Samedi 9 juillet au stade du SUC au Wacken à Strasbourg, quelques dizaines de coureurs s’époumonent sur la piste d’athlétisme en macadam. C’était le dernier entrainement avant la trêve estivale. Muni d’un mégaphone et d’un chronomètre, Fernand Kolbeck donne le top.
Pour les membres de l’Association sportive et de loisirs (ASL) de la Robertsau – section athlétisme – les tours de stades les samedis matin et/ou les mercredis sont un rituel. L’entrainement de « fractionné » consiste à enchaîner les séries de tours à un rythme soutenu. À 9h, un groupe court à 6 minutes au kilomètre. À midi, ce sont les cadors, qui foncent à environ 3 minutes au kilomètre. Avec comme coach, un pionnier de la course à pied en France.
Il débute la course à 20 ans
Dans les années 1970, Fernand Kolbeck se constitue l’un des plus grand palmarès de l’athlétisme français : 5 championnats de France entre 1971 et 1977, une Coupe d’Europe (1979), 7ème du marathon de New York (1977), vainqueur du marathon de Paris (1977) et de Cuba (1982)…
Le gamin de Marckolsheim n’a pourtant débuté la course à pied qu’à l’âge de 20 ans, lors de son service militaire de 18 mois à Bitche en Moselle :
« Je ne savais même pas que la course à pied existait comme sport. Dans mon village, on n’avait pas la télévision, pas de journaux. On jouait au foot dans la rue mais c’est tout. À l’armée, ça a été un déclic un peu obligé. On devait courir 7 kilomètres le matin avant le petit-déjeuner. C’était souvent “à celui qui peut le plus fait le moins”, et en arrivant premier je pouvais aller manger plus tôt. »
Fernand prend goût pour l’endurance. Lors d’une garde, il s’échappe pour aller remporter un épique championnat d’Alsace de cross… chez lui à Marckolsheim sous les encouragements de gendarmes sensés l’arrêter. Une fois son service accompli, la Poste le recrute afin qu’il rejoigne son club, l’ASPTT. Partie moins connue de sa carrière, Fernand Kolbeck fait ses premières armes sur les 3 000 mètres steeple, c’est-à-dire avec un franchissement de haie.
Une dernière haie ratée, des JO ratés
Mais dans la course qualificative pour les Jeux Olympiques de Mexico de 1968, il rate la dernière barrière et se fait une déchirure qui lui fait manquer son objectif. À son retour de blessure, il passe sur des plus longues distances et enchaîne les titres, sur 20 kilomètres, sur l’heure et bien sûr au marathon. En 1972, il participe aux Jeux Olympiques de Munich (28ème), puis ceux de Montréal en 1976 (34ème).
À cette époque là, il a vécu l’explosion de l’engouement pour la course à pied :
« Le vrai boom ça a été en 1976 avec les Jeux olympiques à la télévision. À mes débuts, il n’y avait quasiment pas de course sur route. Le premier marathon de France (qu’il a remporté) était à Neuf Brisach, en 1971. On était 14 au départ. Puis il y a eu en engouement venu des États-Unis avec le marathon de New York, qui au début était seulement dans Central Park. À partir de ce moment, toutes les villes ont voulu leur propre marathon. Et ce n’est pas près de s’arrêter ! Les personnes qui commencent continuent toujours et il y a de plus en plus de femmes ! Aujourd’hui, la course sur route a même pris le pas sur la piste, ce qui est un peu dommage, car c’est l’essence de l’athlétisme. »
Pendant sa carrière, il côtoie l’ancien président de Lorraine Jean-Pierre Masseret (PS). Nés la même année, les deux hommes se croisent lors des stages nationaux à Mimizan. L’ex-candidat PS des élections régionales de 2015 accumule les titres de champion de Lorraine, mais préfère suivre la voie de la fonction publique puis de la politique au sport de très haut niveau.
