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35 € pour la justice, une taxe injuste

C’en est fini de la gratuité de l’accès à la justice. Une mesure passée largement inaperçue a introduit une taxe pour toute requête auprès d’un juge. Pourquoi 35€ est-ce inquiétant ? Parce qu’il s’agit d’une brèche ouverte dans un système qui doit rester égalitaire.

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La cour suprême des Etats-Unis (Photo Mindripper / FlickR / CC)

Par Antoine Bon, avocat à Strasbourg

Depuis octobre de l’année dernière, lorsqu’on dépose une demande en justice, il ne faut pas oublier de coller un timbre fiscal à 35 € sur le papier (on peut même le faire sur internet). Pour l’appel, il faut compter 150 € de plus.

C’est passé dans le silence, l’air de rien, mais c’est un retour en arrière important, l’accès au juge n’est plus gratuit. Si je ne paie pas mon écot, le juge n’est même pas autorisé à lire ma requête, qu’elle soit fondée ou non.

Sans être naïf, pour la plupart des justiciables, la justice n’a jamais été vraiment gratuite. Au delà du principe affiché, il fallait toujours payer les huissiers (de quelques centaines à quelques milliers d’euros selon les besoins), les avocats lorsqu’ils sont obligatoires, les experts lorsqu’ils sont nécessaires… Le surcoût de ce timbre ne change donc pas véritablement le cout d’un procès.

A l’inverse, la justice demeure gratuite pour les moins fortunés puisque jusqu’à concurrence de 929€ de revenus mensuels, le requérant bénéficiant de l’aide juridictionnelle est dispensé d’acquitter le nouveau timbre.

Une taxe dissuasive dans certains cas

Le changement touche donc principalement les instances où la représentation n’est pas obligatoire, principalement les conseils de prud’hommes et les tribunaux d’instance. Or, ce sont précisément ces juridictions qui permettent aux particuliers sans représentants de soumettre leur dossier à un conciliateur avant de passer devant le juge. On peut imaginer que cette taxe sur le recours juridictionnel dissuade certaines victimes de saisir le juge.

L’effet pourrait être encore plus désastreux devant les juridictions du travail où elle aboutit, par exemple, à demander 35€ à un employé privé de salaire pour que son employeur soit condamné à en reprendre le paiement. Quand on n’est pas payé depuis plusieurs mois, 35€ peuvent avoir un effet dissuasif.

Ce coup porté à l’accès à la justice ne concerne encore que peu de monde, ce qui explique que l’instauration de cette taxe ait fait peu de bruit. On a d’ailleurs peu entendu les avocats sur ce sujet, alors que cette mesure a au moins eu pour effet d’augmenter le coût des procédures supporté par leur clients. La raison en est probablement que le produit de cette taxe est affecté au paiement de nouvelles indemnités induites par la modification du régime de la garde à vue.

On se souvient que le gouvernement a dû en urgence modifier le régime de la garde à vue en juillet de l’année dernière, et permettre l’accès de l’avocat aux interrogatoires dès la première heure, après que ce régime a été condamné tant par la Cour Européenne des Droits de l’Homme que par le Conseil Constitutionnel.

Quoi qu’il en soit cette présence a un coût puisque les permanences des avocats chargés de cette mission d’assistance sont financées par l’Etat. Auparavant l’avocat touchait 60 € pour l’entretien qu’il avait avec le gardé à vue lors de son placement ou de sa prolongation. L’Etat lui verse désormais en plus 300 € pour le premier interrogatoire et 150 € pour les suivants (la somme totale que peut percevoir l’avocat pour une journée de permanence ne pouvant dépasser 1 200 € HT).

Taxe pour tous, bénéfices pour quelques-uns

Ainsi, voilà une taxe qui touche tous les demandeurs, devant presque toutes les juridictions, et qui ne rémunère les services rendus qu’aux seuls gardés à vue.

Il eût quand même été plus logique de la faire supporter à l’ensemble des citoyens plutôt que sur les plus malheureux d’entre eux, ceux qui sont obligés de solliciter le bras de l’Etat pour que justice leur soit rendue.

En ces temps de crises, faudra-t-il bientôt que la justice finance ses activités en vendant le service rendu par ses juges à des citoyens-clients ?

Antoine BON
Avocat


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