La profanation du cimetière juif de Quatzenheim, dans le Kochersberg à quelques minutes de Strasbourg, durant la nuit du lundi 18 au mardi 19 février s’inscrit dans une longue liste d’actes antisémites en Alsace. Au total, 96 des 250 tombes ont été taguées de croix gammées avec des bombes jaune et bleue dans ce cimetière bâti en 1795. La porte d’une maison voisine a aussi été souillée d’une croix gammée. Un riverain a découvert la situation en promenant son chien vers 6h30.
Une des tombes comporte l’inscription « Elsassisches Schwarzen Wolfe » (Les loups noirs alsaciens), une probable allusion au groupuscule autonomiste actif dans les années 1970 et dissout en 1981 suite à quatre attentats.
Le parquet de Strasbourg a ouvert une « enquête de flagrance« . Les investigations sont confiées à la section de recherches de la gendarmerie de la capitale alsacienne.
La venue du président
Arrivé sur place dans l’après-midi, le président Emmanuel Macron a promis que les auteurs seraient retrouvés et que la République « les punira ». À des habitants, il a indiqué que « des actes » et « des lois » seront pris, sans en préciser la teneur. Les actes ou propos antisémites sont déjà sanctionnés par les lois françaises. En revanche, un peu plus tôt dans la journée, il s’était dit opposé à pénaliser « l’antisionisme », c’est-à-dire la critique de la politique de l’État d’Israël, en réponse à la proposition du député de la majorité Sylvain Maillard.
Cette découverte arrive le jour où un rassemblement transpartisan contre les actes antisémites doit se tenir ce mardi 19 février à 19h place de la République à Paris, mais aussi sur la place éponyme à Strasbourg.
Le souvenir de 2015
Les vastes dégâts à Quatzenheim, village d’environ 800 habitants, font écho à la profanation du cimetière juif de Sarre-Union, en février 2015. Par son ampleur, plus de 250 tombes taguées et parfois endommagées, et sa proximité avec les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher à Paris, l’acte déclenche alors une forte indignation et la venue rapide du président de la République, François Hollande.
Les cinq auteurs ont été retrouvés assez rapidement et l’affaire a été jugée pénalement en septembre 2017. Parfois mineurs à l’époque des dégradations, les jeunes ont indiqué regretter leurs gestes. La décision civile concernant les dommages et intérêts connait des reports successifs. Depuis, d’autres actes isolés à caractère antisémite ont émaillé l’actualité alsacienne pendant les années 2015, 2016 et 2017.
Ainsi la dégradation de 37 sépultures au cimetière juif de Herrlisheim, de moindre ampleur, est passée plus inaperçue, car découverte le 11 décembre 2018, au même moment que l’attaque au marché de Noël de Strasbourg.
À partir de l’été 2018, une plus grande fréquence des actions à l’encontre de la religion juive sont observables et prennent des formes similaires. Cette liste confirme les chiffres du ministère de l’Intérieur qui indiquent une hausse de 74% des actes à caractère antisémite, en se basant sur les plaintes et dépôts de mains courantes. Pour autant, les victimes d’actes antisémites sont nombreuses à ne pas porter plainte, ce qui rend délicat l’estimation de leur nombre. Voici une liste non-exhaustive de faits à caractère antisémite relevés en Alsace.
2015
- 12 février : Plus de 250 tombes du cimetière juif de Sarre-Union sont profanées. Les auteurs ont été condamnées à des peines de prison avec sursis et des travaux d’intérêt général en 2017, conformément aux réquisitions du procureur. Aucune partie n’a fait appel.
- 21 juin : Le site de la Croix du Staufen à Thann (Haut-Rhin), en hommage à la Résistance alsacienne, est recouvert d’inscriptions à caractère antisémite et à connotation autonomistes. Le groupe autonomiste des « Loups noirs », auquel les profanateurs de Quatzenheim font allusion, avaient commis deux attentats à l’explosif 1981 avant d’être démantelé (voir plus bas).
- 26 novembre : la même croix de Lorraine qu’en juin est taguée. L’inscription est davantage à caractère antisioniste, c’est-à-dire en opposition à la politique de l’État d’Israël et non à la religion juive en tant que telle (« Israël attaque la France mon genneral (sic) »).
- 19 août : Un homme de, 62 ans membre de la communauté loubavitch de Strasbourg est agressé au couteau, avenue des Vosges à Strasbourg.
2016
- 6 novembre : un sexagénaire strasbourgeois portant une kippa est frappé à l’arcade par un habitant du quartier des Contades âgé de 22 ans. Il s’en prend ensuite à deux autres riverains également membres de la communauté juive, un homme de 95 ans et son fils avec des insultes, doigt d’honneur et crachats. En 2017, l’agresseur est condamné à six mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve comprenant une obligation de soins, de travail et d’indemnisation des victimes. À cela s’ajoute 1 000 euros de dommages et intérêts pour la victime, et 300 euros à la Licra, à SOS-Racisme et au MRAP.
