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Affaire Lilian : « Deux ans plus tard, retour à la case départ »

Près de deux ans après la blessure de Lilian par un tir de LBD, sa mère Flaure Diéssé apprend avec vivre avec la douleur de l’injustice. Sa plainte a été classée sans suite, l’auto-saisie du Défenseur des Droits n’avance pas, de même que la procédure d’indemnisation initiée devant le tribunal administratif.

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Flaure Diéssé n’attend plus rien de la justice, ni de la police française. Son fils, Lilian, avait 16 ans lorsqu’il a été touché par un tir de LBD en pleine mâchoire. Le 12 janvier 2019, il sortait d’un magasin de sport, une nouvelle veste à la main. Ce jour-là, les forces de l’ordre ont volé l’insouciance de l’ado. Après six heures au bloc et une opération en urgence, Lilian s’en sort avec une mâchoire fracassée, une sensibilité perdue au niveau des lèvres, et une immense cicatrice sur la joue droite : les stigmates de cette journée de janvier sont impossibles à oublier.

Flaure Diéssé n’attend plus rien de la justice, ni de la police française. (Document remis)

Deux ans plus tard, sa mère observe encore les conséquences de cette bavure : manque de confiance en lui, tendance à s’isoler… Pour Rue89 Strasbourg, Flaure Diéssé raconte son nouveau combat, loin des responsables politiques qui ont ignoré sa demande, pourtant simple : que justice soit faite. « Aujourd’hui, je me bats pour qu’il puisse vivre son adolescence », explique-t-elle.

Un combat qui résonne avec « La puissance des mères »

Le combat de Flaure Diéssé résonne avec l’ouvrage de Fatima Ouassak, « La puissance des mères, Pour un nouveau sujet révolutionnaire. » La politologue sera présente à la librairie Kléber mercredi 14 octobre à 13H30, pour une conférence organisée dans le cadre du festival féministe Femfest, en partenariat avec Rue89 Strasbourg.

Dans son essai, l’habitante de Seine-Saint-Denis décrit le processus de « désenfantisation » subi par les jeunes d’origine immigrée, à travers les inégalités et les violences institutionnelles liées à la classe sociale, à la couleur de peau ou au sexe. Ainsi, les mères se retrouvent à « faire tampons entre le système social et l’enfant. »

« C’est ce qui est attendu des mères. Tempérer la réaction de l’enfant face à l’injustice, tempérer sa colère. Calmer le jeu. Ne jamais reconnaître auprès de l’enfant les humiliations et les discriminations qu’il subit, au prétexte qu’il pourrait baisser les bras et perdre ses maigres chances de s’en sortir. »

Extrait du livre de Fatima Ouassak

Rue89 Strasbourg : Près de deux ans après la blessure de Lilian, où en êtes-vous ?

Flaure Diéssé : À la case départ. Suite au classement sans suite de ma plainte contre X pour le tir de LBD qui a touché mon fils, le Défenseur des Droits s’est auto-saisi. Je l’ai contacté après le confinement, mais on m’a répondu que le dossier avait pris du retard. Il reviendra vers moi dès qu’il aura des éléments…

J’ai aussi essayé de saisir le tribunal administratif. Mais j’ai l’impression que ça n’avance pas non plus à ce niveau-là. Mon avocat avait écrit en septembre au ministère de l’Intérieur pour obtenir une indemnisation mais on n’a pas de réponse.

Est-ce que Lilian et vous avez pu reprendre une vie normale ? 

On ne retrouve pas une vie normale, on apprend à vivre avec cette douleur. Dans certains moments, je vois mon fils se plaindre de sa cicatrice. Il n’attend que ses 18 ans pour faire une opération de chirurgie esthétique qui lui permettra de l’enlever. En attendant, sur son visage, il y a toujours la marque visible de ce qui s’est passé. Il est jeune, il essaye de plaire, donc forcément ça le complexe beaucoup. Il me dit souvent : « Maman, j’en ai marre de cette cicatrice. »  

Est-ce que vous parlez de cette violence policière avec lui ? Si oui, comment ?

Non, je préfère le laisser tranquille. Je me dis toujours qu’il essaye peut-être d’oublier. Je ne sais pas ce qui se passe dans sa tête. Je voulais qu’il voit un psychologue, mais il n’a jamais voulu. Depuis qu’il a pris ce tir de LBD, il a toujours les volets baissés et la lumière allumée quand il est dans sa chambre, même le jour. Je pense que le fait d’avoir été médiatisé comme ça, d’avoir été désigné comme un casseur au début, ça l’a traumatisé. Je pense qu’il a encore ça dans la tête, cette peur d’être observé.

