Le festival des Actuelles existe à Strasbourg depuis 2005 et continue de promouvoir des auteurs francophones d’aujourd’hui. Il propose cinq soirées uniques, en y conviant les Strasbourgeois.
Son objectif est de ne pas se raccrocher compulsivement aux auteurs classiques, gage de succès (mais aussi de sclérose) dans le théâtre contemporain. Les auteurs et autrices sont tombés leur piédestal avec l’émergence de la mise en scène moderne. Les metteurs en scène s’emparent du texte, le remanient, le transfigurent et finalement s’en passent volontiers. Dans ce « nouveau » paradigme, qui a tout de même plus d’un siècle, l’auteur des pièces jouées est souvent un auteur mort. Ainsi le texte devient un matériau malléable et docile, qu’il est davantage tolérable d’exploiter.
La complexe élaboration d’un festival engagé
Le festival, qui se déroule cette année du 5 au 9 mars, met en lumière une sélection de textes et de cinq jeunes auteurs et autrices. L’engagement social et politique des textes est une constante des éditions. Programmé le jeudi 7 mars, Pig Boy 1986-2358 de Gwendoline Soublin évoque la trans-humanité, tandis que Gens du pays de Marc-Antoine Cyr prévu le vendredi 8 mars pose la question de l’identité et du vivre ensemble à travers les yeux d’un adolescent.
Les années passées, la normalisation de la société et la transidentité (La loi de la gravité d’Olivier Sylvestre en 2018,) les enfants-soldats (À la guerre comme à la Gameboy d’Édouard Elvis Bvouma en 2017) ou encore la déshumanisation du système financier (Krach de Philippe Malone en 2016) avaient été abordées.
Pour l’artiste associé du TAPS Yann Siptrott, qui co-dirige le festival, cet engagement est logique :
« Ces thématiques posent la question de ce qu’est devenu le théâtre aujourd’hui, si c’est devenu une tribune. Moi j’aime penser que monter sur une scène de théâtre c’est déjà un acte d’engagement. Les jeunes auteurs sont le vivier de demain, et je trouve cela dommage qu’ils soient si peu mis en avant. Je pense que tous les auteurs qui viennent aux Actuelles sont reconnaissants de la petite fenêtre qu’on leur donne. »
Le festival des Actuelles a été initié par Olivier Chapelet en 2005. Cette année-là, cet ancien artiste associé du lieu a pris la direction du Théâtre Actuel et Public de Strasbourg (TAPS). La mission des deux salles du TAPS (celle de Laiterie où se déroule le festival Actuelles et celle du Scala à Neudorf) est depuis son origine une salle qui permet à de jeunes compagnies de trouver des moyens et un public, un tremplin parfois déterminant. Dans la même optique, les Actuelles offrent une opportunité rare aux auteurs et autrices. L’écrasante majorité des textes lus n’ont pas encore été publiés. La primeur est réservée au public strasbourgeois, qui se fait cobaye de ces jeunes écritures.
Pour parvenir au quintet retenu, un long processus s’est activé pendant plus d’un an. Un « comité de lecture » dirigé par les deux artistes associés du TAPS (actuellement Pascale Jaeggy et Yann Siptrott) est chargé de lire plus d’une centaine de pièces afin de sélectionner, à force de débats, de consensus et de négociations, les textes présentés. L’événement a su acquérir une solide réputation dans le milieu du théâtre francophone, et les propositions affluent.
Yann Siptrott rend compte de l’ampleur de ce travail :
« Nous lisons 80 textes par an en moyenne. Là, nous attaquons les textes reçus en janvier et février 2018. Nous en recevons de manière assez régulière. Le réservoir est d’environ 100-150 textes. Mais nous lisons aussi plus qu’avant, 20 textes par mois. »
Initialement les Actuelles n’étaient censées se composer que d’une lecture au pupitre, sans mise en scène ni apparat. Mais les éditions successives ont su enrichir la formule. À présent, les soirées proposent des lectures théâtralisées, avec des metteurs et metteuses en scènes sélectionnant une équipe de comédiens. Une scénographie propre à chaque texte est longuement élaborée, à l’aide de maquettes et de réunions de mi-projet.
