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À la manif’ du 5 décembre, « Au fil des réformes, on détricote tout »

Rencontres avec quelques manifestants dans les rues de Strasbourg lors de la journée de mobilisation du 5 décembre.

Diaporamas

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Après avoir travaillé depuis le début quinquennat sur une réforme du système des retraites, le gouvernement a promis de présenter « un projet » sous une semaine, à l’occasion de la grande grève nationale du 5 décembre. Plusieurs Strasbourgeois et Strasbourgeoises nous ont expliqué pourquoi ils faisaient partie du cortège qui a réuni environ 10 000 personnes à Strasbourg jeudi.

Venue manifester avec une amie dans la même situation, Karima, conseillère principale d’éducation (CPE) est stagiaire dans un collège à Sélestat. « Nouvelle » dans l’Éducation nationale, elle s’inquiète avant même sa titularisation :

« Je ne suis pas spécialement venu défendre le régime actuel. Avoir un régime universel peut être une bonne chose. Mais il faut soit une compensation qui permet une retraite correcte, soit inventer un régime plus juste. Le contrat dans l’Éducation nationale, ce sont des salaires bas certes, mais une retraite qui permet 75% de la rémunération des six derniers mois. Contrairement aux enseignants, nous n’avons pas été destinataires du mail du ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, où il indique que nous serons désavantagés. Il en a donc conscience. Il est question d’une revalorisation salariale, mais tout dépend maintenant à quelle hauteur… »

Solidarité familiale

Adrien, 28 ans, et sa mère Sophie, 55 ans, sont venus manifester en famille. Le fils revient d’une mission de trois ans à l’étranger et cherche désormais un emploi en France :

« Je me mobilise autant pour les anciennes générations qui vont travailler plus longtemps pour toucher moins comme ma mère et à terme pour les générations comme la mienne. »

Adrien et sa mère Sophie ont manifesté en famille (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Pour Sophie, professeur dans une école d’art, ce n’est pas sa première manifestation mais bien la première fois qu’elle fait grève :

« Ce sont toujours les mêmes qui paient et ça suffit. Notre pays n’a jamais été aussi riche, mais la richesse est mal répartie. Je n’ai pas regardé pour moi-même, mais j’ai vu hier la simulation d’une collègue dont la pension passerait de 1 700 euros bruts à 1 200 euros. J’ai arrêté de travailler six ans pour m’occuper de mes trois enfants, donc si je veux une retraite pleine, il faut que je parte à 67 ans. Vous imaginez une prof de danse à cet âge ? »

Et les avocats

Dans le cortège aussi, des professions libérales. Elles avaient déjà participé à une journée de grève nationale le 16 septembre sur ce sujet. Caroline Zorn, présidente en Alsace du syndicat des avocats de France (et colistière de la liste des écologistes aux municipales) explique en quoi leur caisse de retraite autonome, ce qui est différent d’un « régime spécial », pourrait changer :

« D’une part, nous voyons dans nos cabinets des personnes de plus en plus précaires et cette réforme aggravera la situation, puisque les coupures de carrières, les femmes qui ont des enfants ou les reconversions feront cotiser pour moins de points. D’autre part, tout le monde n’est pas d’accord au sein de la profession pour savoir s’il faut garder une caisse autonome. Elle est excédentaire, car il y a de plus en plus d’avocats, mais certains sont d’accord pour basculer vers un régime universel. En revanche, sur la forme actuelle, les cotisations passeront de 14% aujourd’hui à 28% jusqu’à 40 000 euros de revenus annuels. Au-delà, les taux baissent, donc proportionnellement les avocats les moins riches, souvent ceux qui font de l’aide juridictionnelle, cotiseront plus. Dans le même temps, la retraite garantie baisserait de 1 416€ à environ la moitié. »

Les retraites, mais pas que…

Pour d’autres, leur venue n’est pas seulement motivée par le projet de réforme des retraites, mais par un rejet plus général de la politique d’Emmanuel Macron.

Gérald, artisan, gère une très petite entreprise dans les travaux publics. Il manifeste contre le manque de protection des artisans : « Je ne peux pas me mettre en arrêt maladie. Si je suis hospitalisé, je touche 20 euros par jour… » Pour Gérard, la contestation porte sur un mécontentement général qui englobe aussi bien la dégradation du service hospitalier comme la hausse du prix de l’essence.

Un ras le bol général pour Gérald, artisan (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

À ses côtés, Lydia se plaint d’une réforme « qui tire l’ensemble des futurs retraités vers le bas. Si la réforme, c’était tirer tout le monde vers le haut, ça irait. » « Tout le monde sera perdant », renchérit Françoise, retraitée. Elle s’inquiète en particulier pour les femmes, qui « perdront les trimestres pendant leurs congés maternités… »

Lydia est retraitée donc non-concernée, mais s’inquiète pour ses enfants (photo JFG / Rue89 Strasbourg)
Françoise est aussi venue avec Gérald et Lydia (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

« La vision néolibérale de ce que doit être l’État », c’est aussi ce qui motivait le jeune Adrien rencontré plus tôt. « Au fil des réformes, on détricote tout un système d’acquis, comme avec le chômage. »

Pour un groupe d’aide soignants, le mouvement social est aussi l’occasion d’alerter sur l’état de l’hôpital public. Angélique, qui travaille aux hôpitaux universitaires à la Robertsau, parle de sa situation :

« J’ai voté pour Emmanuel Macron avec mon compagnon, car on s’est dit que c’était un jeune, avec deux parents médecins. Aujourd’hui, j’ai honte de dire que je suis aide-soignante… »

Et enchaîne sur les conditions de travail :

« Au complet, on est 4 pour s’occuper de 36 personnes avec une infirmière et deux agents de services, très grabataires. On n’a parfois pas le temps de boire ou d’aller aux toilettes. Certains jours, il faut rester car il n’y a que 2 ou 3 aides-soignants. Notre hiérarchie nous dit qu’elle ne trouve plus personne à recruter. »

« On a 5 ou 10 minutes pour laver les résidents, comme si c’était une voiture. Pour manger, c’est six minutes par bouche. Ce n’est pas humain », embraye Alban. Dans le groupe, personne ne se voit travailler à ce rythme là jusqu’à ses 60 ans ou au-delà. « La moyenne d’une carrière est de 7 ou 8 ans ». « Qui veut de ça pour 1 350€ nets pour débuter ? Certains abandonnent en quelques jours ».

Pour les aides soignants, il faut plus d’humain dans la politique d’Emmanuel Macron. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Rendez-vous dès vendredi pour la suite

Le mouvement social compte désormais durer, y compris en Alsace. Vendredi 6 décembre, les trains régionaux ne circuleront que sur cinq lignes et à fréquence très réduite. À Strasbourg, un rendez-vous est donné à 12h place de la République. Côté étudiants, une assemblée générale se tiendra à 10h, au Patio dans le campus de l’Esplanade.


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