Il y a presque 20 ans, le strasbourgeois Stéphane Knoerr a eu un accident de moto. Depuis, il est handicapé moteur et se déplace en fauteuil roulant. Il a aujourd’hui 39 ans et chaque jour, il s’échine à faire face aux obstacles qui se dressent face à lui à la moindre sortie dans les rues de Strasbourg.
Une voiture garée sur le trottoir qui l’empêche de passer, un creux trop profond entre la route et le trottoir, des lieux publics non accessibles aux personnes handicapées, etc. Le premier exemple qui vient à l’esprit de Stéphane, c’est celui de la Poste située place de la Bourse : du fait de la présence de quelques marches, il ne peut pas entrer et doit attendre qu’un agent sorte pour le servir directement sur le trottoir.
Pour se faciliter un peu le quotidien, Stéphane a lui-même conçu, avec un ami, son fauteuil roulant : le 2KS, équipé notamment d’amortisseurs pour éviter que les chocs n’abîment la colonne vertébrale. En 20 ans, Stéphane a acquis une capacité d’adaptation étonnante :
« Quand je rencontre un obstacle, ça ne me décourage pas. Au contraire. Une fois, je voulais aller dans un bar près de la place Saint-Etienne. Comme souvent, pour y entrer, il fallait monter deux ou trois marches. J’ai donc demandé au vigile s’il pouvait m’aider. Il me répond qu’il a une douleur au dos, qu’il ne peut donc pas me porter et me demande d’aller ailleurs. Deux clientes du bar ont assisté à la scène. Choquées par l’attitude du vigile, elles m’ont aidé à entrer. Lorsque je tombe sur des obstacles ou sur une personne peu conciliante, ça me donne encore plus envie d’aller dans cet endroit ! »
Autre cas de figure : lorsque les établissements sont dits accessibles aux personnes handicapées mais qui en réalité ont été mis aux normes avec un manque évident de bon sens. Là encore, Stéphane a des exemples à la pelle :
« Ça m’est déjà arrivé de voir des toilettes dans des lieux publics où l’inclinaison de la barre d’appui est à l’envers… Impossible de l’utiliser dans ces cas-là. Autre exemple : le cinéma à Rivétoile est accessible aux handicapés. Dans les salles, des emplacements spécifiques pour les personnes en fauteuil ont été créés. Sauf que ces emplacements sont isolés des autres sièges. Si je viens avec des amis, je ne peux même pas être à côté d’eux. Ils font les choses, mais les font à moitié ou sans réfléchir. »
Strasbourg classée 61ème au baromètre de l’accessibilité
On comprend mieux pourquoi Strasbourg est si loin dans le classement 2012 des villes de France selon leur degré d’accessibilité. Dans ce baromètre réalisé par l’Association des paralysés de France (APF), la ville est au 61ème rang parmi les 96 chefs-lieux départementaux. Avec 12,7/20 de moyenne, Strasbourg est même en dessous de la moyenne nationale, à 13,2. Strasbourg est loin derrière Lille, Lyon, Bordeaux… De quoi faire rougir la capitale européenne. L’objectif de 2015 fixé par la loi du 11 février 2005 ne sera pas atteint : tous les établissements accueillant du public ne seront pas mis aux normes d’accessibilité d’ici deux ans.
Catherine Schall, directrice de la délégation départementale APF du Bas-Rhin, explique la raison de la baisse de la note de Strasbourg :
« Strasbourg a chuté dans le classement parce qu’elle s’améliore moins vite que d’autres. Il y a des villes comme Nantes ou Grenoble qui mettent le paquet pour 2015. À Strasbourg, des travaux sont engagés, notamment dans les écoles, qui sont l’un des points noirs de la ville au niveau de l’accessibilité aux personnes handicapées. Actuellement, seules 33% des écoles primaires sont accessibles. Mais ce classement ne prend pas en compte les travaux engagés, c’est une photographie de l’accessibilité à l’instant T. »
Le classement APF se base sur trois critères pour évaluer le degré d’accessibilité d’une ville : le cadre de vie, c’est à dire l’accessibilité dans les lieux publics non municipaux (commerces de proximité, cabinets médicaux, etc.), les équipements municipaux (mairies, écoles, transports en commun, etc.) et la politique locale plus ou moins volontariste.
