Le dessin est un peu le petit frère pauvre de l’art. Il est souvent méprisé parce qu’il sert plutôt à préparer une œuvre et n’est donc pas jugé comme un travail abouti. Mais, de plus en plus, cette considération se trouve mise à mal et, pour de plus en plus d’artistes contemporains, le dessin est le fondement même de leur travail. C’est le cas pour Frédérique Lucien qui dessine des corps, par bouts, petits ou grands.
L’artiste nous montre des détails de corps nus : fesses, jambes, seins, mains, pieds, pubis. Il s’agit principalement d’éléments de corps féminins même si un sexe d’homme apparaît dans l’un deux. Elle s’essaye aussi à la sculpture et prend des empreintes de bouches qu’elle agrandit et recouvre de couleurs lisses et brillantes : argenté, noir ou rouge. Ainsi, ces bouches qui pourraient être sensuelles deviennent froides : attraction, séduction et répulsion se mêlent en un même objet. Que signifient ces bouches tentatrices et fermées ? J’aurais voulu savoir ce qui se cache derrière ces lèvres qui invitent au baiser mais surtout pas à exprimer ou dévoiler ce qui se cache derrière. Il est étrange que là où il est question de corps et peut-être de sensualité, il ne reste, essentiellement, que distance et froideur. Outre, l’impression qui s’en dégage, elles sont l’aboutissement du dessin : elles vont au-delà du dessin mais sont elles-mêmes, en quelque sorte, du dessin d’observation, une dimension supplémentaire est ajoutée, le trait devient volume.
Sur la mezzanine, nous sommes invités à nous enfoncer dans les plis du corps : oreilles et d’autres aussi… Mais je n’ai pas réussi à savoir de quoi il s’agissait, le nombril peut-être ? À l’instar de l’oignon auquel il faut retirer les diverses couches afin d’aboutir au cœur, les plis donnent envie d’être explorés afin de découvrir ce qui se cache dessous : peut-être rien comme pour l’oignon, mais qui sait ? Frédérique Lucien met le corps à l’honneur, il a une existence, une matérialité et ses différences sont montrées. Aussi bien dans ses dessins que dans ses sculptures, elle trace des lignes qui délimitent, entourent et appréhendent le réel, une forme, une courbe. Suivre ses traits implique de se laisser entraîner aux tréfonds de ces courbes et plis érotiques, érogènes et, au-delà, dans une certaine idée de la sensualité.
Cette exposition de Frédérique Lucien est une invitation à la découverte du corps. Par petits bouts, on l’appréhende, on le découvre, on l’envisage en un puzzle étrange. Il est anonyme et n’appartient à personne d’identifiable. Cette expo est un joyeux mélange d’oppositions : éros et thanatos, chaud et froid, douceur et dureté sont mis en scène, une jolie découverte. Un peu moins froid ça aurait été bien aussi, non ?
Y aller
Exposition « Frédérique Lucien – Sans repentir », à La Chaufferie du 14 au 21 septembre (fermeture du 1er au 31 août), 5, rue de la manufacture des Tabacs à Strasbourg. Ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 18h.
Article précédemment publié sur www.lifeproof.fr
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