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A Strasbourg, le graff toujours dans l’ombre

L’histoire du graff à Strasbourg remonte à une vingtaine d’années. Pilier du mouvement hip-hop parmi d’autres expressions artistiques, le graffiti a vu les générations passer et semble perdre du terrain. Après la clôture du festival Sans Conservateur, Rue89 Strasbourg fait le point.

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Festival Sans conservateur (Photo David Rodrigues)

Ils sont méfiants, très méfiants. Difficile d’entrer en contact avec des graffeurs, qui ne donnent même pas leur « blaze », leur signature, leur seconde vie, leur marque de fabrique. La plupart des graffeurs, quand ils décident de s’investir dans le graffiti, s’associent au mouvement hip-hop et connaissent les « règles » : des non-dits que les artistes urbains strasbourgeois ont pris l’habitude de respecter. Depuis quelques années, et selon les graffeurs qui ont accepté de témoigner, ces normes se sont perdues et la nouvelle génération ne les connait plus vraiment :

« Les jeunes entrent maintenant dans l’univers du graff en suivant un courant de mode (sic) imprégné dans la vie quotidienne à travers la télévision, les publicités… Mais ils n’appartiennent pas vraiment à la culture hip-hop ».

Il y a une dizaine d’années encore, les nouvelles recrues qui s’intéressaient au mouvement hip-hop et au graff apprenaient en regardant faire les « anciens » : une old school des années 1990 très présente dans le milieu urbain à travers ses nombreuses œuvres.

Règle n°1 : les nouveaux ne s’approprient pas les walls of fame, les murs les plus visibles de la ville. Or aujourd’hui, les débutants ne respectent plus forcément cet usage. Et notamment ceux qui couvrent les murs de simples mentions « IDFIX » ou « OLAFF ». Une pratique qui irrite, selon un vétéran :

« Ce genre de tags décrédibilise le graff. Les gens retiennent ces tags, qui souvent dégradent l’espace public avec peu de recherche artistique, et ne pensent pas aux dizaines de fresques qu’ils ont vu et apprécié ».

Festival Sans conservateur (Photo David Rodrigues)

Les différences de mentalités des graffeurs correspondraient à l’année d’arrivée dans le milieu urbain strasbourgeois. La moyenne d’âge se situe entre vingt et trente ans. Mais aussi parmi eux, des parents qui, à quarante ans, alors qu’ils sont installés comme avocats, professeurs, ou même policiers, continuent à peindre.

Une middle school, arrivée au début des années 2000, aurait plutôt pour habitude de respecter les codes. Là où la new school, pour certains, ne rechercherait plus que la gloire. Le graff, en plus d’engendrer de l’adrénaline par la prise de risques, apporte une notoriété qui attire de nouveaux graffeurs. La plupart apprécie le fait d’entendre parler d’eux sans que les autres sachent qui ils sont vraiment et ce qu’ils font. Certains regrettent le manque de travail et d’investissement de ces nouveaux graffeurs :

« Avant les jeunes étaient spectateurs, puis s’entrainaient sur du papier, puis créaient leur propre style, puis travaillaient dans des spots que personne ne voyait. Il fallait gagner le respect des autres. »

Le fait est qu’actuellement, le mouvement ne serait plus aussi important qu’à « l’époque », un âge d’or qui se situerait dans les années 1990. Aujourd’hui, seule une quinzaine de graffeurs très actifs persisterait, et au maximum cinq crews actifs, d’après les informations des graffeurs interrogés.

Les crews sont des groupes de graffeurs, amis dans la vie le plus souvent et qui partagent le loisir de peindre dans la rue. Il faut rappeler que le graff est le plus souvent illégal, selon les endroits où il est pratiqué. Même « vandale » – hors la loi – le graff n’est pas exclusivement un moyen de vandaliser, il peut être utilisé comme moyen de communication.

