Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

À Hautepierre, des étudiants de Sciences-Po pallient les manques de l’Éducation nationale

Depuis 20 ans, des étudiants de Sciences-Po Strasbourg font du soutien scolaire bénévole auprès d’élèves de primaire de Hautepierre. Des rencontres fructueuses, à l’image de Maria, 7 ans, et Clémentine, 20 ans, ou d’Armen, 10 ans, et Élise, 21 ans, qui redonnent confiance aux enfants et à ceux qui les entourent.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.


Il fait déjà froid en ce vendredi d’octobre quand Clémentine, 20 ans, étudiante à Sciences-Po Strasbourg, sonne à la porte d’un immeuble du quartier de Hautepierre, non loin de l’arrêt de tram Le Galet. Comme tous les mercredis et vendredis à 17h, elle y retrouve Maria, 7 ans, élève de CE1.

Et comme chaque semaine, c’est toute la famille de Maria qui l’accueille dans l’appartement de la grand-mère, où tout le monde est régulièrement de passage : la maman, le papa, les frères, la petite cousine… et l’arrière grand-mère.

Elles s’installent à la table du salon avec les cahiers de Maria. Clémentine lui demande ce qu’elle veut faire aujourd’hui et la jeune élève n’hésite pas : « Du fastoche ! »

Travailler en s’amusant

D’habitude, elles font les devoirs ensemble, mais aujourd’hui, la mère de Maria a oublié le cartable chez elle, alors elles feront avec ce qui reste, à commencer par revoir des poésies du CP. L’essentiel, c’est de travailler en s’amusant. Et de travailler le français, si possible. À la maison, seul le père, d’origine arménienne, parle un peu français et le pratique parfois avec ses enfants. Une langue dont l’alphabet, en partie inspiré du grec, trône fièrement sur un des murs de l’appartement, à côté d’un tableau de la Cène, avec Jésus et ses apôtres.

Lors de leurs séances hebdomadaires, Clémentine et Maria travaillent beaucoup le français et revoient ensemble des termes difficiles (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Sous l’œil avisé de son arrière grand-mère, installée dans un fauteuil près de la table, puis de son père, tout juste rentré du travail, Maria récite un poème intitulé « La pluie Maracas ». Avec Clémentine, elles redécortiquent chaque mot, pour voir si la petite fille comprend bien de quoi parlent les vers : qu’est-ce que la pluie, que sont les giboulées ? Et la neige ? Question facile pour Maria :

« La neige, c’est un truc blanc, ça tombe en hiver ».

Clémentine confie que Maria apprend et enregistre plein de choses très vite, alors qu’elle bute sur d’autres :

« Les saisons, les mois de l’année, les jours de la semaine, elle a vraiment du mal, je ne sais pas pourquoi. »

C’est pour cela qu’elle insiste sur ces éléments temporels, avec son savoir pédagogique improvisé. Après une année de prépa littéraire, Clémentine arrive à l’IEP en septembre 2017. Elle a « envie de faire quelque chose d’utile » et, « tentée par le projet », elle s’engage alors dans l’association Et Les Gosses, une branche du Bureau des Initiatives. Elle suit donc Maria depuis le début du CP.

Aider à enrayer les inégalités qui se creusent

Comme pour les autres enfants suivis par Et Les Gosses (17 actuellement), c’est l’association ABC Hautepierre qui met en contact les bénévoles et les familles des élèves en difficulté. Si l’association travaille en collaboration avec Et Les Gosses depuis plus de 20 ans, elle accompagne des enfants depuis 1980 (voir l’encadré ci-contre).

Comme l’explique Déborah, présidente de l’association estudiantine, l’action se concentre sur les écoles élémentaires, car « c’est là que se creusent les inégalités, au moment où on apprend à lire et à écrire. » Depuis toutes ces années, les écoles élémentaires, surchargées, ne parviennent pas à réduire les fossés linguistiques entre les enfants d’origines étrangères et ceux nés en France.

« Une chance », d’après les familles

Pendant une heure, Maria s’attelle, enthousiaste, à tout ce que lui propose Clémentine : parler des cycles de la lune, s’entraîner à l’écriture… Elle met du cœur à l’ouvrage, et finit par admettre :

« C’est bien de faire les devoirs. J’aime bien toutes les matières. J’aime bien les maths, les écritures… »

Sa grand-mère, qui vient parfois voir si la séance se passe bien, confirme que cet accompagnement a changé sa petite-fille :

« Au tout début, c’est une autre personne qui venait, et Maria n’était pas très contente. Mais maintenant, dès qu’elle voit Clémentine arriver, elle affiche un grand sourire. Et quand elle ne vient pas, elle pleure. Pour la nouvelle année, on lui a demandé si elle voulait que quelqu’un d’autre vienne l’aider. Elle a dit “Non, seulement Clémentine”. »

Elle dit l’avoir vue progresser à vue d’œil, surtout sur le français :

« C’était très difficile pour nous d’aider pour les devoirs. Maintenant ça va mieux. Avoir Clémentine, c’est une chance. On aimerait avoir quelqu’un pour les grands frères aussi. »

D’après l’association ABC Hautepierre, si l’objectif est la réussite scolaire de l’enfant, le but est aussi et surtout « qu’il s’épanouisse, prenne confiance en lui et se projette dans l’avenir… »

Quand elle ne fait pas ses devoirs, Maria se replonge dans les poésies de l’an passé, qu’elle connaît encore par cœur (Photo DL/ Rue89 Strasbourg / cc)

Valoriser le jeune avant tout

C’est parfois le simple fait d’avoir un suivi personnalisé qui débloque les choses, alors qu’à l’école, le jeune est noyé dans une classe qui compte parfois jusqu’à 30 élèves. Elise a 21 ans et a commencé, dès sa première année à l’IEP, à suivre un élève du CE2 au CM1, Armen. Également arménien, il avait de grandes difficultés sur le français écrit. Elise a essayé de lui redonner confiance en lui :

