Le projet de rénovation des Bains municipaux version 2015 fait émerger aujourd’hui les zones d’ombre d’hier. Récemment, la municipalité a enfin envoyé à ceux qui le réclamaient certains documents « historiques » jamais publiés auparavant. Pour ne pas prêter le flanc à la critique sur de nouvelles dépenses en études, l’adjoint au maire en charge du dossier depuis mai, Olivier Bitz (PS), a d’ailleurs affirmé que les nouvelles études devraient « s’inspirer » de celles déjà réalisées.
La municipalité n’a cependant pas joué la transparence jusqu’au bout. On découvre, en remettant les éléments bout-à-bout, une étude à 25 000 euros qui semble avoir singulièrement influencé le cours des débats. Commandée à un collaborateur du cabinet Stratégie et Gestion publiques, cette étude mouille deux élus proches du dossier, Robert Herrmann (PS) et Alain Jund (EELV).
Une première étude très attrayante, mais non validée
En 2008, le PS revient au pouvoir à Strasbourg. La municipalité précédente n’a pas engagé de travaux et l’établissement historique des Bains municipaux, avenue de la Victoire, se délabre. Le premier adjoint d’alors, Robert Herrmann (PS), commande très vite une étude au cabinet parisien Ingenierie Sportive et Culturelle (ISC). Ces travaux sont livrés en deux parties : 181 pages en octobre 2008 sur l’état des lieux, puis 85 pages en juin 2009 sur des « scénarios d’intervention »(voir l’étude complète). Ces deux documents sont très précis, complets et documentés, plans à l’appui. La deuxième partie propose une piscine extérieure (de natation, à vagues ou écologique), gérée par la collectivité et à bas prix.
Seuls deux bâtiments secondaires sont vendus au secteur privé : l’actuelle chaufferie et les douves. Pour chaque bâtiment ou aménagement, il existe trois variantes (brasserie, salle de sport, salle d’exposition, massages, bains médicaux…). Le coût de la rénovation est estimé entre 18 et 22 millions d’euros selon l’option choisie, « comme dans tous les bains qui ont été rénovés en Europe », commente Liane Zoppas, architecte membre du collectif citoyen la Victoire pour tous, qui suit de très près la rénovation et est en grande partie opposé à confier la gestion à des opérateurs privés.
Quant au coût de fonctionnement futur, il est évalué entre 1,5 et 1,8 million d’euros selon l’option et la fourchette choisie, et pour plus de prestations, avec des recettes comprises entre 1,046 à 1,256 millions d’euros (61% de taux de couverture). Pour l’année 2014, le coût actuellement annoncé est de 2,9 millions d’euros, pour seulement 405 000 euros de recettes (14% de taux de couverture).
Aussi attrayante soit-elle, cette deuxième partie n’est pas « validée » et ses conclusions ne sont jamais reprises dans le débat public. Et apparemment, il n’est pas question de « s’inspirer » de l’idée d’une piscine extérieure dans la consultation actuellement en cours. Le coût total de cette étude en deux volets n’apparaît dans le fichier en ligne des marchés publics de la Ville et de l’Eurométropole (ex-CUS). Les services nous ont répondu après vérification que la première partie à coûté 44 527 euros. Cette absence du site de la municipalité s’explique par un montant qui n’était pas arrêté lors de la commande et que ce type de fichiers ne sont pas encore extraits du logiciel comptable.
Les deux propositions d’aménagements par ISC en 2009
En 2010, 25 000 euros pour 13 pages et un changement de cap
Quelques mois plus tard, Robert Herrmann commande une nouvelle étude, qui sera rendue le 28 juin 2010. Facturée 25 000 euros, elle ne comporte que 13 pages. Ce document est réalisé par 13 Avril Conseil. Il s’agit de la société unipersonnelle de Robert Adjej, ancien directeur de la SERS (la société d’aménagement et d’équipement de la région de Strasbourg) entre 1984 et 2002. Également proche du maire Roland Ries, il travaille depuis cette date en tant que directeur d’études partenaires pour la société Stratégie et Gestion publiques, la société qu’a fondée Robert Herrmann en 2001, lorsque la gauche a été battue.
