« Je suis toujours limite, je ne m’achète plus rien pour le plaisir et je ne sors quasiment plus. » Séverine est fonctionnaire de catégorie C à l’Eurométropole. Elle défile ce jeudi 29 septembre, dans la manifestation initiée par de nombreux syndicats et partis de gauche comme la CGT, FSU, Solidaires, EELV, La France insoumise, le NPA, le PCF ou le PS. Avec ses 1 500 euros nets de salaire, malgré 15 ans de carrière, elle a de plus en plus de mal à boucler les fins de mois :
« Avant, j’essayais de manger cinq fruits et légumes par jour, d’acheter du bio. C’est devenu impossible. On se nourrit beaucoup plus de pâtes et de riz depuis cet été et l’augmentation des prix. Je n’achète plus de paquets de gâteaux ou de chocolat, c’est fini ces petits plaisirs. »
Francine et Julien ne font plus de cadeaux à leurs petits enfants
Séverine, comme beaucoup d’autres dans le cortège, demande une augmentation conséquente des salaires, à la hauteur de l’inflation, qui approche les 10% en un an dans les supermarchés. Au départ de la place Kléber, la foule rassemble environ 2 000 personnes, qui s’élancent au rythme du camion de la CGT et de son groupe de musique militant.
En ce début d’automne, l’ambiance est dynamique derrière la banderole de tête, où des étudiants et des jeunes lancent des slogans anticapitalistes et antifascistes. Anna, en master de langue, témoigne qu’elle ne mange qu’un repas par jour et ne sort plus :
« Avec une petite bourse, des aides au logement et un job étudiant, je gagne 600 euros par mois. Depuis des années on dit qu’il faudrait augmenter les bourses, et arrêter d’augmenter le loyer des chambres étudiantes de 100 ou 200 euros quand elles sont rénovées. »
Francine et Julien, tous les deux retraités, sont venus de Seltz. « Ça fait 100 kilomètres aller-retour. Pour faire ce trajet par exemple, on a calculé pour savoir si on pouvait venir », explique Julien, ancien ouvrier d’usine avec 1 100 euros de retraite. Francine travaillait dans un pressing et n’a que 800 euros. « On ne peut plus faire de cadeaux ou aider nos petits enfants. C’est dur ça », souffle t-elle. Julien ajoute :
« On est dans la ruralité, on a la chance d’avoir un jardin et de pouvoir faire pousser des légumes. Mais avec l’âge ça devient plus compliqué. Et à cause du prix de l’essence, on réfléchit avant chaque déplacement. On n’a pas besoin que les politiques nous le disent pour faire attention. »
300 à 400 euros d’essence pour aller au travail
Des cheminots sont également mobilisés, comme Clément Soubise, qui était candidat aux élections municipales de 2020 à Strasbourg pour le NPA. Agent d’aiguillage avec quelques années d’ancienneté, il gagne 2 000 euros nets par mois en comptant les primes :
« Les collègues qui commencent sont à 1 400 euros, ce n’est pas acceptable vu nos responsabilités. Si on se loupe, on peut se retrouver au tribunal. On doit faire de la route pour arriver sur les lieux d’intervention. C’est habituel chez nous d’avoir 300 à 400 euros d’essence à payer par mois. Et puis, à la SNCF, certains employés sont en dessous du SMIC sans les primes, par exemple les agents d’escale ou de maintenance. En juillet, on a eu une augmentation de seulement 1,4%, c’est ridicule par rapport aux augmentations des prix. »
À quelques mètres, quatre secrétaires médicales du Centre médico-chirurgical obstétrique (CMCO) de Schiltigheim défilent avec leurs blouses blanches. Malgré l’augmentation de 3,5% du point d’indice des agents publics en juillet, leurs salaires, autour de 1 500 euros, ne sont pas suffisants, dénonce Céline :
« Je bosse au CMCO depuis huit ans. J’ai 45 ans. Quand on travaille depuis des années et qu’on a du mal à remplir le caddie ou qu’on a peur de la venue de l’hiver à cause du prix du chauffage, ça fait mal quand même. »
« On ne va presque plus au cinéma avec les enfants alors qu’ils aiment ça »
Déléguée du personnel à la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS), Delphine Bastian indique que son syndicat, la CGT, ne se satisfait pas des 2,5% d’augmentation obtenus lors des négociations annuelles obligatoires en septembre :
« Quand on commence à 4h du matin ou qu’on finit à 1h30, il n’y a plus de transports en commun. Comme moi, mon conjoint est conducteur de bus et de tram. On a donc besoin de deux voitures pour aller travailler. On travaille avec de grandes amplitudes, les dimanches et les jours fériés aussi, avec beaucoup de pression et de responsabilités. En général, les conducteurs CTS gagnent 1 800 euros nets, ce qui ne suffit plus pour bien vivre. On ne va presque plus au cinéma avec les enfants alors qu’ils aiment ça. On privilégie les balades en forêt, c’est gratuit. »
« Nous allons continuer »
Laurent Feisthauer, secrétaire départemental de la CGT, est satisfait de la mobilisation du jour. Les grèves ont été bien suivies, notamment dans le secteur de l’éducation avec 22% de participation dans le premier degré selon le rectorat. Toutes les cantines de Strasbourg étaient fermées entre midi et deux et la circulation des trams et des bus était amoindrie.
« Nous allons continuer à mobiliser et à amplifier le mouvement. C’est un bon signal pour la reprise et de bon augure pour la lutte contre la réforme des retraites », conclut Laurent Feisthauer. Le cortège est arrivé place Kléber vers 16h30. Ailleurs en France, de nombreuses manifestations ont eu lieu, avec par exemple 600 personnes à Mulhouse et environ 40 000 à Paris.
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