Du bruit, du monde et de la buée sur les vitres. Dans une salle du restaurant Au Bercail à Strasbourg, environ 80 personnes occupent mardi soir le moindre espace disponible pour écouter Me Christophe Leguevaques. Le Toulousain est venu à Strasbourg pour présenter l’action collective qu’il a lancée contre le laboratoire Merck, devant le tribunal d’instance de Lyon où le groupe pharmaceutique allemand a son siège en France. L’audience est prévue pour le 1er octobre 2018.
Dans le restaurant, l’auditoire est attentif, presque tendu : la plupart des personnes présentes se disent victimes des effets secondaires du Levothyrox. Ce soir, elles aimeraient avoir enfin des réponses.
Vertiges, fatigue, perte de mémoire…
Une nouvelle formule de ce médicament contre l’hypothyroïdie a été commercialisée à partir de mars 2017. Suite au changement de formule, Ghislaine Muller, retraité de 61 ans, se sent de moins en moins bien :
« J’ai commencé à avoir des vertiges. Puis j’ai eu de plus en plus de mal à me concentrer, j’étais épuisée. Je faisais n’importe quoi : j’oubliais mes sacs de course dans le garage, je me trompais dans les dépôts à la banque… J’ai aussi souffert de crampes… Heureusement, ma médecin m’a prescrit un autre médicament que je cherche en Allemagne. Depuis, je n’ai plus les effet secondaires. »
Autour d’une table, quatre femmes attendent impatiemment le début de la présentation. Maïté Collet décrit un quotidien rendu plus difficile par le changement de formule de son médicament :
« J’étais très fatiguée et je mangeais beaucoup moins. Donc je sortais moins et j’étais souvent de mauvaise humeur. Ça, mes collègues l’ont subi… Je manquais d’énergie au travail. Je suis chimiste d’exploitation sur une plateforme de déchets, je porte régulièrement des charges lourdes. J’étais donc beaucoup moins performante. Et puis il y a eu les pertes de mémoire. C’était handicapant au niveau professionnel et au niveau personnel. »
L’objectif de la procédure collective : 10 000 euros par plaignant
Vers 20h15, la présentation commence. Nicolas Clausmann, avocat strasbourgeois, détaille la procédure judiciaire en cours et son objectif :
« L’action collective a pour but de faire reconnaître un défaut d’information et un préjudice d’angoisse dont le laboratoire Merck est coupable. Notre objectif est d’obtenir une indemnisation de 10 000 euros pour chaque plaignant. »
Puis Me Christophe Leguevaques prend le relais, pendant près d’une heure. Il présente les autres procédures en cours mais donne aussi quelques informations qui choquent l’auditoire :
« Je pense que le laboratoire Merck a changé la formule pour pouvoir lancer son médicament sur le marché chinois. L’excipient mannitol a remplacé le lactose parce que 45% de la population chinoise est intolérante au lactose. »
L’avocat s’est aussi renseigné sur le brevet déposé par le laboratoire Merck sur le Levothyrox. Il détaille une découverte qu’il trouve dérangeante :
« La nouvelle formule comprend aussi du BHT (hydroxytoluène butylé ou E321), qui est un perturbateur endocrinien de la thyroïde du rat. Le BHT a déjà fait l’objet d’une alerte de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). »
Michèle Rivasi, députée EELV au Parlement européen, fait son entrée dans la salle vers 21 heures. La biologiste de formation suit de près le dossier Levothyrox. Elle intervient pour critiquer les tests réalisés avant la mise sur le marché du médicament :
« Les essais de bioéquivalence, qui doivent prouver que l’ancienne et la nouvelle formule n’ont pas des effets différents sur les patients, ne sont pas concluants. Ils ont été réalisés sur des hommes sains, alors que 80% des victimes des effets secondaires du Levothyrox sont des femmes atteintes d’hypothyroïdie! »
Un public conquis
La réunion se termine par de nombreux témoignages suivis de questions pleines d’inquiétudes. L’avocat tente d’y répondre en rassurant le public :
« Ces histoires vécues dont vous êtes les victimes, il faut me les transmettre et rejoindre l’action collective. Tous ensemble, nous serons plus forts contre le laboratoire Merck. »
À 22 heures passées, de nombreuses femmes se pressent auprès de Me Leguevaques pour le remercier. Elles se renseignent aussi sur la procédure à suivre pour rejoindre l’action collective. Ghislaine Muller projette déjà d’appeler son médecin pour réunir les documents nécessaires au dépôt de la plainte. Contactée par téléphone au lendemain de la réunion, Maïté Collet explique comment l’avocat l’a convaincue :
« C’était ma première réunion sur le sujet. Je ne partais pas au front, je voulais juste des explications. Au début j’avais même un peu peur de l’avocat en me disant qu’il cherchait sûrement à se faire de l’argent avec nos plaintes. Mais en fait non, la député européenne est aussi venue pour apporter des réponses, et M. Leguevaques connaissait bien le dossier. Je vais me lancer dans l’action collective. Et je suis loin d’être la seule. Rien qu’à ma table, la personne à côté de moi m’a dit qu’elle allait aussi porter plainte. »
À Nantes, la faculté de médecine annule aussi la réunion
Selon les personnes interrogées par Rue89 Strasbourg, cet événement a été la première réunion des victimes du Levothyrox dans une salle strasbourgeoise. Elles regrettent la décision de la faculté de médecine, qui a refusé d’accueillir l’événement. Me Leguevaques surfe sur cette « censure ». Dès le début de la conférence, il invite l’auditoire à se plaindre auprès du doyen de la fac, Jean Sibilia. L’avocat fera sans doute la même invitation lors de sa prochaine réunion, le 18 janvier, à Nantes, où la faculté de médecine a aussi annulé l’événement sur l’action collective contre le laboratoire Merck.
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