Festival Sans conservateur – Cliquez pour agrandir (Photo David Rodrigues)

Pour l’un des graffeurs rencontré, le hip-hop est un mouvement contestataire marginal, une manière de contrer l’Etat. Pour cette raison, certains graffeurs ne cherchent pas à dégrader des biens privés, « qui pourraient appartenir à des gens de [leur] famille » et ne peuvent concevoir le graff que sur des autoroutes, des ponts, des transports en commun, etc. D’autres à l’inverse considèrent que la propriété privée n’est pas un obstacle :

« Que ce soit quelqu’un d’autre ou moi, quelqu’un prendra le mur, autant que je le prenne. Et puis il y a quand même une histoire de territoire et de fierté dans le graffiti. Je n’irais pas n’importe où, sur la maison d’un autre graffeur qui n’est pas de mon crew. Entre amis, ça passe pour une dédicace mais entre crew, on doit montrer qu’on a des couilles (sic). Tout le monde connaît les règles, par exemple, si quelqu’un graffe dans un lieu illégal, personne ne repasse dessus parce que le premier a pris des risques et on ne gâche pas ça.

Alors que des graffitis en terrain [ndlr : des murs sur lesquels le graff est autorisé], on peut « repasser » quelqu’un, mais il ne faut plus du tout qu’on puisse voir le premier graff derrière. Si on fait juste un toy, c’est-à-dire un petit dessin qui ne cache pas entièrement celui derrière, ça passe pour une provocation. Dans le graffiti, tu prends des risques, du temps, de l’investissement, de l’argent, des nuits, tu essayes de te faire un nom sans faire chier les autres. Si quelqu’un veut repasser tes pièces [tes dessins], ça énerve. »

Mais que fait la police ?

Le graffiti n’attire pas la même attention des autorités policières qu’il soit vandale ou légal. Un graffeur qui a récemment été interpellé par la police, affirme :

« Beaucoup de graffeurs qui sont investis dans le milieu sont sur écoute, sous enquête. Lorsque l’enquête aboutit, les amendes ont déjà atteint 150 000€. Pour ces enquêtes, la police a développé des gros moyens. Ils [les policiers] font des perquisitions chez nos proches, des écoutes téléphoniques ou des recherches d’ADN. Donc, on est obligés de faire très attention en faisant entrer quelqu’un dans son crew. Si l’un des membres « balance », il est rapidement écarté de son crew et des autres, parce qu’il devient un danger pour tout le monde et qu’il ne protège pas sa famille. »

Festival Sans conservateur – Cliquez sur la photo pour l’agrandir (Photo David Rodrigues)

Il se fait appeler Nelson et côtoie le monde du graff strasbourgeois depuis sept ou huit ans. A ses débuts, lui aussi s’est fait « toyer » :

« Au début, il faut demander l’autorisation pour « repasser » quelqu’un. Il m’a fallu au moins trois ou quatre ans pour gagner le respect des autres. Moi aussi je me suis fait « toyer » pendant des années et souvent par le même graffeur. Jusqu’au jour où on s’est rencontrés et qu’on s’est bien entendu. Finalement, il m’a dit qu’il aimait bien ce que je faisais et puis on a commencé à peindre ensemble. Les choses ont changé quand on a décidé de créer le sexy toys club pour contrer les « toys » justement. »

Les forces de l’ordre ne confirment ni n’infirment les moyens mis en place pour lutter contre cette forme d’incivisme. Selon les graffeurs rencontrés, une forte répression aurait ralenti l’activité de « street art » et amené de nombreux graffeurs à proposer leurs peintures dans le commerce. Nelson trouve que cette tendance s’éloigne des fondements du graff :

« Il faut avoir connu le vandale et l’adrénaline pour être underground. On ne peut pas juste faire du légal, ou alors on ne ressent pas vraiment ce que le graff apporte comme adrénaline. Le fait d’être en pleine nuit, de devoir se cacher ou aller vite, il faut l’avoir vécu je pense. Aujourd’hui, on ne voit plus autant de graffs dans Strasbourg. Il y en a beaucoup moins sur les trains par exemple, parce que quand ils sont graffés, ils restent à l’arrêt [ndlr : aucune chance de voir son graff passer en gare…] et toutes les friches et les vieux immeubles ont été démolis. »

 


#graffiti

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