« Ce carrefour est un océan d’asphalte. » Florian, urbaniste récemment diplômé de 23 ans, semble peu surpris que l’intersection entre l’avenue des Vosges et le boulevard Clemenceau ait été le théâtre d’un grave accident de la route, jeudi 16 novembre. Depuis 2021, il partage sur son compte X (ex-Twitter) ses analyses sur les pistes cyclables et l’aménagement public des mobilités, à Strasbourg.
Ce jour-là, une cycliste de 18 ans avait été renversée par le chauffeur d’un convoi exceptionnel. Elle a été coincée sous le véhicule et dégagée grâce à un camion-grue, avant d’être amenée en urgence absolue à l’hôpital d’Hautepierre. Le pronostic vital de cette jeune femme n’est plus en danger selon des informations obtenues par les DNA.
Entre janvier et septembre 2023, 26 personnes sont mortes suite à un accident de la route (tous types de véhicules confondus) dans le Bas-Rhin et 531 ont été blessées dans 446 accidents – selon des chiffres de la police nationale. Aux DNA, l’adjointe à la maire en charge de la ville cyclable, Sophie Dupressoir, a dénombré 39 accidents impliquant des cyclistes en 2023 – contre 65 sur les neuf premiers mois de 2022.
Six routes pour trop peu de lignes au sol
« Certains carrefours à Strasbourg sont inconfortables pour les cyclistes, mais celui-là est dangereux, il met en péril leur sécurité », assène, de son côté, Florian, l’urbaniste. L’avenue des Vosges, selon Florian, est particulièrement accidentogène, surtout au niveau de l’intersection avec le boulevard Clemenceau :
« Elle est très peu commune. D’habitude, on a des carrefours en T, avec trois routes, ou en croix, avec quatre routes. Ici, six routes se croisent selon des lignes inhabituelles, ce ne sont pas des croisements à 90 degrés. Il y a très peu de marquage au sol et chaque route comprend deux à trois voies. Donc c’est très compliqué de comprendre où il faut aller, en tant que conducteur de véhicule ou en tant que cycliste. »
Le jeune urbaniste strasbourgeois a élaboré un schéma dans lequel il pointe le marquage au sol. « À Strasbourg, on a tendance à mettre deux pictogrammes cyclistes au sol et à penser que ça suffit », raille-t-il. D’autant plus que les voies sont mal identifiées :
« Si vous arrivez boulevard Clemenceau et tournez à droite sur l’avenue des Vosges, il n’est pas indiqué que vous devez vous rabattre. Pourtant, on passe de deux voies à une. C’est très complexe à gérer, même en tant que voiture. »
Difficile donc de savoir où aller, tout en faisant attention à son entourage et aux autres utilisateurs de la route. Selon lui, ce marquage « mène à beaucoup de confusion pour tous les usagers », cyclistes inclus :
« Sur la partie sud, il y a une piste cyclable bidirectionnelle qui est très mal identifiée et donc très mal sécurisée. Elle traverse sur une longue trajectoire les différentes routes. Et à d’autres endroits, la piste cyclable disparaît tout simplement à l’intersection. Rien n’est intuitif pour les cyclistes, donc c’est accidentogène. »
Des feux de circulation mal coordonnés
La temporalité des feux de circulation est aussi, selon lui, à revoir. « Lorsque le feu passe au vert pour les piétons et les cyclistes, les voitures n’ont pas fini de passer, » explique-t-il. L’espace qui devrait leur être dédié n’est donc pas sécurisé au moment où ils sont incités à traverser selon le code de la route.
Pour illustrer son propos, Florian a partagé une vidéo provenant d’une caméra embarquée lors du passage, à vélo, à l’intersection. On y voit le cycliste attendre d’avoir le feu vert pour traverser et tout de même être sur le point d’être percuté par un automobiliste. Les deux feux ne sont pas verts en même temps et créent une situation où voitures, piétons et cyclistes peuvent se percuter malgré avoir respectivement suivis les feux de circulation qui leur sont destinés.
« Ce carrefour est connu par nos services comme particulièrement problématique », explique Sophie Dupressoir, adjointe municipale à la ville cyclable. Des panneaux de signalisation ont déjà été ajoutés à l’entrée de la rue Finkmatt et les terrasses réglementées pour faciliter la circulation piétonne, mais « c’est tout le carrefour qu’il faut revoir ».