Je suis tellement en colère. Parce que je connais cet enfant. C’est un enfant adorable. Il a ce côté ado tête en l’air, rien de méchant. Il n’a rien fait et on lui tire dessus. Il se sent presque responsable de cette bavure policière puisque personne n’est désigné coupable. Il doit vivre avec ça. C’est pour ça qu’il a perdu confiance en lui : il a l’impression qu’il est coupable de ce qui lui est arrivé.

Comment avez-vous vécu ces fausses accusations à l’égard de Lilian, juste après la manifestation du 12 janvier 2018 ?

Je m’en fous de ce que les gens pensent. Je sais comment j’éduque mes enfants et je sais que je n’ai pas de reproche à me faire. Les gens ont pu pointer du doigt un soi-disant manque d’éducation. Je voyais bien que sur les réseaux sociaux, les gens parlaient de la mère qui laisse son fils traîner dans une manifestation. Mais ils ne savent pas du tout ce qu’il s’est passé. Ceux qui doivent culpabiliser, c’est ceux qui ont tiré sur mon fils. 

Est-ce que la blessure de votre fils a occasionné des dépenses importantes pour vous ? Avez-vous obtenu un dédommagement ? 

Les frais de soin, les frais d’avocat… J’ai dû tout payer, aussi parce que je n’avais pas de mutuelle à ce moment-là. Je n’ai eu vraiment aucune aide, ne serait-ce que morale. Je n’ai même pas eu d’excuse. Le ministre de l’Intérieur ne s’est jamais excusé, c’est ça qui fait le plus mal… Un minimum ce serait de dire « désolé madame, ce n’était pas volontaire ». Mais Christophe Castaner m’a juste dit d’aller voir le préfet.

Le comble de tout, c’était le classement sans suite de ma plainte. À l’heure actuelle, personne n’est responsable de ce qui est arrivé à mon fils. Il y a soi-disant une justice en France, mais en réalité, personne ne m’a écoutée. Alors je ressens cette douleur qui bout en moi. Chaque jour, je ressens du dégoût en voyant les membres du gouvernement à la télé. Ce sont des pères de famille, comment ils pensent qu’une mère vit ça ? On finit par apprendre à vivre avec la douleur, sinon on ne vit plus… On a pas le choix.

Est-ce que vous continuez à vous battre pour que justice soit faite, ou avez-vous perdu espoir ?  

J’essaye de moins m’impliquer. Les gens contre qui je me bats n’ont pas de conscience, ni d’état d’âme. Je peux me battre avec des gens censés, mais là je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas.

Je garde toutes mes forces et toute mon énergie pour protéger mon fils. Je n’ai pas le choix, je ne vais pas gâcher ma vie, ni la sienne. Un parent est censé protéger son enfant. Je pensais seulement devoir protéger mon enfant des délinquants et de la violence. Mais finalement c’est la police qui lui a fait du mal. Maintenant je me demande : est-ce que je vais pouvoir compter sur la police pour protéger mon enfant ? Quand je vois la police dans la rue, je ne me sens plus en sécurité. Je ne dis pas que tous les policiers sont comme ça. Mais j’aimerais qu’un jour le ministre de l’Intérieur reconnaisse qu’il y a des gens, dans la police, qui ne font pas bien leur travail. Certains le font bien, mais d’autres sont irrespectueux, violents et racistes.

Je veux bien admettre l’erreur de tir, mais quand vous faites l’erreur vous faites quoi après ? Vous vous excusez. Sauf si vous êtes au-dessus des lois.  

Quel est votre souhait le plus cher pour Lilian ?  

J’aimerais que Lilian vive comme avant, qu’il retrouve son adolescence. Je veux qu’il sorte, qu’il aille voir des copains, qu’il joue à la console… C’est comme ça que je l’aide. Je serai là s’il veut en parler, et à 18 ans, je serai là pour la chirurgie. Pour moi, l’aider, ce n’est pas le monter contre la police. Ça, c’est ma douleur. Je cherche à ne transmettre que du bien à mon fils, c’est comme ça que je le protège.  


#Gilets jaunes

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