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A Fegersheim, Strasbourg sacrifiera 50 ha de terres agricoles

Strasbourg et son agglomération manqueraient de foncier aménagé et bon marché pour les entreprises qui souhaiteraient s’y installer ou s’agrandir. C’est ce qu’affirme l’exécutif communautaire qui, partant de ce constat, s’engage aujourd’hui dans la création d’une zone d’activités de 50 hectares à Fegersheim. Mais alors que les responsables politiques prônent la densification urbaine et le développement d’une agriculture vivrière, le sacrifice de ces terres soulève plusieurs questions.

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Depuis quelques semaines, les opposants ont positionné des panneaux le long de la RD1083 pour montrer leur refus de l’artificialisation des terres (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Aujourd’hui, en longeant en voiture la future zone d’aménagement concerté (ZAC) de Fegersheim, ce sont des champs cultivés en maïs ou en blé que l’on découvre. Ils s’étendent à l’ouest de la RD1083 (ex-RN83), qui relie sur ce tronçon les communes de Fegersheim et Lipsheim à Strasbourg, quelques kilomètres plus au nord. Ces 50 hectares de terres agricoles, parmi les meilleures du secteur, affirme la douzaine d’agriculteurs qui les exploite, pourraient accueillir des entreprises de logistiques (du transport routier) et de l’artisanat d’ici 2018. C’est en tout cas le projet qu’ont entériné les élus de la communauté urbaine de Strasbourg en février 2013 (lien PDF).

Le périmètre étudié dans le cadre de la ZAC s’étend sur une centaine d’hectares, divisé en deux zones de 50 hectares (Document CUS)

« Manque cruel de foncier à bas coût pour les entreprises »

Raisons invoquées par Catherine Trautmann, vice-présidente de la CUS en charge du développement économique et présidente du Port autonome de Strasbourg (PAS), pour expliquer la création de cette ZAC : le « manque cruel de réserves foncières disponibles pour les entreprises dans la CUS » et « l’effet de concurrence à l’intérieur-même du département pour retenir et attirer des entreprises », maintenir ou créer des emplois. L’élue martèle :

« On doit toujours avoir plus de foncier que de besoins, pour pouvoir proposer plusieurs choix possibles aux entreprises, et notamment au PMI (petites et moyennes entreprises) qui manquent dans notre région. Il faut donc créer du foncier accessible dans des délais que l’on maîtrise et à des prix attractifs. Si l’on « sort » trop cher, on n’est pas compétitif par rapport à d’autres communes. C’est pour cela qu’on doit subventionner du foncier [ndlr, l’acquérir et l’aménager, avant de le vendre aux entreprises à un prix inférieur à l’investissement de la collectivité]. Oui, nous avons un vivier d’entreprises, mais nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Si l’on ne fait pas cela, qu’on fait le choix de ne plus avoir d’industrie dans la région, alors le taux de chômage explosera ! Ce n’est pas le mien. »

La CUS maintient le dialogue avec certains opposants

Mais l’argumentaire développé par la responsable politique ne porte pas chez tout le monde. Si les opposants au projet – quelques centaines d’habitants de Fegersheim, des élus d’opposition dans le village et surtout les agriculteurs dont les exploitations sont en partie situées dans le périmètre de la ZAC – reconnaissent la nécessité de pouvoir accueillir des entreprises dans la CUS, ils s’inquiètent du sacrifice de terres agricoles, à l’heure où l’urbanisation galopante s’accorde mal avec le maintien d’une agriculture de proximité.

Après une manifestation organisée mi-avril, ces opposants ont participé, pour certains, à une réunion organisée à Fegersheim le 2 mai, autour de l’élue Françoise Buffet, en charge de l’environnement à Strasbourg, et de René Lacogne, maire de la commune et conseiller communautaire. Si les agriculteurs étaient au centre des préoccupations des autorités, Bernard Schaal, président de l’association de Sauvegarde du patrimoine de Fegersheim-Ohnheim, très active dans le combat anti-ZAC, s’est vu refuser l’entrée à la réunion. Son association a lancé une pétition contre le projet, qui aurait déjà récolté environ 200 signatures.