Fernand Kolbeck, impressionné par l’engouement au marathon de New York en 1977
À combiner avec le métier de postier
En athlétisme, le sport professionnel n’existe pas à cette époque. Alors quand il ne court pas, le marathonien travaille au centre de tri de la poste, qui était encore à la gare de Strasbourg. Son métier lui permet de trouver le temps de s’entraîner :
« Les horaires de travail variaient selon les jours. J’allais courir avant ou après. Parfois on avait une pause entre minuit et deux heures du matin et quand d’autres allaient au troquet du coin, moi je m’entraînais. C’est seulement à partir de mon titre de champion de France en 1969 (sur 20 kilomètre et sur la course d’une heure), que j’ai commencé à avoir des horaires aménagées. C’est sûr, la course à pied, ce n’est pas compatible avec l’usine. »
« Les gazelles ne s’étirent pas »
Alors qu’il habite à Wilgotheim dans le Kochersberg, certains matins, il vient au travail en courant et repart le soir : 20 bornes aller et 20 bornes retour. Autour d’un petit déjeuner au café Brandt, il explique que les méthodes d’entrainement étaient alors très approximatives :
« Un coureur, c’est comme un grand chef, ça ne donne pas ses petits secrets. On ne savait rien sur comment s’entraîner. Alors on essayait d’imiter Zatopek (champion tchécoslovaque des années 1950), mais là aussi chacun raconte un peu n’importe quoi. Mon rythme, c’était trois semaines intenses avec deux entraînements par jour, puis une semaine de repos, c’est-à-dire un footing léger tous les deux jours. Les étirements, le renforcement musculaire, tout ça, ça n’existait pas… »
C’est de là qu’il tire une de ses citations célèbres qu’il distille en fin d’entraînement :
« Les gazelles ne s’étirent pas. »
Il garde néanmoins une ligne de conduite qu’il transmet : « la qualité plutôt que la quantité ». La séance de fractionné « longue » le samedi dure 6 kilomètres (8 en hiver) et la « courte » le mercredi, 4 kilomètres. Pour les autres entraînements, il prescrit deux à trois sorties longues sur un rythme plus modéré.
La compétition jusqu’à 50 ans
Il continue la compétition jusqu’à 50 ans. En 1994, il termine en beauté, en signant la meilleure performance mondiale sur un marathon de la catégorie vétéran (2h24). C’est aussi à cette époque qu’il quitte son club de l’ASPTT, où il avait été muté au sein de l’administration par la Poste, pour s’occuper de la section sportive.
« Il ne m’est jamais venu à l’esprit de faire autre chose, la course c’est ma vie. »
Il continue à courir au parc de Pourtalès avec quelques amis. Après quelques contacts avec Robert Grossmann, il monte une section athlétisme à l’ASL. L’histoire dure depuis 20 ans. « La première année on était 3-4, maintenant on est 260 ! », résume, pas peu fier, Fernand Kolbeck.
Un bout de marathon de New York à 70 ans
Devenu entraîneur des novices comme de champions régionaux, Fernand Kolbeck estime pourtant qu’il a peu de conseils à distiller à ceux qui veulent se lancer dans la course à pied :
« Je me méfie des gourous. Tout dépend de ce qu’on cherche. Même au club il y a des gens qui viennent juste pour se dépasser et l’ambiance, pas du tout pour la compétition. Au début, courir une à deux fois par semaine suffit pour prendre conscience de son corps. Mais le haut niveau, c’est un gros investissement, en temps, en argent et en effort. J’ai eu la chance d’avoir la santé, mais à un certain niveau tout le monde ne peut pas aller au-delà de ses limites. »
C’est le cas de son fils qui a couru à haut niveau, mais qu’il n’a pas poussé à aller si haut à tout prix. Pour autant les privations n’ont pas été une difficulté sur le moment, « on est tellement absorbé, on ne se rend pas compte ». Le seul regret qu’il concède est d’avoir « parfois délaissé la vie familiale » :
« Un sportif est toujours égoïste. Maintenant c’est à mon tour de donner du temps pour les autres. »
À tel point qu’une partie des licenciés lui ont offert pour ses 70 ans un voyage à New-York pour courir le marathon en 2014. La course n’aura duré que 20 kilomètres avant d’abandonner mais peu importe. Son plaisir aujourd’hui est de voir les membres de son club progresser ou même gagner un championnat d’Alsace, un Ekkiden (marathon en relais). « On ne peut que s’enthousiasmer. J’ai l’impression de courir avec eux », décrit-il, le regard pétillant.
Le projet d’augmenter les entraînements
Fernand Kolbeck n’est pas à court de projet pour son club. L’ASL doit notamment quitter le stade désuet du SUC pour faire place au futur parc des expositions. Le club devrait s’installer en novembre non loin de là, sur l’île des Sports du Wacken, et sa futur piste d’athlétisme. L’occasion espérée de passer « à 4 entraînements par semaine », même si les négociations de créneaux s’annoncent serrés.
Autre sujet de négociation avec la municipalité, le maintien ou non de la Robertsauvienne, une course gratuite dans la forêt de la Robertsau, qui a connu sa dixième édition le 3 juillet. En attendant, Fernand va même rater le rendez-vous annuel avec les champions de sa génération – « dont beaucoup ont arrêté la course » – pour assurer la reprise samedi 20 août.
Après l’interview, Fernand part rejoindre des amis pour courir au parc du Pourtalès. Une habitude qu’il garde une à deux fois par semaine, à bientôt 72 ans.
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