L’actuel président de l’Eurométropole a revendu ses parts en 2008. Mais l’adjoint au maire Alain Jund (EELV) apparaît toujours dans l’organigramme en tant que directeur d’études associé. Alain Jund nous a répondu avoir démissionné en 2008 une fois élu adjoint. Sept ans, donc, pour mettre à jour l’organigramme de l’entreprise sur son site internet, sur lequel, en revanche, Robert Herrmann ne figure plus. (NDLR Le nom d’Alain Jund a disparu depuis la parution de notre article. À noter que sa déclaration d’intérêts indique une suspension de contrat, ce qui est différent d’une démission.)
Dans cette nouvelle étude, les conclusions sont plus politiques qu’architecturales et visent à décrédibiliser les opposants, comme dans ce passage :
« La démarche exploratoire fut par ailleurs sensiblement contrariée par la campagne de presse locale qui a réservé au sujet une importance disproportionnée à la restitution d’inquiétudes prématurées voire injustifiées, d’une frange de la population relativement réduite, qui souhaite avant tout maintenir à son profit l’usage des lieux aux meilleures conditions actuelles. »
Néanmoins, cette étude nomme des opérateurs potentiels, qui ont été masqués dans la version envoyée à l’opposition municipale et au collectif la Victoire pour tous. On y apprend tout de même qu’il s’agit d’un groupe international du BTP et d’un concepteur-exploitant qui « maîtrise les choix stratégiques d’équipement ».
L’estimation du coût de la rénovation a été censurée, mais on devine que ce coût passe de 20 à 30 millions d’euros puisque c’est le chiffre avancé pour la rénovation à partir de 2011. Cette fois-ci, les conclusions plaisent à Robert Herrmann qui passe à la suite.
Contacté pour expliquer ce choix d’il y a 6 ans et cette proximité, Robert Herrmann a préféré abréger la discussion :
« C’est le maire qui validait ou non chaque étude. Il faut lui demander. Je ne souhaite plus m’exprimer sur ce dossier que je ne gère plus. »
Olivier Bitz se dit étonné par cette situation et affirme que tous les documents comptent aujourd’hui :
« Nous avons fait le choix de la transparence et de publier les documents qui avaient une utilité, même si nous n’en étions pas obligé. Les propositions de toutes les études réalisées sont étudiées dans la rénovation en cours, à laquelle nous ajoutons de nouvelles idées, comme le Sport sur ordonnance, qui n’était pas dans les discussions de 2011. »
Au sein même de la majorité, on ignore cette double commande. Paul Meyer, alors conseiller municipal PS et président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) du Bas-Rhin était partie prenante de la mobilisation contre le PPP et avait réclamé des documents :
« J’apprends l’existence de ces deux études contradictoires aujourd’hui. Ce n’était pas faute d’avoir demandé de la transparence lors des débats en 2011. »
101 892 euros toujours dans le flou
Toujours en 2010, une troisième étude est commandée pour une « assistance juridique, financière et fiscale pour la rénovation des Bains » à trois sociétés : Finance Consult, Sartoro et Algoe. Une délibération à la CUS fixe le montant maximum à 265 000€ hors taxes, l’avis d’attribution à 348 400 euros mais le total est finalement de 101 892 euros selon l’administration. Comme pour les études d’ISC en 2008 et 2009, ce montant variable explique pour des raisons informatiques que la commande ne figure pas non plus dans le fichier des marchés publics. Le contenu n’a jamais été publié. Olivier Bitz explique que les lois ont changé et que publier ce contenu fausserait plutôt qu’enrichirait le débat.
Au collectif la Victoire pour tous, Olivier Bitz a promis par courrier qu’une synthèse actualisée sera présentée lors du débat public. Cela n’a pas été le cas lors des deux premières réunions. Quand bien même un document serait distribué vendredi 30 octobre, quel que soit le contenu de cette synthèse, personne ne pourra attester qu’il correspond à ce qui a été écrit à l’époque.