2017
- 12 mars : des tags antisémites sont retrouvés dans l’aire de jeux de la Petite Orangerie, dans le quartier de la Robertsau à Strasbourg.
- 1er avril : Captures d’écran à l’appui, le consistoire israélite du Bas-Rhin porte plainte contre un événement Facebook supprimé intitulé « Visite + Pique-nique au Struthof », le camp de concentration alsacien. Ici, l’intention est plus floue. L’organisateur se repent rapidement en expliquant que l’événement était initialement « sérieux », en faisant référence à une sortie scolaire prévue le 3 avril par son établissement, avec repas tiré du sac. C’est ensuite que l’événement tourné « en dérision » a pris « des proportions énormes », avec l’ajout de personnes extérieures. Mi-décembre, deux auteurs de propos en commentaires sont condamnés à trois et quatre mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve portant des obligations de travailler et d’indemniser les parties civiles. Le plus jeune, âgé de 24 ans, montre peu de remords au tribunal et évoque de « l’humour noir », sans vouloir « attaquer la communauté juive. »
- 21 juin : Dans un groupe Facebook fermé mais avec 700 personnes, un étudiant en troisième année de droit « regrette le bon vieux temps où l’on pouvait balancer un prof juif aux autorités », dans une discussion au sujet de la notation sévère d’un enseignant. Devant le tribunal, il plaide une « mauvaise blague » et « l’humour noir ». En mars 2018, il est condamné à deux mois de prison avec sursis, ainsi qu’à 600 euros de dommages et intérêts pour le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), la Licra (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme), à SOS Racisme, ainsi qu’un euro symbolique au profit du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France).
- Fin décembre : l’inscription « Morts aux juifs » est découverte sur une plaque qui affichait un nom à consonance juive à Strasbourg.
2018
- 12 janvier : Une croix gammée est retrouvée sur l’entrée du tribunal administratif de Strasbourg, avenue de la Paix, près de la synagogue.
- 24 avril : Une croix gammée est retrouvée sur la porte d’une Strasbourgeoise de confession juive, dans le quartier de l’Orangerie à Strasbourg.
- 26 septembre : Des tags antisémites et racistes sont retrouvés sur la mairie et le bâtiment du service périscolaire de Mollkirch.
- 13 octobre : Des tags antisémites et racistes sont retrouvés sur la mairie de Zœbersdorf
- 27 octobre : Des tags antisémites et racistes sont retrouvés sur la mairie d’Obersteinbach
- 4 novembre : des croix gammées et des inscriptions racistes sont découvertes sur les mairies de Drachenbronn, Bremmelbach et Langensoultzbach, dans le nord de l’Alsace. Elles visent aussi le préfet du Bas-Rhin, Jean-Luc Marx.
- 9 novembre : À Brumath, trois des quatre façades de la maison du maire Étienne Wolf (LR), vice-président du conseil départemental du Bas-Rhin, est recouverte d’une croix gammée, ainsi que d’inscriptions haineuses contre les élus, le préfet et les migrants.
- 28 novembre : Des croix gammées et d’autres inscriptions racistes et antisémites inscrites à la bombe noire sont retrouvées sur les murs de la façade intérieure de la résidence sociale Saint-Charles de Schiltigheim, gérée par la Fondation Saint-Vincent-de-Paul.
- Le 11 décembre : 37 stèles du cimetière juif de Herrlisheim sont recouvertes de croix gammées, ainsi que le monument des martyrs de la Shoah.
2019
- 10 janvier : À Schiltigheim, la permanence du député de Strasbourg-nord, Bruno Studer (LREM), est recouverte avec des injures à caractère homophobes, racistes et antisémites.
- 18 janvier : La façade de la mairie d’Eichhoffen, près de Barr, est taguée avec une croix gammée et d’autres inscriptions visant les migrants.
- 25 janvier : Des tags avec croix gammées et mots hostiles aux étrangers sont retrouvés sur un centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) du Foyer Notre-Dame, dans le quartier de Cronenbourg à Strasbourg
- 2 février : Certains manifestants dans le cortège des Gilets jaunes lancent des insultes visant la communauté juive, en passant à proximité de la synagogue de Strasbourg. D’autres moquent et injurient des hommes qui portent une kippa.
- 19 février : 96 des 245 tombes du cimetière juif de Quatzenheim sont recouvertes de croix gammées. Une des inscriptions fait allusion aux « Loups noirs » un groupe autonomiste alsacien actif dans les années 1970 et démantelé en 1981, suite à un attentat contre la croix de Stauffen à Thann.
- 4 mars : une inscription antisémite est laissée sur une feuille à l’école maternelle du Conseil des XV à Strasbourg.
- 4 mars : 5 croix gammées sont taguées en violet sur une ancienne synagogue reconvertie en espace sportif depuis les années 2000 à Mommenheim.
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