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2 000 manifestants à Strasbourg : « Sans mobilisation, on n’aura jamais d’amélioration »

En Alsace, des syndicats essayent d’amplifier le mouvement social dans tous les secteurs. Ils insistent auprès des leurs collègues sur le fait qu’il s’agit d’un passage nécessaire pour obtenir des améliorations des salaires dans le contexte d’inflation. Mais ils se heurtent souvent à des discours fatalistes ou la peur d’être mal vu.

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« C’est bien de voir du monde mais ça devrait être encore plus gros », lance Marie, retraitée. Vers 11h30, 2 000 personnes partent de la place Kléber, derrière les banderoles CGT, FO, FSU et Solidaires, pour revendiquer des augmentations de salaires au vu de l’inflation et soutenir les grévistes des raffineries. Le gouvernement redoute une contagion de la mobilisation et la formation d’un mouvement social cet automne. Dans l’Académie de Strasbourg, entre 2 et 4% des personnels de l’éducation n’ont pas travaillé mardi 18 octobre. Les lycées professionnels enregistrent le plus fort taux de participation avec 17%.

« Ils ont peur d’être catalogués »

Les représentants syndicaux sont satisfaits de l’affluence du jour, mais beaucoup reconnaissent aussi qu’il est difficile de convaincre massivement leurs collègues. Francis, de la CGT Auchan Neudorf, a tracté sur son lieu de travail samedi. « Les autres soutiennent, ils nous tapent dans le dos et nous disent que c’est bien, mais ils ne sont pas là aujourd’hui », note t-il. Après 32 ans de carrière, il gagne 1 500 euros net par mois en s’occupant du rayon poisson :

« Beaucoup de collègues ne peuvent pas se permettre de faire grève et de perdre une journée de paie. Ils ont peur d’être catalogués par les patrons. Ils pensent qu’ils vont se faire virer. Notre boulot maintenant, c’est de leur montrer que le syndicalisme les protège justement. »

Francis dialogue régulièrement avec ses collègues pour les convaincre de venir en manifestation. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Non-syndiqué, Sébastien, qui a pris part au mouvement des Gilets jaunes à Molsheim, fait aussi le constat d’un certain fatalisme dans son entreprise du bâtiment :

« Quand j’essayais de les faire venir à nos rassemblements sur les ronds points, ils répondaient : « Qu’est ce que ça va changer ? » Mais parfois les mêmes font des posts Facebook pour dire qu’il faudrait tout faire péter. On manque de vision commune… C’est aussi à cause du gouvernement et des médias qui diabolisent toutes les contestations. »

« Les congés payés, la sécu, c’est grâce aux luttes »

Des passants regardent, étonnés, le cortège avancer sous le soleil matinal. « Rejoignez-nous », incite un homme. Ces derniers restent immobiles et répondent par un sourire en coin. Pour Marie, « il faut rappeler aux gens que s’ils ont des congés payés ou la sécu, c’est grâce à des luttes ». Selon la retraitée, la culture militante se perd :

« On n’enseigne plus suffisamment à l’école comment on a obtenu nos acquis sociaux. Sans mobilisation, on n’aura jamais d’amélioration, ça c’est une certitude. Les choses ne peuvent qu’empirer. Par exemple, les entreprises où il y a de bonnes augmentations de salaires, souvent, ce sont celles où il y a des syndicats forts. Et parfois, ça nécessite une grève. »

Les rassemblements militants sont aussi des temps d’échange. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Clément (prénom modifié), surveillant au collège Lezay Marnésia, a réussi à convaincre les huit autres assistants d’éducation qui devaient travailler ce mardi dans son établissement à se mettre en grève. C’est un décret du ministère qui vise à diminuer de 2 000 euros par an la prime des surveillants des établissements classés REP+ qui a motivé tout le monde selon lui : « Ils veulent nous voler plus d’un mois de salaire. Forcément, tout le monde a trouvé ça injuste. »

Le déclic pour s’engager dans un syndicat

Plus généralement, les difficultés personnelles peuvent constituer des déclencheurs. Christophe, de la CGT à l’hypermarché d’Illkirch, a adhéré à son syndicat parce qu’il avait été mis à pied il y a quelques années :