Si, comme le souligne Catherine Schall, l’un des points faibles de Strasbourg est l’accessibilité des commerces de proximité et des cabinets médicaux, là où Strasbourg a réellement péché cette année, c’est sur les équipements municipaux. Elle n’a obtenu que 6,5/20 pour l’accès à ses stades, écoles, mairies…
Une seule ligne de bus 100% accessible
Le tramway est aux normes d’accessibilité et c’est l’un des points forts de Strasbourg : des buttes ont été placées au niveau de la porte avant du tramway pour rehausser le sol de certaines stations afin qu’il soit au même niveau que le plancher du wagon. Mais on ne peut pas en dire autant du réseau de bus de la ville. Une seule ligne, la 19, est accessible en tous points.
Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire (EELV) en charge notamment de l’action sociale territoriale et des problématiques ville et handicap, regrette que seul le réseau de bus soit pris en compte dans le baromètre APF :
« C’est dommage car notre note pourrait être plus élevée. Mais nous travaillons à l’aménagement du réseau de bus pour accueillir les personnes en fauteuil roulant. Lorsque nous investissons dans de nouveaux bus, nous portons notre choix vers des bus à plancher bas et nous prévoyons deux places réservées aux personnes en fauteuil roulant. Aujourd’hui, les deux tiers des bus de la compagnie des transports strasbourgeois (CTS) sont équipés de ces deux places. Avec cette mesure, nous allons même au-delà des obligations légales. »
Peut-être, mais Stéphane Knoerr signale tout de même une faille dans le système : si trois amis handicapés moteur souhaitent se déplacer en bus, comment font-ils ? L’un des trois attend le prochain bus ? C’est en effet la solution préconisée par Marie-Dominique Dreyssé.
Des dérogations pour 2020
Lorsqu’on aborde la question de la date butoir de 2015 avec Marie-Dominique Dreyssé, celle-ci arrête net : « Ce n’est que le diagnostic des établissements recevant du public qui doit être fait d’ici 2015, et non les travaux. » Et l’élue se targue d’être en avance puisque « la CUS et la Ville vont arriver en 2015 en ayant terminé les diagnostics et commencé les travaux ».
À la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), on répond que la date limite pour réaliser les travaux était bel et bien 2015 lorsque la loi a été promulguée. Mais peu à peu, il est apparu que le coût d’une telle opération était trop important et que les dépenses avaient besoin d’être davantage échelonnées. Selon la Maison du handicap, des dérogations devraient donc être délivrées pour 2020.
« La faute à la municipalité précédente si Strasbourg a pris du retard » sur les travaux de mise aux normes, selon Marie-Dominique Dreyssé :
« C’est un gros budget. Rien que pour les diagnostics, c’est à dire pour lister les bâtiments ayant besoin de travaux pour être mis aux normes d’accessibilité, le coût s’élève à 1 910 000 d’euros. Et je ne vous parle même pas des travaux en eux-mêmes. Le plus dur a été la mise en route de tout ce système. La CUS a commencé à se pencher sur la question seulement en 2008. Si Fabienne Keller avait lancé le processus dès 2005, nous aurions moins de retard. »
De son côté la sénatrice UMP du Bas-Rhin et candidate à la mairie de Strasbourg, Fabienne Keller, assure avoir commencé à travailler sur l’accessibilité des lieux publics avant même la loi de 2005 et met en garde la municipalité actuelle :
« Il faudrait être plus vigilant sur les nouveaux équipements. Par exemple, la place d’Austerlitz et l’allée Joséphine à l’Orangerie ont fait débat : des travaux ont été fait sans penser à cette question d’accessibilité. Nous, quand nous avons réaménagé le parvis de la gare, l’accès pour tous faisait partie de nos priorités. »
Et lorsque la mise aux normes d’accessibilité des lieux publics sera enfin terminée, le nouveau combat de Stéphane Knoerr sera de pouvoir accéder à ces bâtiments par l’entrée principale, et non par l’arrière. « J’ai l’impression qu’on cherche à cacher les handicapés. Pour accéder à l’aéroport de Strasbourg, ils nous font passer par ce qu’on pourrait appeler les coulisses de l’aéroport. Je pense que je connais tous les couloirs possibles et inimaginables de cette plate-forme », ironise Stéphane.
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