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À la Robertsau, l’association fantôme de Pierre Bardet

À la Robertsau, l’association des commerçants et artisans, l’Acar, est tombée dans l’oubli. Depuis des années, Pierre Bardet reste seul aux manettes pour gérer l’argent public qui y transite.

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Rue Boecklin, dans le quartier de la Robertsau au nord est de Strasbourg, rares sont les magasins qui connaissent encore l’existence de leur association des commerçants et artisans de quartier, l’Acar. Et pour cause, l’association dirigée depuis 1988 par Pierre Bardet, actuel directeur général des Vitrines de Strasbourg, n’a plus fait parler d’elle depuis plusieurs années comme le relate un article du blog de la Robertsau. L’homme continue pourtant à l’utiliser pour financer les illuminations de Noël du quartier, en toute opacité.

En septembre 2013, Pierre Bardet organisait la dernière braderie commerçante du quartier, jusqu’alors tenue chaque année. Certains commerçants, sous l’impulsion de la fleuriste Etamine, contestaient cette organisation dans une pétition alors que l’association n’avait plus réuni ses membres depuis des lustres. En réponse, Pierre Bardet annonçait qu’il allait passer la main, trop pris par ses activités aux Vitrines. Mais depuis, plus de nouvelles et l’association existe toujours.

Plus de procès verbaux depuis 1986

Difficile de remonter l’historique de l’association, qui semble s’être évanouie dans la nature depuis de nombreuses années. Dans le registre du tribunal d’instance de Strasbourg, les procès verbaux concernant l’Acar s’arrêtent en 1986, lors de l’élection du bureau présidé à l’époque par Jean-Philippe Beck. Aucune trace de l’arrivée de Pierre Bardet, qui tenait alors un commerce de décorations dans le quartier, à la présidence de l’association en 1988.

« En sommeil » d’après Pierre Bardet, l’Acar n’a plus de bureau. Et la situation ne date pas d’hier. Après recherches, le dernier trésorier de l’association a quitté ses fonctions en 2003. Aucune trace du dernier secrétaire général. Quant au dernier vice-président, l’horloger Claude Kamper, il se souvient d’avoir démissionné « il y a huit ou neuf ans ». Pour lui, ce départ marque la fin de l’association :

« L’association est à l’abandon depuis. Pour moi l’Acar, ça n’existe plus. »

La rue Boecklin, centre commercial du quartier de la Robertsau. (Photo MM / Rue89 Strasbourg / cc)

Opacité vis-à-vis des commerçants

Parmi les commerçants les plus anciennement installés à la Robertsau, ceux qui ont connu l’époque active de l’Acar, on se souvient surtout d’avoir rapidement arrêté de payer les cotisations, alors que l’association organisait peu de choses pour eux et n’avait pas de vie associative.

Pascal Jung, tapissier décorateur, témoigne :

« Mon père était l’un des membres fondateurs de l’Acar dans les années 1970. Je me souviens d’une époque avec de nombreuses manifestations, des braderies, des soirées festives et un comité qui tournait. J’ai repris l’entreprise mon père à l’époque où Pierre Bardet a pris la présidence de l’association. Et très vite, dès le milieu des années 1990, il n’y a plus eu que des appels de cotisations, et plus d’assemblée générale annuelle. L’association est devenue une affaire entre quelques initiés. Deux ou trois années de suite, lors de l’appel à cotisation, j’ai demandé à Pierre Bardet qu’il tienne une assemblée générale. Il m’a dit qu’il le ferait mais ce n’est jamais venu. La dernière fois, je lui ai même dit que je lui donnerai ma cotisation lors de l’assemblée générale. Ce à quoi il a répondu que je n’y serai pas convoqué si je ne payais pas ma cotisation. J’en ai déduit qu’il n’avait pas la volonté de réunir une AG et comme je ne cautionnais pas cela, je suis parti. Pour moi c’était une volonté d’opacifier la gestion et c’est ce manque de transparence qui m’a fait quitter l’Acar. »

Pierre Bardet lui-même est incapable de donner la date de la dernière assemblée générale de l’Acar :

« Je ne sais plus. Nous n’en avons plus fait par manque de temps comme beaucoup d’autres associations. Dans tous les cas, les commerçants étaient très contents que je m’occupe de tout pendant très longtemps. »

Pas de transparence sur les illuminations du quartier

Si les associations ne sont pas tenues légalement de tenir des assemblées générales annuelles, elles s’y engagent normalement par souci de transparence, surtout lorsqu’elle reçoivent des fonds publics. Par ailleurs en droit local, une association doit se composer d’au moins trois membres pour être maintenue. Or aujourd’hui, Pierre Bardet gère seul la subvention municipale de l’association, perçue via les Vitrines de Strasbourg au titres des Illuminations.

L’Acar continue en effet de fonctionner pour organiser les illuminations de Noël de la Robertsau, concentrées dans la rue Boecklin. Elle est l’une des rares associations de commerçants strasbourgeoises de quartier à gérer ses illuminations directement, plutôt que d’en laisser le soin à l’association des Vitrines de Strasbourg, pourtant gérée elle-même par Pierre Bardet.

Une part de la subvention municipale toujours versée

À ce titre, les Vitrines reversent donc à l’Acar chaque année une part de la subvention municipale dévolue aux Illuminations. Mais cet arrangement est complètement opaque, Pierre Bardet n’ayant jamais présenté de facture justificative des dépenses concernant la Robertsau aux Vitrines de Strasbourg.

Pour les derniers Noël, cette subvention publique à l’Acar est estimée à au moins 5 000 euros annuels. Dans les informations fournies à la Ville pour Noël 2014 pour justifier l’emploi de la subvention, les Vitrines annoncent un coût de 9 000 euros pour les illuminations de la Robertsau. En novembre 2015, Pierre Bardet déclarait à Rue89 Strasbourg que la part de subvention pour un quartier périphérique comme la Robertsau devait couvrir 45% du coût réel de ses illuminations.

Dans les faits l’Acar percevrait donc une subvention plus importante que prévue. Et même beaucoup plus, puisque Pierre Bardet assure aujourd’hui que les 9 000 euros de coûts annoncés pour son association ne sont qu’un montant prévisionnel et que dans les faits, les dernières opérations ont coûté beaucoup moins : « près de la moitié », précise-t-il.

Pierre Bardet promet de réagir

Comment l’association finance-t-elle le reste à charge de ses illuminations ? Elle n’a jamais demandé aux commerçants de participations. Pierre Bardet assure que l’Acar roule aujourd’hui grâce à la trésorerie qu’il lui reste, fruit de partenariats passés notamment. Il refuse d’en dévoiler la somme :

« C’est une information que je dois aux commerçants, pas aux médias. Je voulais passer la main à quelqu’un, qui ensuite n’était plus disponible. C’était difficile de trouver un volontaire. Mais je vais le faire. L’association va être relancée cette année. Je vais prendre le taureau par les cornes et tout va être remis sur les rails. »

La municipalité vient de mettre en place un groupe de travail composé d’élus de tous bords politiques pour faire la lumière sur la gestion des Illuminations par l’association des Vitrines de Strasbourg. Peut-être que cette démarche encouragera une gestion plus transparente de l’Acar.


#illuminations

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