Construire collectivement, l’essence même du théâtre
L’année 2019 marque la XXIe édition du festival, mais celui-ci est loin d’avoir 21 ans. Aux débuts, le festival était bi-annuel, avant de changer de formule en 2012 pour se resserrer autour de cinq soirs. L’organisation est confiée aux deux artistes associés du théâtre. Leurs mandats durent trois ans et sont décalés afin qu’il y ait toujours un « ancien » pour former un « nouveau ». À deux, ils pilotent le festival.
C’est sur conseil de l’un d’eux que le TAPS a entamé une collaboration avec la section scénographie de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR, les ex-Arts déco) en novembre 2011, pour la XIIIe édition, par l’intermédiaire de l’enseignant François Duconseille. Depuis, chaque lecture se déroule dans un espace conçu par les élèves scénographes de la HEAR. Les élèves sont accompagnés et conseillés par le responsable technique du TAPS Laiterie, Denis Rondel. La lecture théâtralisée est une forme de spectacle qui permet de s’essayer à différentes dispositions.
Depuis avril 2015 (XVIIe édition), un partenariat s’est noué avec la faculté des arts de l’Université de Strasbourg (Unistra) sous l’impulsion de Sylvain Diaz, maître de conférences en études théâtrales. Les élèves de première année du Master Recherche étudient les cinq textes des Actuelles à venir et conçoivent les livrets qui seront distribuées aux spectateurs. Plus que de simples programmes, il s’agit du fruit de leurs réflexions sur les textes du festival, avec des suggestions de références pour prolonger les propos des spectacles. Les Actuelles s’efforcent ainsi à mettre en avant le côté collectif, parfois en coulisses, des arts de la scène.
Ce qui est élément indispensable aux yeux de Yann Siptrott :
« L’intérêt des Actuelles c’est de faire se rencontrer un metteur en scène, un musicien et des comédiens sur un texte qu’ils ne connaissent pas et qu’ils n’ont pas choisi. L’idée c’est de générer des rencontres qui pourront peut-être se poursuivre. »
Chaque soirée se divise en deux temps : d’abord la lecture puis un moment d’échange. La discussion s’amorce, hors du cadre formel habituellement posé dans ce genre de rencontres entre artistes et public. Les élèves de la HEAR, de l’Unistra, l’auteur ou l’autrice et les spectateurs sont amenés à discuter et débattre, sous la supervision du journaliste Thomas Flagel.
Un cuisinier inspiré par les pièces
La dernière touche atypique du festival est la présence d’un cuisinier, Olivier Meyer (connu pour ses expériences culinaires avec Kuirado) qui prépare à l’intention de chaque soirée des dégustations que lui a inspiré la pièce. Certes, pour Faire des enfants du Québécois Éric Noël en 2017, la nature profondément violente et gore du texte l’avait conduit à imaginer un petit pâté de légumes secs censé évoquer un étron, accompagné de betteraves sanglantes.
Mais les créations du cuistot sont toujours goûteuses, et son inspiration permet de se saisir du spectacle par une autre approche. Pour Rona Ackfield, un texte à quatre mains (écrit par Élise Boch, Noémie Fargier, Lara Khattabi et Lucie Pannetrat) et où l’identité de Rona se divise en quatre versions d’elle-même, Olivier Meyer a conçu un ensemble de quatre vérines, proposant une saveur distincte pour chacune des femmes. Il est rare de pouvoir prétendre « manger du théâtre », au sens propre. Cette présence d’un artisan culinaire est d’ailleurs fortement liée au festival puisqu’elle date de la troisième édition, en novembre 2006.
Quelques places de dernière minute
À l’heure actuelle, les soirées de jeudi et de samedi sont complètes et il reste quelques places pour le vendredi. Cependant, le jeu des réservations et ses impondérables permettent d’envisager d’obtenir une place sur la liste d’attente, ouverte trois quart d’heure avant de début du spectacle à la billetterie du TAPS Gare.
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