Les problèmes principaux relevés par l’élue sont la voie de bus partagée avec les cyclistes, la piste cyclable à deux sens vers la place de Haguenau, le manque de visibilité à l’entrée du carrefour en provenance de la rue Finkmatt et le raccordement des pistes cyclables entre elles. « Les cyclistes doivent parfois monter sur le trottoir », illustre-t-elle, blâmant largement l’aménagement hérité de l’équipe municipale précédente.
En janvier 2024, la commission sécurité routière de la Ville va faire l’état des lieux du carrefour et voir si des modifications temporaires sont nécessaires et envisageables. « Comme après chaque accident grave », conclut l’élue.
Pas de réglementation sur les intersections
Les aménagements cyclistes sont précisément réglementés depuis la loi d’orientation pour les mobilités (loi LOM), de décembre 2019 – qui vient compléter la loi Laure de 1996. Elle astreint les collectivités à inclure un aménagement cyclable (pistes, bandes cyclables, voies vertes, zones de rencontre ou marquage au sol si la chaussée est en sens unique) lorsqu’elles « rénovent ou réalisent » des « voies urbaines ». Et ce, « en fonction des besoins et contraintes de la circulation ». Mais rien ne les oblige à rénover les zones accidentogènes .
Dans un document rédigé par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cérema), huit recommandations sont formulées pour « réussir sa piste cyclables », parmi lesquelles assurer sa continuité, séparer les espaces de circulation (une voie dédiée aux piétons, une voie dédiée aux cyclistes, une voie dédiée aux voitures) et assurer la visibilité réciproque des usagers. « Sur le carrefour de l’avenue des Vosges, aucune de ces recommandations n’est suivie », soupire Florian.
Un aménagement temporaire ?
Pour apporter une solution temporaire à l’insécurité du carrefour, Florian a transmis aux services de la Ville une idée de plan d’aménagement. « Ils m’ont dit que ça coûterait environ 200 000 euros », poursuit-il. Le jeune urbaniste a ajouté des panneaux de signalisation supplémentaires, ainsi qu’un feu de circulation et des marquages blancs au sol.
Le jeune homme a tracé les lignes pour qu’elles soient plus intuitives et guident les automobilistes et les cyclistes le plus précisément possible :
« Le but est de séparer les piétons des vélos et des voitures. Le plus simple est d’avoir des lignes le plus droites possible, sans courbe, pour qu’elles soient bien comprises. »
Les bandes cyclables deviennent les petits carrés blancs lorsqu’elles traversent l’avenue des Vosges et les pictogrammes représentant les vélos sont multipliés.
« Ce n’est pas idéal », concède Florian, « il faudrait des séparateurs physiques ». Strasbourg à Vélo suggère régulièrement à la Ville la mise en place de pistes cyclables « transitoires » en attendant des aménagements pérennes :
« Entre la place de Haguenau et le boulevard Clemenceau, on pourrait imaginer placer des barrières mobiles comme ce qui a été fait devant le consulat de Russie. En prenant un espace aux voitures pour assurer la sécurité des cyclistes et en assurant une piste cyclable de chaque côté de l’avenue pour que les cyclistes n’aient pas à la traverser systématiquement. »
Pierre Peloux, président de Strasbourg à Vélo
Il aimerait aussi que des ronds-points à la Hollandaise soient mis en place par la Ville. Ces installations correspondent à une sorte de rond-point où chaque type d’utilisateur a sa voie propre, ce qui permet selon Pierre Peloux d’éviter les angles morts et donc, certains accidents.
Une avenue prête à évoluer
Mais l’avenue des Vosges est vouée à être profondément transformée et à accueillir une extension du réseau de tram vers Schiltigheim (voir nos articles) d’ici deux à trois ans – le début des travaux est prévu fin 2024, selon la Ville. « Je ne sais pas si la municipalité est prête à investir plusieurs milliers d’euros pour un aménagement temporaire », tranche Florian, « même s’il permettrait peut-être de sauver des vies ».
De son côté, Sophie Dupressoir assure qu’il n’y a pas d’enveloppe plafond pour réaliser des modifications temporaires, mais que rien de pérenne ne sera installé étant donné l’imminence des travaux sur l’avenue des Vosges. « Après l’état des lieux en janvier 2024, de petits changements pourront être effectués, en mettant des balises le long de la piste cyclable, en changeant le réglage des feux ou en ajoutant du marquage au sol », explique-t-elle.
Pour le marquage par contre, il faudra attendre le printemps : « On ne marque rien au sol l’hiver car ça ne tient pas ».
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