L’Ahbak entre en jeu pour favoriser une SPL
En 2011, le projet de rénovation est prêt. Il est présenté aux Strasbourgeois avec un partenariat public-privé (PPP), comme le propose l’étude de 13 Avril Conseil en 2010. Le coût avancé n’est plus d’environ 20 millions d’euros, mais de 30 millions d’euros. Un montant associé dans la communication de la municipalité à « 5 points supplémentaires d’impôts locaux », un parallèle qui n’a pas été fait pour d’autres travaux comme le Palais de la Musique et des Congrès (80 millions d’euros), l’École européenne (39 millions d’euros) ou le Palais des Fêtes (12 millions pour la première phase et 18 pour la suivante à venir).
L’association des résidents de la Krutenau, l’Ahbak, est à l’avant-garde de l’opposition à ce projet. Elle est suivie par l’opposition de droite mais aussi par les écologistes, le MJS et même une partie du PS. L’Ahbak réunit plus de 3 500 signataires dans une pétition. Face à la mobilisation, Robert Herrmann recule fin 2011. En 2012, l’idée d’une société publique locale (SPL) qui appartient à la collectivité pour gérer le lieux émerge.
En octobre 2013, l’Abakh organise un stammtisch sur l’avenir des Bains. La directrice de Stratégie et Gestion, la société où travaille Robert Adjej, auteur de la contre-étude de 2010, Danièle Ehrmann, est invitée et propose de créer une SPL. Une idée que soutient l’adjoint écologiste Alain Jund, après que les écologistes eurent combattu le PPP. La maîtrise du dossier par l’intervenante, dans le cadre d’un simple débat citoyen a surpris, tout comme ses liens professionnels avec l’ancien vice-président de l’Ahbak, Alain Jund lui-même, qui n’ont pas été évoqués. Le but de la réunion est de convertir les réfractaires du PPP de l’Ahbak à l’idée d’une SPL pour rénover et gérer les Bains.
En 2015, le clan Ries remet la main sur l’établissement
En 2015, les élections municipales sont passées par là. Pour les proches du maire Roland Ries, les liens avec Robert Herrmann, qui a menacé de se présenter aux élections en 2014, se sont tendus. Le clan Ries reprend la main sur le dossier des Bains, confié à son ancien attaché parlementaire Olivier Bitz. Il n’est plus question d’une SPL pour diriger l’établissement. Le PPP raviverait les mauvais souvenirs de 2011 et de manière générale, les collectivités se sont rendues compte qu’elles payaient souvent plus que prévu dans ces arrangements.
La solution choisie est, comme pour l’Aubette au temps de Fabienne Keller, de laisser la gestion de l’ensemble des équipements actuels, comme des nouveaux espaces, à un organisme privé, qui prendra en charge les travaux de rénovation. Les murs restent à la Ville de Strasbourg via un bail emphytéotique, c’est-à-dire de très longue durée avec un loyer modeste. Cette fois-ci, l’Ahbak est très discrète sur le sujet, bien que des similitudes avec le projet de 2011 existent.
C’est pour cette raison que le collectif « La Victoire pour tous » est fondé en février 2015. Il réunit plus de 6 000 signatures manuscrites et électroniques dans une pétition, mais manque de relais politiques auprès de la municipalité. Les opposants historiques devenus adjoints, comme Paul Meyer ou Syamak Agha-Babaei, sont aussi plus silencieux. Réussir, là où Robert Herrmann a échoué, le défi ne fait que commencer pour le clan Ries. Alain Jund, adjoint à l’urbanisme et Krutenauvien de toujours, semble quant à lui écarté.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : lire le droit de réponse de la Ville et de l’Eurométropole à cet article
Sur Rue89 Strasbourg : ce qu’il faut savoir avant la dernière réunion sur les Bains
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