« C’était tout à fait normal qu’il fasse des fautes d’orthographes. Mais au fur et à mesure, il a beaucoup gagné en aisance pour communiquer. Quand il s’est mis à comprendre de quoi parlaient les poèmes, il s’est mis à projeter sa voix. Et puis il était très fort en maths, donc je faisais régulièrement des jeux mathématiques, et là il se sentait “puissant”. »

Avec Elise, qui a animé beaucoup de colonies de vacances et aime travailler avec les enfants, Armen a doucement évolué vers plus de sérénité :

« J’ai senti au fur et à mesure qu’il s’ouvrait à moi. Au début son regard disait “Pourquoi elle est là ? Qu’est-ce qu’elle va m’apporter ?” Et puis après il était content de faire ses devoirs avec moi. »

Le combo enfant + famille

Dès le départ, Et Les Gosses explique qu’il s’agit plus d’une rencontre que d’un dispositif pédagogique :

« Les bénévoles entrent dans l’intimité de la famille et vont créer un vrai lien. Le fait que ce soit des étudiants rend l’accompagnant plus accessible pour le jeune, le lien de proximité est accru. »

Cela fait plus de 30 ans que les enfants de Hautepierre sont accompagnés par des étudiants (ici, la place Karine). (Photo Damien Senger / FlickR / cc)

Elise venait tous les jeudis soirs pendant deux heures, parfois en « ratant des cours » qui « ne [lui] plaisaient pas », et se souvient de moments conviviaux et familiaux :

« Le père voulait passer un test de langue pour pouvoir travailler, donc il se mettait avec nous. Il y avait aussi la grande sœur, qui est aujourd’hui en 6e. Les grands-parents, qui vivaient avec eux, étaient toujours dans les parages. Le jeudi, c’était vraiment le jour où on faisait les devoirs tous ensemble. »

Du côté de Maria, c’est sa petite cousine de 3 ans, Eva, qui vient se joindre à elles. Maria la laisse partager sa chaise en rigolant :

« Eva elle a trop de chance, elle a pas de devoirs ».

Pendant ce temps, la grand-mère apporte un plateau rempli de friandises et de gâteaux arméniens. Dès que Clémentine a fini son thé ou ses morceaux de potirons confits, son hôte lui en propose à nouveau :

« Mange, mange, il faut manger ! »

La bouche pleine, Clémentine s’en amuse :

« C’est comme ça à chaque fois… Mais bon, je viens toujours à l’heure du goûter, donc à la limite, ça tombe bien. »

Un geste qui marque l’affection de la grand-mère de Maria, qui ne tarit pas d’éloges sur son invitée :

« Clémentine est très gentille, c’est une très bonne personne. Je la considère déjà comme ma petite-fille. Croyez-moi, un jour elle viendra habiter chez nous ! »

Clémentine et Maria finissent toujours les séances par un jeu ou un coloriage. Cette fois, il s’agit de se faire des masques pour Halloween ! (Photo DL / Rue89 Strasbourg / cc)

Une rencontre qui permet aussi de créer une passerelle entre deux mondes, bénéfiques aux deux jeunes, comme le raconte Elise :

« C’est sûr que les enfants nous apportent au moins autant qu’on leur apporte. Je parlais à Armen de la Révolution française, et il me parlait de ce qui l’intéressait : principalement les joueurs de foot français, ce à quoi je ne connaissais rien. Il m’a aussi appris les danses du jeu Fortnite« .

Se sortir du scolaire, entre « Hiver magique » et Halloween

Pour renforcer ce lien, ABC Hautepierre organise régulièrement des sorties et des animations avec les élèves et les accompagnants. En juin 2017, l’association a emmené les enfants au Parc animalier de Sainte-Croix. Ils ont également fait une sortie au Vaisseau, et vont parfois au cinéma. Elise relate ses souvenirs d’autres sorties encore :

« On a fait plein de choses, on est allé prendre le goûter au Square Louise Weiss, on a participé à l’animation « Hiver magique » (un « Noël laïque, selon les mots d’Elise). Il y a aussi eu la sortie au parc d’attractions Didiland, c’était l’éclate. »

Une sortie qui a aussi contribué à rapprocher Clémentine et Maria. Ce vendredi-là, la séance se termine sur un coloriage de masques, car le 31 octobre approche. Clémentine demande à Maria ce que représente cette date, et la petite fille a du mal à contenir sa joie : « Halloween !!! »

Chacune doit choisir un masque à colorier et à porter, et la petite fille et l’étudiante se montrent complices. Clémentine explique :

« Pour les coloriages, j’ai pris une citrouille, et après je me suis dit que tu préférerais Elsa de La Reine des Neiges« .

Maria répond :

« Je sais que toi tu préfères la citrouille, je te connais ».

Finalement, Maria a quand même choisi la citrouille, car « ça fait plus Halloween qu’Elsa ! » (Photo DL/ Rue89 Strasbourg / cc)

En général, les étudiants de l’IEP suivent les élèves pendant deux ans, car leur troisième année d’études se déroule à l’étranger. Mais certains ayant tissé un lien fort souhaitent revenir. C’est déjà le cas d’une étudiante qui a décidé de retrouver « son » élève en revenant. Une éventualité un peu lointaine pour Clémentine, qui veut se concentrer sur cette année scolaire et sur sa destination pour l’année prochaine.

Cela dépendra aussi des besoins de Maria, qui s’accroche à l’école, car elle sait déjà ce qu’elle veut faire comme métier plus tard : « Maîtresse ! »


#éducation

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile