre, tu peux avoir beaucoup d’appels de gens qui se sentent seules, qui sont déprimées et qui ont juste besoin qu’on s’occupe d’eux. Et ces appels arrivent au Samu… Sur 100 appels, tu en as parfois 90 qui n’ont rien à voir avec les urgences, ça peut aller de petits bobos à des grippes… Normalement, l’ARM doit déterminer si l’appel consiste en une urgence vitale et dans la négative, passer au médecin régulateur après avoir pris les renseignements utiles. Mais dans les faits, tu peux avoir des infirmiers ou des ARM qui prennent des décisions de régulation, comme dans cette affaire. »

Au Samu de Strasbourg, un infirmier urgentiste est prévu pour épauler les médecins régulateurs de 9h à 21h. Mais il n’est pas censé prendre de décisions, sauf que… comme l’explique Roland :

« Au téléphone, tu peux être en lien avec des ambulanciers privés qui demandent un renfort, des pompiers, des médecins, etc. Donc le cadre est déjà suffisamment bordé pour savoir si on peut envoyer une équipe ou non. Mais comme les moyens d’intervention sont limités, tu te retrouves à envoyer des moyens dont aurait pu avoir besoin un médecin régulateur… et c’est l’engueulade. Au final, il y a des médecins qui refusent la régulation parce qu’ils ne veulent plus avoir à assumer des choix qui sont liés à des contraintes économiques et pas à des impératifs de santé. »

Jean-Claude Matry, délégué syndical CFTC des HUS (doc remis)

Des alertes des syndicats

Cette affaire survient alors que les syndicats des Hôpitaux de Strasbourg ont régulièrement alerté leur direction sur la tension qui règne au Samu et aux urgences en général. Jean-Claude Matry, président du syndicat CFTC des HUS, a assisté l’ARM mise en cause pendant son entretien préalable à sa suspension :

« La collègue qui a reçu l’appel reconnaît s’être mal exprimée. Ce sera à l’enquête de déterminer ce qu’elle aurait dû faire mais on sait bien que les médecins régulateurs ne sont pas toujours disponibles. Les appels au Samu ont triplé, 3 000 par jour pour le Bas-Rhin, tandis que les effectifs sont restés constants. Alors évidemment, ça craque de partout, de nombreuses personnes tombent malades et c’est souvent cette collègue qui les remplace. C’est quelqu’un de très impliqué dans le dispositif des urgences. Et du coup, elle s’est retrouvée à travailler 3 jours sur 4… Forcément, ça pose des problèmes au bout d’un moment. »

La CFTC des Hôpitaux universitaires a demandé la convocation d’un Comité d’hygiène et de sécurité (CHST) extraordinaire, afin que soient rappelés les failles qui existent aux urgences et au Samu en particulier. Martin Kieffer, délégué syndical de la CFDT, confirme :

« On constate qu’il y a de plus en plus d’appels au centre 15, dont beaucoup d’appels malveillants. Il devient de plus en plus difficile de faire le tri et ce, alors que les temps des médecins est de plus en plus réduit. Ce qu’il s’est passé n’est pas forcément révélateur d’un quotidien, mais c’est la conséquence d’une pression toujours accrue sur les épaules du personnel urgentiste. »

Devant l’ampleur de l’indignation, la communication des Hôpitaux de Strasbourg, qui pensait en rester à un simple communiqué, a finalement opté la montée de son directeur général en première ligne. Lors de multiples interviews, Christophe Gautier a indiqué que l’opératrice du Samu avait été suspendue « à titre conservatoire. » Mais du côté de la famille Musenga, on entend bien « remonter toute la chaîne des responsabilités. »


#Hôpitaux universitaires de Strasbourg

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