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Politique et intime, l’Iran par 21 photographes à l’espace Apollonia

De la réalité du documentaire à la poésie de la mise en scène, 21 photographes iraniens dévoilent leurs univers familiers à l’espace Apollonia jusqu’au 8 décembre. L’occasion de se plonger dans le deuxième volet de l’exposition « À un cheveu près », témoignage d’un besoin expressif perpétuel. 

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Comment manifester sa créativité dans un contexte où la liberté n’existe pas ? Au sein de l’espace Apollonia à la Robertsau, 21 photographes révèlent l’histoire d’un même pays par différents procédés. Après le Kazakhstan, c’est l’Iran que l’association d’échanges artistiques européens met à l’honneur, en collaboration avec le Parlement Européen.

Depuis juin, l’édifice européen accueille le premier volet de l’exposition intitulée « À un cheveu près » avec notamment les oeuvres de Babak Kazemi et de Maryam Firuzi. Forte de son succès (plus de 75 000 visiteurs en trois mois), l’installation est prolongée au Parlement et à l’espace Apollonia jusqu’au 8 décembre.

Vue de l’exposition « À un cheveu près. Photographie contemporaine iranienne », Fereshte Zamani, Salve, 2018 (à gauche) et Ali Sooteh, Wasteland, 2018-19 (à droite). Photo : Lisa Christ / Rue89 Strasbourg / cc

Trois ans de travail

L’objectif de l’association Apollonia est d’établir un lien avec une zone extra-européenne. L’Iran a connu la guerre avec l’Irak, de grandes révolutions, un régime théocratique, des transformations politiques, des mouvements protestataires… Héritière de richesses infinies, la culture iranienne se situe souvent entre survivance de coutumes traditionnelles et approche de la modernité. 

« Il s’agissait de comprendre en s’immergeant dans l’art du pays », explique Dimitri Konstantinidis, co-commissaire de l’exposition. En 2020, dix jours en Iran lui ont permis de rencontrer artistes, critiques et historiens, et de comprendre le dialogue entre leurs vécus et leurs pratiques artistiques. C’est pourtant deux ans après ce voyage que le projet s’est concrétisé. Plus précisément après la mort de Masha Amini le 16 septembre 2022, jeune étudiante iranienne tuée en garde à vue après avoir été arrêtée pour avoir mal porté son voile.

Les deux volets de l’exposition, au Parlement Européen et à l’espace Apollonia, se répondent. Le premier regroupe les deux photographes évoqués précédemment. Le second présente un caractère encyclopédique et éclectique. Trois grandes thématiques viennent en rythmer la scénographie et captent l’attention du public tout en offrant une clé de compréhension sur la situation de l’Iran. 

Car même en 2023, exposer ces oeuvres à Strasbourg est un acte militant qui incite à réfléchir aux droits fondamentaux, au principe de démocratie ou encore au rapport à l’autorité.

Faire rimer féminité et liberté

Pour Maryam Firuzi et Babak Kazemi, dont les photographies sont exposées au Parlement européen, il est nécessaire de dénoncer le statut des femmes dans leur pays. Tous deux cherchent à contourner la loi islamique sur le port du voile obligatoire. Cacher des cheveux de femmes par la broderie de vrais cheveux, ou illustrer un mythe persan font partie de leurs astuces photographiques.

Mahsa Alikhani, Kate Moss Family, 2013, série de dix photographies, impressions numériques (détails). Photo : Lisa Christ / Rue89 Strasbourg / cc

À l’espace Apollonia, Mahsa Alikhani détourne le sujet avec ironie. Elle met en scène des femmes aux différents âges de la vie, enfermées dans une cage transparente. Tantôt cuisinières, tantôt mères, tantôt couturières, elles sont toujours cantonnées à des tâches domestiques. L’artiste immerge ces figures féminines dans un univers onirique et imaginaire qui touche à la réalité, tout en affirmant une volonté de liberté. 

Dans un autre style, Naila Dabdar s’intéresse à la documentation de la vie quotidienne à travers des photographies en noir et blanc très contrastées. Alors que Maryam Dashti rend compte de la mémoire à travers des souvenirs d’enfance. Elle utilise l’effacement par la couleur et crée des figures absentes de l’image, presque fantomatiques.

Le reflet d’autres réalités 

Plusieurs artistes de l’exposition ont choisi d’aborder dans leurs images la question de l’environnement. C’est le cas du photographe Mohammad Abbasi, par exemple, dont les clichés montrent trois paysages imposants. Les rochers que l’œil perçoit de prime abord sont en réalité des restes de véhicules de combat enfouis dans la mer. L’artiste témoigne de son inquiétude face aux conséquences environnementales de la guerre. 

Alireza Memariani, quant à lui, utilise la couleur rouge pour plonger son public dans l’ambiance fictive d’une urgence climatique bien réelle. Il insiste sur des regards humains préoccupés, des oiseaux et d’autres animaux blancs, symboles de liberté. 

« Ce qui nous tenait à cœur comme toujours, c’est de montrer ces artistes qui se battent pour des valeurs. À travers ces expositions, l’aspect politique dépasse l’aspect esthétique qui reste néanmoins lui-même présent. »

Dimitri Konstantinidis

Construire la cité par l’image

Après la nature, c’est la question de la ville qui préoccupe plusieurs artistes. Ils évoquent, chacun à leur manière, la destruction de bâtiments historiques, la présence des logements sociaux, la place de l’architecture…

Kiarang Alaei, The 4th State ; Passing ; The Heaven ; Daily life in Masouleh, impressions numériques. (Photo Lisa Christ / Rue89 Strasbourg / cc) 

À travers six clichés encadrés, Kiarang Alaei se détache de la métropole pour montrer Gilan, une cité provinciale à quelques heures qu nord ouest de Téhéran. Il dépeint avec poésie des moments de vie en suspens qui semblent doux lorsque l’image est colorée et plus tristes lorsqu’elle est assombrie. 

La mosaïque photographique de Kaveh Zohdi met en lumière une ville qui n’est plus symbolisée par son architecture mais par ses habitants. Tandis que la rue Enghelab semble banale, juste hantée de quelques citadins errants, elle est en réalité historique et fortement fréquentée. 

Kaveh Zohdi, Tehran, Enghelab St., after representing acceptable citizens on the wall, 2019, impressions numériques. (Photo Lisa Christ / Rue89 Strasbourg / cc) 

Le but de l’exposition est de nous immerger, doucement ou cruellement, dans l’essence de la réalité du pays. Objectif atteint. Aspects sociaux, environnementaux et architecturaux dessinent plusieurs facettes de la photographie contemporaine iranienne, sans pour autant réduire l’Iran à cela. Ainsi, « À un cheveu près », par son titre mais avant tout par les images qu’elle abrite, rappelle que les libertés sont parfois mises à l’épreuve et qu’il faut, encore aujourd’hui, se battre pour les préserver. 


#Apollonia

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