Zones humides et friches, des pistes pour réduire l’emprise

Du côté des élus, on s’accorde sur le fait que la rencontre a été « sereine » et « très constructive » et que chacun a pu exprimer son point de vue. Un groupe de travail a été mis en place, qui devrait se réunir à l’été pour préparer la réunion publique de septembre. Denis Rieffel, délégué local de la Fédération départemental des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA), espère ne pas s’être fait « roulé dans la farine » :

« Nous sommes en attente de réponses. Notre objectif est clair : que l’emprise de la ZAC soit la moins grande possible, voire qu’elle ne se fasse pas du tout parce qu’elle fragilisera l’activité d’au moins trois d’entre nous en supprimant jusqu’à 8% des terres cultivées. En sachant que pour la plupart, nous sommes déjà des « doubles actifs » parce que le ban communal n’est pas assez grand pour que nous vivions uniquement de notre activité agricole. Notre espoir, c’est que le périmètre intègre les zones humides qui ont été écartées d’office, mais aussi les friches existantes, celles de Babou [ndlr, déjà ajoutée] et celle de Ehalt [ancien fabricant de meubles]. Nous avons calculé qu’entre les friches d’Illkirch, d’Eschau, de Fegersheim et d’Entzheim, on arrive à plusieurs dizaines d’hectares disponibles. Aujourd’hui, le projet tel qu’il nous est présenté ne nous satisfait pas ! Je reste optimiste, même si j’espère qu’on n’essaie pas de nous endormir. Nous attendons un rendez-vous avec le président de la CUS Jacques Bigot, pour vérifier que les dés ne sont pas déjà jetés… »

Pertes et profits de la politique agricole de la CUS

Problème avec les friches, pas encore complètement répertoriées, assure-t-on à la CUS, c’est qu’elles ne sont pas d’un seul tenant et coûtent cher en démolition, dépollution et aménagement. Aux détracteurs de la politique communautaire, qui pointe la contradiction entre l’engagement de maintenir un tissu agricole dans l’agglomération et l’artificialisation de ces 50 hectares, Françoise Buffet rétorque :

« Ce n’est pas contradictoire ! Depuis 2009, nous avons une politique agricole dans la CUS, où l’on compte encore 200 exploitants, ce qui n’existait pas avant. L’urbanisation continue néanmoins à se faire, nous ne sommes pas en pleine campagne. Mais pour la première fois dans un projet urbain projetant d’utiliser des terres agricoles, on associe la Chambre d’agriculture et les agriculteurs. Le but n’est pas de ne plus urbaniser, mais d’urbaniser le moins possible et de voir comment on peut compenser et ne pas mettre en danger les exploitations. »

La deuxième phase improbable

Et d’assurer que le projet, initialement prévu sur 100 hectares, avec une seconde phase sur les bans de Fegersheim mais aussi de Lipsheim, n’en fera peut-être que 50, ceux de la première phase donc. Cela tombe bien, René Schaal, maire de Lipsheim et frère de Bernard Schaal, l’opposant au projet de l’autre côté de la RD1083, a exprimé publiquement ses « doutes » sur l’opportunité de la création de la ZAC. A noter que les deux frères sont propriétaires d’une parcelle de terres dans l’emprise du projet. Pour eux, assurent-ils pour lever toute suspicion d’intérêt particulier, il serait plus rentable, comme pour les 200 à 300 autres propriétaires concernés, de vendre ce lopin lors de la création de la ZAC, plutôt que de le garder en fermage.

Aller plus loin

Motion rédigée par l’opposition municipale de Fegersheim concernant la ZAC (PDF)

La délibération votée en conseil de communauté urbaine de Strasbourg en février 2013 (PDF)

Sur Rue89 Strasbourg : aux marges de Strasbourg, bataille autour d’un lopin de terre agricole


#catherine trautmann

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