« J’étais harcelé par ma hiérarchie parce que je n’étais pas d’accord avec un nouveau fonctionnement. Je me suis rapproché de la CGT qui m’a soutenu et protégé. C’est souvent une porte d’entrée dans le militantisme syndical. On vit une expérience personnelle, on comprend l’intérêt, et on s’engage. Les nouveaux adhérents chez nous, même s’ils sont rares, sont souvent dans cette situation. »

Christophe a adhéré à la CGT après une mise à pied. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Simon, professeur d’Histoire-Géographie et représentant SUD éducation Alsace au collège Jacques Twinger à Koenigshoffen, estime que les contextes de mobilisation nationale sont des « fenêtres de tir » pour convaincre localement : « En salle de repos, ces derniers jours, quand d’autres évoquent la pénurie d’essence, c’est l’occasion pour moi de parler de l’importance des grèves et des manifestations. »

2 000 personnes ont manifesté à Strasbourg mardi 18 octobre au matin. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Des mobilisations qui provoquent des adhésions

Nelly (prénom modifié), représentante de la CGT dans une structure médico-sociale a constaté une forte augmentation du nombre d’adhérents depuis la mobilisation pour la revalorisation salariale des travailleurs sociaux de l’hiver dernier. « On n’a pas eu tout ce qu’on voulait mais les éducateurs ont été augmenté de 183 euros net », abonde Nelly :

« Il y avait à la fois une exposition nationale et un ras-le-bol des bas salaires. Ce contexte était propice à l’adhésion. On est passé de 4 à 30 syndiqués à la CGT dans ma structure. C’est important aussi de communiquer sur les victoires. Ce qu’on fait a un impact, ce n’est pas si rare. »

Même situation à la CGT assurances du Crédit Mutuel, où Leatitia est déléguée du personnel : « On est passé de 2 à 30 adhérents en deux ans. C’est l’arrivée de beaucoup de jeunes qui a changé les choses. Il veulent que ça bouge. On essaye de communiquer en envoyant nos tracts par mails à tous les salariés. Il faut communiquer sur ce qu’on fait et sur l’importance d’être nombreux. À force de le marteler, de nouvelles personnes viennent petit à petit, même si c’est lent. »

Leatitia a observé une très forte augmentation du nombre d’adhérents à la CGT dans son entreprise ces dernières années. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Les mouvements sociaux, des phénomènes incertains

Les organisations de jeunes Fidl, MNL, Unef et la Vie lycéenne prennent aussi part à la mobilisation et sont positionnées en tête de cortège. Des militants allument des fumigènes noirs et rouges. Margo, en deuxième année à Sciences Po Strasbourg, explique qu’elle a choisi de venir aujourd’hui car la mobilisation prend de l’ampleur :

« Quand on vient, on loupe un cours. Certains de mes camarades sont convaincus mais ils ne sont pas venus à cause de ça. Il faut leur dire que c’est fondamental de se mobiliser pour notre vie future. Même moi j’avoue que j’évite de me mobiliser quand je sais qu’il n’y aura pas beaucoup de monde et que j’ai l’impression qu’il n’y aura aucun impact. C’est décourageant. »

Margo a choisi de louper des cours ce matin pour manifester. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Sébastien Mas, ex-candidat LFI aux élections législatives pour la troisième circonscription du Bas-Rhin, remarque que « le succès des mouvement sociaux est toujours très incertain » :

« Peut-être que ça va prendre cet hiver mais je trouve ça très difficile à pronostiquer… La force des idées d’extrême-droite chez les classes populaires peut aussi démobiliser. On n’avait pas vu venir les Gilets jaunes ou les grèves de cet été en Angleterre. Avec le projet de réforme des retraites, la potentielle utilisation du 49.3, le gouvernement va peut-être créer l’étincelle. »

De nombreux militants ont affiché leur détermination à poursuivre le mouvement et à tenter de l’amplifier. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Vers 12h30, la manifestation arrive place de la République et se disperse rapidement. Dans le cortège à Paris, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez a assuré qu’il y aurait « des suites ». Il considère que ce mouvement doit s’inscrire dans le temps parce que « pour l’instant, il n’y a pas assez de réponses aux revendications ». Pour obtenir des avancées, les syndicats auront besoin d’un soutien encore plus large, afin de ne pas tomber dans un « essoufflement ».


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